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Twitter contribue à exposer le travail sexuel au grand jour

Il devient difficile de soutenir que les travailleuses du sexe sont des écervelées qui n'ont rien en commun avec nous : on peut désormais lire leurs idées et leurs réflexions un peu partout sur le web.

Les travailleuses du sexe—c'est-à-dire les actrices X, les cam girls, les strip-teaseuses, les escorts et bien d'autres—font désormais entendre leur voix sur Internet. Nous y sommes si habitués qu'on imagine mal les réseaux sociaux sans elles. La bonne nouvelle, c'est que cette nouvelle visibilité a permis de briser quelques préjugés associés au travail sexuel. Il est très difficile de se représenter les travailleuses du sexe comme des poupées gonflables écervelées une fois que l'on a lu leurs réflexions sur le féminisme, les problèmes raciaux ou le dernier Star Wars.

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Pendant longtemps j'ai toujours soutenu le travail du sexe sans y avoir été directement confrontée. Mes connaissances se limitaient aux représentations véhiculées dans Pretty Woman ou dans Les Chroniques de San Francisco d'Armistead Maupin (qui mettent en scène une maison close dans le Nevada), ce qui ne m'a pas vraiment aidée à me sensibiliser au problème des droits des travailleuses du sexe.

Ces dernières années, j'ai compris avec un peu plus d'acuité ce que signifiait vraiment être une travailleuse du sexe : pourquoi et dans quelles conditions les femmes s'engageaient dans ce milieu, pourquoi elles décidaient de poursuivre leur activité malgré les difficultés, et quelles luttes politiques étaient importantes pour elles. Comment ai-je pris conscience de tout cela ? Grâce à Internet. C'est sur Internet que j'ai noué des relations avec d'authentiques travailleuses du sexe, qui m'ont aidée à déconstruire tous les mythes dont la pop culture m'avaient abreuvée jusque là.

« Nous sommes là pour rester »

Pendant des années, je me suis sentie un peu seule lorsque j'abordais le sujet avec mes amis. Même les plus ouverts d'esprit avaient des opinions extrêmement caricaturales sur le quotidien et les droits de ces femmes. « Aimez le pêcheur, haïssez le péché », voilà qui résume bien leur attitude à cet égard. Ils s'étaient persuadés que tout travail sexuel reposait par définition sur une relation abusive qui mettait la travailleuse dans une situation de vulnérabilité, et qu'à ce titre le travail sexuel ne pourrait jamais constituer un emploi légitime.

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Pourtant, il me semble que le vent a tourné. En 2015, plusieurs travailleurs du sexe ont été exposées dans les médias, dont Zola, Stoya, Christy Mack. Lorsque Lena Dunham s'est exprimée pour s'opposer à la décriminalisation du travail sexuel proposée par Amnesty International, les médias l'ont clouée au pilori. Les mêmes médias qui, quelques années auparavant, l'auraient applaudie pour avoir adopté cette position.

Que s'est-il passé entre temps ? Il est possible qu'à une époque où il existe des applications dédiées au casual sex et où la pornographie est devenue un sujet de conversation acceptable, notre environnement culturel ait rendu notre regard sur le travail sexuel un peu plus bienveillant. Mais c'est surtout le fait que les travailleuses du sexe puissent faire entendre leur voix, sans intermédiaire, qui a changé la donne. De même que LiveJournal m'a permis d'ouvrir les yeux sur la situation, Twitter, Tumblr et Facebook ont aidé la nouvelle génération à comprendre les tenants et les aboutissants de ce secteur professionnel si sulfureux.

Charlotte Shane, une ancienne travailleuse du sexe devenue auteur, a trouvé un lectorat grâce à sa newletter, Prostitute Laundry, et à son compte Twitter. Elle s'est inscrite sur Twitter en 2009 après qu'une collègue lui a affirmé que c'était un très bon outil pour rentrer en contact avec des personnes du même milieu. Son initiative a fait boule de neige : elle a remarqué que plus les travailleuses du sexe gagnaient en visibilité, plus elles encourageaient d'autres femmes à s'épancher sur la Toile ; leur communauté toute entière s'en est trouvée renforcée, leurs témoignages et leurs revendications ont été diffusés. De plus, les travailleuses du sexe isolées ont pu trouver leur place dans un réseau qui les soutient, les informe et les conseille.

