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Contrats précaires, sexisme et racisme ordinaires : ma vie de serveuse étrangère en Angleterre

Dans le restaurant où je bossais, les filles d’Europe de l’Est étaient cantonnées aux commandes des boissons – et on nous disait de venir bosser en talons aiguilles et petites robes sexy.

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants. Dans cet épisode, une étudiante polonaise résidant à Manchester nous explique la galère d'être serveuse dans un restaurant populaire.

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C'est grâce à une bourse que j'ai pu quitter ma Pologne natale pour venir étudier en Angleterre. J'avais prévu de rester vivre ici après mon doctorat mais avec le Brexit, j'ai un peu perdu espoir… et puis, avec toutes les expériences malheureuses que j'ai eues en bossant dans la restauration, je crois que, de toute façon, je ne suis même plus sûre d'avoir envie d'y rester.

Ma bourse ne couvrait que les frais de scolarité et avant même de partir, je savais que je devrais me trouver un petit boulot pour joindre les deux bouts. J'avais déjà fait un peu de service en Pologne donc en débarquant à Manchester, je me suis dit que j'allais chercher dans ce secteur. Après avoir envoyé mon CV à tout un tas d'adresses, j'ai finalement eu une touche auprès d'un restaurant qui faisait de la cuisine fusion asiatique, un peu à l'extérieur du centre-ville. Je crois que j'étais très impatiente à l'idée de travailler dans un établissement en apparence si luxueux et multiculturel. Pendant l'entretien, on m'a demandé les différentes variétés de Champagne que je connaissais – j'ai admis n'en connaître aucune, mais j'ai été embauché quand même.

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J'ai rapidement compris que derrière son aspect chicos, le restaurant était en réalité assez peu respectable. Par exemple, sur la plupart des banquettes et des chaises où s'asseyaient les clients, il y avait des vieilles taches de verres renversés mal nettoyées. Et il y avait des trous dans la moquette.

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Plus tard, j'allais comprendre que ce décalage entre la façade du restaurant, d'apparence classe, et son intérieur, finalement assez crade, représentait assez bien les écarts de traitement entre le staff au contact des clients et le reste de l'équipe.

C'est parce que là-bas, la hiérarchie entre les employés était très rigide. D'un côté, les propriétaires et les barmans britanniques, qui trônaient en haut du panier, et de l'autre, les chefs et les serveuses thaïlandais, qui occupaient un rang intermédiaire. Quant aux hôtesses d'accueil originaire d'Europe de l'Est comme moi, elles se retrouvaient tout en bas de l'échelle. Nos salaires avaient beau être les mêmes, les proprios essayaient de créer une atmosphère de compétition où nous devenions tous concurrents. On se battait pour avoir les meilleurs horaires ou d'autres privilèges alors qu'on était tous logés à la même enseigne : un contrat zéro heure, le truc le plus précaire jamais inventé par le code du travail anglais.

En tant qu'employés, nous prenions nos repas – comprendre : les restes du buffet – au fond de la cuisine. Les chefs et les serveuses avaient le droit de se servir en premier alors que les employées d'Europe de l'Est passaient en dernier. Quand venait notre tour, la bouffe était toujours tellement froide que j'ai fini par rapporter des sandwichs de chez moi. Et à cette époque-là, je ne faisais encore que découvrir l'ambiance exécrable du lieu.

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Quand le responsable du bar, un Thaïlandais, a fini par démissionner, on s'est retrouvé un peu débordé pour gérer le service des boissons. Les barmen britanniques n'hésitaient pas à nous crier dessus, mes collègues d'Europe de l'Est et moi, sous prétexte que nous prenions trop de commandes pour des cocktails. Je me rappelle qu'un jour en allant faire une pause toilettes pour respirer un peu, j'ai croisé une cliente qui m'a dit : « J'ai de la peine pour vous. »

La hiérarchie se faisait aussi sur la base du genre. Les filles d'Europe de l'Est étaient cantonnées aux commandes des boissons – et on nous disait de venir bosser en talons aiguilles et petites robes sexy. D'ailleurs, je me suis fait reprendre parce que mon look n'était pas assez féminin et on m'a demandé de remplacer mes lunettes par des lentilles.

Je comprends le choix des responsables de demander aux employées asiatiques de servir la nourriture asiatique – ça fait sens. Mais cette répartition du travail très compartimentée créait un environnement tel qu'il était impossible pour nous de surmonter nos différences culturelles – dès lors, impossible de former une vraie équipe. Cerise sur le gâteau, le type qui était chargé de nous raccompagner chez nous les soirs où le service finissait tard nous draguait toujours de manière super-lourde.

La hiérarchie entre les employés était très rigide. En haut, les propriétaires et les barmans britanniques, au milieu, les chefs et les serveuses thaïlandais et en bas, les hôtesses d'accueil originaire d'Europe de l'Est.

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La situation a empiré un peu plus quand le restaurant a commencé à devenir déficitaire. J'arrivais le vendredi en me disant que j'avais vingt-quatre heures de service à faire sur le week-end mais on m'informait que, vu le manque de réservations, on n'avait finalement pas besoin de moi. On me disait que ma paie augmenterait avec la période de Noël, mais vu l'état des relations entre les employés, j'ai préféré me venger en achetant un ticket d'avion pour rentrer chez moi.

Plutôt que de poser ma démission et de devoir me taper le mois de préavis, j'ai attendu un soir où je savais qu'ils avaient besoin de moi et je ne me suis pas pointée. J'ai conscience de l'immaturité de la chose – d'autant plus que ça m'a laissé sans aucune lettre de recommandation pour mon retour en Angleterre –, mais j'avais l'impression que c'était la seule manière que j'avais de protester contre mes mauvaises conditions de travail.

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De retour au Royaume-Uni, j'ai retrouvé un emploi dans un restaurant du même genre. J'avais pris un peu de recul et je me disais que je voulais donner une seconde chance à la société britannique. Mais j'ai compris que cette ambiance de travail délétère était en fait ici la norme. J'ai dû me faire aux remarques acides – comme quand la femme d'un collègue râlait en disant que nous autres « Polacks » avions bien assez d'argent quand il s'agissait d'acheter les bougies les plus chères du supermarché à Noël.

Quand tout le monde a commencé à parler du Brexit, mes collègues disaient que le racisme et la xénophobie dont parlaient les médias relevaient plus de la propagande que de la réalité. Mais pour l'avoir vécu, je peux vous dire que ce ressenti négatif à l'encontre des immigrants existe bel et bien, même s'il est sous-jacent.

Et la façon dont beaucoup de restaurants gèrent leur personnel ne fait que creuser ce sillon.

Propos rapportés par Kamila Rymajdo.

Cet article a été initialement publié par la rédaction de MUNCHIES UK.