La pornographie sur Internet est secrètement censurée

FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

La pornographie sur Internet est secrètement censurée

Le paysage de la pornographie sur Internet est modelé par des acteurs que nous n'aurions pas soupçonnés.

L'Internet du X est le plus souvent décrit par les médias comme un gigantesque terrain de jeu hédoniste où toutes les formes de dépravation peuvent être filmées. Un endroit où la seule limite à la sordidité de la scène est l'imagination du réalisateur. Mais même les commerciaux les plus inventifs sont parfois contraints de retenir leur envie de vendre des fantasmes troubles ; le plus souvent, à cause des services de paiement. Les mêmes services de paiement qui ont permis le développement du porno en ligne.

Publicité

Vous n'êtes pas familier du monde des services de paiement utilisés par l'industrie pornographique ? Quelques brèves explications : si vous voulez vendre un produit sur Internet, vous avez besoin d'un moyen de débiter les cartes bancaires. Pour la plupart des entreprises, cela nécessite de trouver un service de paiement tiers qui prélèvera l'argent à leur place. Les grandes entreprises ont une grande variété de services à leur disposition, comme Paypal, Stripe, Amazon Payments, etc.

Mais pour la plupart d'entre elles, les choses sont un peu différentes. À cause des restrictions et des frais bancaires que Visa et MasterCard imposent à quiconque utilise sa carte bancaire sur des sites « à haut risque », seule une poignée de services de paiement vont accepter de travailler avec des sites pornographiques. Et même les entreprises les plus libérales appliquent des règles fermes pour décider quel contenu est, ou n'est pas éligible à être acheté par leurs clients.

"C'est ça, le monde sauvage et dépravé du porno."

Prenez par exemple CCBill, l'un des services de paiement les plus populaires sur les sites pour adultes. La section 3 des Conditions générales d'utilisation explique en pas moins de trente-sept points quels types de contenus peuvent engager une violation du règlement de CCBill. Le sixième point en particulier, glissé entre la proscription de la pédopornographie et celle de la zoophilie, pourrait faire réagir les réalisateurs de vanilla porn les plus consensuels :

Publicité

« La publication, l'affichage d'une image ou d'un intitulé illustrant des liens avec l'extrême violence, l'inceste, la pornographie snuff, la scatologie, l'élimination de déchets organiques sur autrui, la mutilation, le viol, à tout endroit du site web, suggéré de manière sexuelle ou érotique et incluant les URL et les tags. »

À première vue, cette règle semble tout à fait légitime. Qui aurait envie de défendre le meurtre et la scatologie ? Mais comme toujours, le diable est dans les détails. Et dans le cas présent, les détails empêchent un grand nombre de sites de publier du kink (pas si sulfureux que ça d'ailleurs) montrant des menstruations, les douches dorées, et même de la cire chaude de couleur rouge.

Avant de rentrer dans les détails de tous les fantasmes pervers auxquels vous n'avez pas accès à cause des services de paiement, il faut bien noter une chose : ce ne sont pas ces services eux-mêmes qui sont en cause ici. Tout ce que fait CCBill (et Epoch, et tout service de paiement dédié aux sites pornographiques d'ailleurs) consiste à appliquer les vagues directives données par Visa et MasterCard. Et c'est parce que ces directives sont particulièrement floues que les producteurs de porno sont frustrés et confus.

À cause des ambiguïtés du règlement, de nombreux producteurs ne réalisent même pas qu'ils commettent une infraction avant de recevoir un avertissement de leur service de paiement leur demande de retirer le contenu concerné. Et parfois, le motif d'infraction peut être franchement déconcertant. Colin Rowntree, le fondateur du site BDSM hardcore Wasteland.com, explique que son site « ne peut plus utiliser de bougies rouges pour les scènes utilisant de la cire » depuis que le service de paiement de Wasteland estime que la cire rouge rappelle l'aspect du sang.

Publicité

Mais les restrictions sur la cire ne s'arrêtent pas là : « Nous ne pouvons plus autoriser les lames pour racler la cire après qu'elle a refroidi » ajoute Rowntree. « Cela inclue non seulement les couteaux tranchants, mais également les couteaux à beurre et les ciseaux. Alors maintenant, nous enlevons la cire hors caméra, avec une carte de crédit. »

C'est ça, le monde sauvage et dépravé du porno.