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Depuis 2009, ces femmes ont atteint une masse critique sur Twitter. « Nous sommes là pour rester, » explique Shane. « Désormais, nous avons notre place sur les réseaux sociaux. »

Shane a d'ailleurs senti que les stéréotypes associés à sa profession volaient en éclat un par un. « Grâce aux réseaux sociaux, j'ai rencontré des tas de gens qui ne sont pas des travailleurs du sexe, et qui savent ce que je fais, » explique-t-elle. « À aucun moment ils ne s'en sont formalisés, la plupart n'abordent même pas la question. Ils s'adressent à moi comme à une personne lambda. Ça fait beaucoup de bien. »

Cependant, en dépit des bénéfices que les travailleuses du sexe peuvent retirer des réseaux sociaux, il ne faut pas oublier que toutes n'en profitent pas de la même façon, et que les plus populaires sur Twitter ne sont pas nécessairement représentatives de leur milieu en général. En outre, les femmes qui ont gagné une notoriété et se font respecter des autres utilisateurs ont généralement des profils similaires. « Les travailleuses du sexe noires sont elles aussi sur les réseaux sociaux… pourtant, on n'entend pas beaucoup parler d'elles, » explique Shane. Elle ajoute que la plupart des gens qui affirment leur soutien aux travailleuses du sexe seraient bien en peine de nommer une seule femme noire travaillant dans ce milieu.

N'jaila Rhee (@blasianbytch), une cam girl, hôtesse téléphonique, ancienne strip-teaseuse et désormais journaliste, a observé ce phénomène.

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« Nous pensons que nous avons pris la parole sur les réseaux sociaux ; pourtant, cette parole est monopolisée par certains types de femmes, celles qui paraissent les plus respectables, » explique-t-elle. Et par respectables, on entend généralement « blanche, hétérosexuelle, cultivée, attirante, valide. » L'autre problème, c'est que les travailleuses du sexe qui ne s'affichent pas en ligne sont susceptibles d'être d'autant plus marginalisées.

Rhee, qui a hésité pendant longtemps à parler de sa profession sur Internet, a remarqué que son activité sur les réseaux sociaux lui avait permis d'augmenter ses revenus, et constituait une vitrine publicitaire de choix. Hélas, il y a un revers à la médaille : le harcèlement. Elle est harcelée par des féministes opposées au travail sexuel, par des misogynes, mais aussi par des racistes, voire par des personnes racialisées estimant qu'elle « renforce les stéréotypes sur l'hypersexualité des femmes noires et asiatiques. »

Le harcèlement ne se limite pas aux messages injurieux. Rhee explique que des militants opposés au travail sexuel avaient protesté contre le hashtag #notyourrescueproject en répertoriant le plus grand nombre possible de travailleurs du sexe racialisés, puis en transmettant la liste à la police en affirmant qu'il s'agissait de personnes « exploitées. » Ce genre d'événement, qui touche les individus les plus vulnérables, a dissuadé de nombreux travailleurs du sexe à s'épancher sur les réseaux sociaux.

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Rhee explique que « les voix que nous avons le plus besoin d'entendre—celles des travailleurs pauvres en particulier—ne risquent pas d'être entendues si la police traque les tweets, les téléphones et les données personnelles pour mettre des gens en prison. »

En dépit de ces échecs dramatiques, on ne peut nier que les réseaux sociaux ont contribué à former un réseau solide de travailleuses du sexe et de militantes pro-sexe. Il faut espérer qu'il deviendra plus égalitaire, et que les femmes étiquetées « respectables » ne gagneront pas en popularité au détriment des femmes marginalisées.

Les militants qui combattent le travail sexuel exploitent cette division depuis très longtemps. Ils affirment par exemple que les récits des escorts de luxe sont de jolis contes qui masquent la réalité du travail sexuel. Selon eux, même si un petit nombre de femmes choisissent délibérément leur activité, l'immense majorité des femmes est victime du trafic sexuel, et la décriminalisation du travail sexuel ne pourrait bénéficier qu'à la minorité des travailleuses qui ont choisi leur condition.

Cet argument n'est pas entièrement infondé. Cependant, les liens que les travailleuses du sexe ont noué sur les réseaux sociaux nous montrent que « sur Internet, des escorts américaines qui gagnent 300 dollars de l'heure délivrent le même message que les devadasi indiennes ou les hôtesses de bar kenyanes. Ces femmes s'unissent. Cela veut dire quelque chose » explique Anlina Sheng, membre du Winnipeg Working Group for Sex Workers' Rights.

C'est là que réside tout le pouvoir des réseaux sociaux. Au delà des bénéfices professionnels et financiers que les travailleuses du sexe peuvent acquérir pour leur propre compte, la capacité de ces femmes à s'unir et à se battre pour les mêmes droits changera sans nul doute la manière dont la profession sera considérée dans les années à venir.