« Nous ne sommes pas médecins » : les politiciens derrière le « renversement de l’avortement »

FYI.

This story is over 5 years old.

avortement

« Nous ne sommes pas médecins » : les politiciens derrière le « renversement de l’avortement »

Des républicains au Utah veulent obliger les médecins à informer toutes les patientes qui souhaitent se faire avorter de l’existence d’une pilule dont les effets peuvent être en théorie renversés.

L'article original a été publié sur Broadly.

Le gouvernement républicain de l'Utah promet de déposer un nouveau projet de loi après le congé des fêtes. Selon Rewire, le représentant Kevan Stratton et le sénateur Curt Bramble proposeront d'obliger les médecins à informer toutes les patientes qui souhaitent se faire avorter de l'existence d'une pilule qui permettrait, en théorie, de renverser la procédure.

Publicité

En dépit du fait qu'il n'y a aucune preuve scientifique de l'efficacité du « renversement de l'avortement ». Les deux politiciens ont par ailleurs admis qu'ils ne sont pas nécessairement experts en la matière. « Nous ne sommes pas médecins », a déclaré Kevan Stratton à Desert News.

Qui est médecin? Tous les membres de l'American College of Gynecologists, par exemple. L'association a déclaré que le renversement de l'avortement n'a pas fait ses preuves et pourrait même être dangereux. « Les affirmations concernant le renversement de l'avortement médicamenteux ne sont pas appuyées par les données scientifiques », a fait savoir l'ACOG par communiqué, ajoutant que « les faits ont de l'importance ».

L'avortement médicamenteux requiert deux médicaments : le mifépristone et le misoprosol. Le premier, en bloquant la progestérone, entraîne un amincissement de l'endomètre, la muqueuse qui recouvre la paroi interne de l'utérus, de sorte que les ovules fécondés s'en détachent. Le second, qu'on prend de 24 à 48 heures plus tard pour provoquer des contractions, expulse les tissus.

George Delgado, l'inventeur du renversement de l'avortement et fondateur de Abortion Pill Reversal, a supposé qu'une grande quantité de progestérone prise après le mifépristone, mais avant le misoprosol, pourrait prévenir les contractions, renforcer la muqueuse de la paroi de l'utérus et renverser l'avortement médicamenteux. Ainsi, le taux de survie du fœtus varie entre 65 et 70 %, affirme Delgado. Toutefois, pour l'étude effectuée en 2012, il n'y avait que six participantes.

Publicité

Selon l'ACOG, chez les femmes qui n'ont pris que la première pilule, la grossesse se poursuit dans de 30 à 50 % des cas. Donc, celles qui prennent une considérable dose de progestérone après le mifepristone ne sont qu'un peu plus susceptibles de poursuivre leur grossesse que les femmes qui, tout simplement, ne prennent rien. « La littérature médicale montre sans équivoque que le mifépristone à lui seul n'interrompt la grossesse que dans 50 % des cas », a rappelé la Dre Cheryl Chastine à Talking Points Memo l'an dernier. « Si les médecins donnaient une grande dose de Skittles, on aurait l'impression qu'ils ont réussi à sauver la grossesse dans presque la moitié des cas. »

Comme l'ont découvert il y a quelques décennies les femmes qui ont pris la première version des contraceptifs mis en marché, qui contenait un taux très élevé d'hormones, une forte dose de progestérone peut avoir de lourds effets secondaires : nausée, gain de poids, sensibilité aux seins, perte de cheveux et même la formation de caillots sanguins. « La progestérone, bien qu'elle ne cause pas de problèmes en général, peut entraîner de sérieuses réactions des systèmes cardiovasculaires, nerveux et endocriniens, ainsi que d'autres effets », lit-on dans le communiqué.

Les groupes pro-vie demandent des restrictions de l'accès à l'avortement légal et sécuritaire, prétextant que c'est pour sauver des vies, notamment en exigeant que les cliniques d'avortement aient des privilèges d'admission ou soient en mesure d'effectuer des chirurgies d'un jour. Les partisans du projet de loi de l'Utah (et d'autres projets de loi adoptés en Arkansas, au Dakota du Sud et en Arizona) prétendent vouloir donner toute l'information aux femmes pour les aider à faire le bon choix. Mais pourquoi donner des renseignements médicaux discutables?

Publicité

« Malheureusement, ce n'est pas la première fois que des procédures chirurgicales superflues ou non testées sont requises, surtout par les États », affirme la directrice générale du National Woman's Health Network, Cindy Pearson. Mais, selon elle, l'État est loin de se mêler autant des autres spécialités de la médecine, et certainement pas de façon à forcer les médecins à donner des conseils inexacts à leurs patientes. « Ce à quoi ils s'intéressent, ce sont les droits reproductifs des femmes. »

Parmi les autres exemples d'ingérence, dans 14 États, selon le Guttmacher Institute, on oblige les femmes à passer une échographie par voie vaginale avant l'avortement. « Au Texas, les femmes se font dire que les avortements causent le cancer des seins, alors que c'est faux », affirme Cindy Pearson, en parlant du livret de consentement éclairé du Texas que les cliniques d'avortement doivent remettre à leurs patientes (26 États obligent les cliniques d'avortement à remettre des livrets semblables). « C'est un manque de respect, comme si les femmes ne pouvaient pas prendre de décisions par elles-mêmes. »

Beaucoup de militants pro-vie perpétuent cette idée voulant que les femmes ne puissent pas prendre seules les décisions au sujet de leur corps, par exemple en disséminant des informations inexactes ou biaisées. Le site web d'Abortion Pill Reversal comprend une section remplie d'anecdotes de femmes qui ont regretté leur décision de mettre fin à leur grossesse. « Toutes les femmes qui prennent le mifépristone devraient connaître la possibilité de renverser les effets au cas où elles changeraient d'idée au sujet de l'avortement », nous a répondu Delgado.

Ces tactiques sont trompeuses. Une vaste étude publiée le mois dernier montrait que l'avortement n'a que peu de conséquences sur la santé mentale de la femme. À l'inverse, les femmes à qui on ne permet pas l'avortement courent un plus grand risque d'en subir.

Cindy Pearson, qui milite en faveur des femmes depuis 30 ans, dit avoir observé que les restrictions viennent par vagues. Différentes techniques deviennent courantes, puis tombent en désuétude quand la jurisprudence montre les failles de ces stratégies. L'Utah sera le cinquième État à tenter d'adopter une loi pour que les femmes soient informées de l'existence du renversement de l'avortement. La Louisiane n'a pas réussi à faire adopter son projet de loi, l'Arizona l'a invalidée après que Planned Parenthood a porté l'affaire devant les tribunaux, mais en Arkansas et au Dakota du Sud, l'adoption de la loi suit son cours.

D'autres stratégies se sont répandues dans le passé, certaines faisant obstacle aux cliniques d'avortement en leur imposant de trop lourdes exigences, d'autres aux femmes comme les échographies par voie vaginale. L'arrêt Whole Woman's Health v. Hellerstedt de la Cour suprême des États-Unis a rendu certaines d'entre elles impossibles, ajoute-t-elle. Mais quand une voie est barrée, ils cherchent une autre voie. »

Avec Donald Trump à la Maison-Blanche et Tom Price au poste de secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, les militants pro-choix craignent de voir apparaître d'autres restrictions. « En 2010, après la réaction du Tea Party à l'Affordable Care Act d'Obama, les États ont penché vers le conservatisme, et les restrictions se sont multipliées », dit-elle. « J'ai peur que la même chose se produise. »