D'autres producteurs ont signalé qu'ils avaient dû se débarrasser des scènes d'urophilie, de fisting, et de toute scène où le consentement n'était pas clairement apparent—même dans les cas où l'actrice concernée précisait dans sa bio qu'elle appréciait particulièrement la mise en scène de « sexe sous contrainte. »

Mais l'acte de censure le plus énorme est sans doute la proscription de scènes pornographiques exposant la moindre goutte de sang menstruel. Que ce soit à cause du sang, ou de l'idée selon laquelle les menstruations constituent un « déchet organique » comme l'urine ou les excréments, avoir ses règles est de toute évidence un tabou majeur pour de nombreux services de paiement.

Il y a de nombreuses raisons de se dresser contre ses restrictions, notamment des raisons féministes. Elles renforcent l'idée selon laquelle le corps de la femme est honteux, et que les vagins, ainsi que les substances qui en sortent, sont sales. Enfin, on perd ainsi l'accès à du contenu pornographique de qualité, comme cette cette scène qu'Ela Darling ne serait que trop heureuse de tourner… si seulement Visa et Mastercard voulaient bien la laisser faire :

« Un mec et une nana sont en train de se chauffer, tout timides, ils n'ont jamais fait de trucs ensemble avant, l'excitation et la tension sexuelle sont palpables. Ils prennent leur temps, sont de plus en plus entreprenants. Le mec, gentleman, commence à glisser sa main dans la culotte de fille. Elle se fige et retire sa main. Elle lui explique que ce n'est pas la bonne période du mois, puis suggère 'laisse-moi m'occuper de toi'. Le garçon insiste, dit qu'il pense que tout ce qui arrive au corps de sa compagne fait partie du plaisir, et que le sang, en petite ou grosse quantité, l'indiffère. Il promet que si elle veut seulement faire ce qu'elle a évoqué plus tôt, il sera heureux de la laisser faire et de respecter ses limites, mais que si elle change d'avis, il s'empressera de lui donner le plus de plaisir possible. Tâche à laquelle il s'attelle. Il s'ensuit une scène avec des doigts couvert de sang, un cunnilingus, une pénétration hardcore tout à fait divine. Les partenaires passent un excellent moment. La scène se termine dans la douche. Le garçon jouit, puis il continue de donner du plaisir à sa partenaire pendant plusieurs minutes avec ses mains et la pomme de douche, jusqu'à l'orgasme. Enfin la caméra zoome sur les volutes de sang qui glissent sur le sol de la douche. Je pense que cette scène serait particulièrement cool parce qu'elle s'attaque à la honte que beaucoup de femmes ressente lorsqu'elles ont leurs règles, et montre qu'une vie sexuelle heureuse et saine peut parfaitement prendre en compte toutes les choses du corps, sans en faire une opportunité supplémentaire de refuser un moment gratifiant aux femmes. Pour moi il est important que cette scène ne se termine pas sur une éjaculation masculine ; j'en ai marre que l'orgasme masculin définisse ce qu'est un rapport sexuel. La scène doit se terminer parce qu'elle est satisfaisante, qu'il n'y a plus rien à montrer, pas parce que le mec a joui.

Et si le fantasme de Darling ne vous fait pas envie, peut-être que cela vous plaira davantage : à tout moment, un service de paiement peut mettre à jour ses conditions d'utilisation afin de bannir les pratiques qui vous plaisent.

Aussi longtemps que les cartes de crédit seront le principal moyen d'acheter des produits en ligne, Visa et MasterCard profiteront de leur position de monopole pour exercer leur pouvoir sur les productions pornographiques dans le monde entier. Alors à moins que les bitcoins (ou toute autre monnaie virtuelle peu régulée) ne décollent, les banques continueront de modeler discrètement le paysage pornographique, définissant quelles pratiques sexuelles sont acceptables et quelles pratiques ne le sont pas. Qu'on le veuille ou non.