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Sports

Ces footballeurs camerounais qui viennent relancer leur carrière au pays

Ils ont échoué dans les championnats européens ou nord-africains et décident de revenir là où ils ont pour la plupart commencé le foot. Avec l'espoir de repartir.
Photo Christel Léger Tientcheu

« David Eto'o marque deux buts ». Voilà la nouvelle qui fait la Une des rubriques et des journaux de sports du 4 et 5 mai au Cameroun. A la télévision, à la radio, sur Internet, on relate la formidable partie du frère cadet de Samuel Eto'o. L'après-midi, l'attaquant de 29 ans a marqué deux buts dans le match de la 15ème journée de première division camerounaise qui opposait son club, l'Union de Douala, au Cosmos du Mbam (score final 3-0). Entré en jeu à la 73ème minute, il signe sa première réalisation une minute plus tard. Le plus âgé des petits frères de Samuel Eto'o marque ensuite un deuxième but.

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Ses fans, assez nombreux, jubilent. Voilà un peu plus de deux mois qu'ils attendaient un vrai coup d'éclat de leur star. Après un premier bout de match livré sans grand fait d'armes le 24 février 2016, David Pierre Eto'o s'était blessé et avait squatté l'infirmerie de l'Union sportive de Douala durant d'interminables semaines. Une situation qui pouvait paraître déprimante quand on sait l'enthousiasme qui a habité le frère du quadruple Ballon d'or Africain. Durant l'intersaison, son arrivée a fait du bruit. Certains y ont vu un simple coup de pub, n'imaginant pas qu'un joueur qui a passé deux ans sans jouer retrouve subitement le terrain. On s'est surtout rappelé que les passages de petit Eto'o en Espagne (Majorque et Murcie), en France (Sedan et Créteil) ou encore en Grèce (Aris Salonique) n'avaient pas été couronnées de succès. Des séjours émaillés de « conneries » comme le rappelle un de ses anciens éducateurs.

Le revenant reconnaît avoir « eu quelques problèmes », des « problèmes personnels », mais jure qu'il n'a jamais voulu arrêter le foot. Pas moyen, dès lors, de refuser une offre, fut-elle celle d'une pauvre formation des Tropiques. « Le coach Joseph Diallo Siéwé qui me connaissait très bien, et qui m'a détecté, m'a appelé, m'a demandé de rejoindre l'Union. J'ai dit : "pourquoi pas ?" Le challenge m'a beaucoup plu. ». Eto'o s'est engagé pour 1 an. Il explique qu'il a choisi l'Union sportive de Douala parce que « c'est le meilleur club du Cameroun ». Au bout de cette première année de contrat, David Pierre espère repartir en Europe, là où le football est mieux organisé. « Tout footballeur a l'intention de partir toujours plus loin. Si j'ai une possibilité de partir, je partirai ».

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Repartir. Tel est l'objectif des autres footballeurs expatriés qui ont rejoint un club de première division camerounaise cette année. Ils sont quelques dizaines à être ainsi venus « se relancer » sur les terrains souvent poussiéreux et inadaptés du pays. Outre David Eto'o, les plus connus sont Thierry Makon Nloga (arrivé de Tunisie), Franck Namatchoua (venu d'Angola), Joël Babanda (parti du Congo-Brazzaville), Arnaud Nseumen (venu d'Algérie) ou Eric Same Mfoumou (un ancien d'Espagne), Michel Nack Balokog (France).

C'est Amadou Fontem "Tigana" qui a convaincu une bonne partie de ces joueurs de revenir au pays. L'homme écume les championnats du Cameroun et d'ailleurs. Avec son fort accent anglais teinté d'un zeste de langue locale, il revendique 17 années de chasse aux talents. Il propose aux clubs les meilleurs et confie avoir fait revenir au bercail des joueurs « qui ne sortaient pas du lot dans leurs championnats respectifs ».

Michel Nack Balokog.

A l'intersaison passée, ce ressortissant de la partie anglophone du Cameroun a beaucoup fait affaire avec l'Union de Douala. La plupart des expatriés de ce club, soit le plus gros contingent du championnat, ont été présentés au Président du conseil d'administration Franck Happi par lui. Son souci, sérine-t-il, est de redonner au championnat du Cameroun son aura d'antan. « J'aime le Cameroun, j'aime le football camerounais. Ce football est reconnu dans le monde entier, le Cameroun est un grand pays de football ».

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A chaque fois, "Tigana" a convaincu les footballeurs expatriés avec des arguments bien choisis.« J'ai rencontré certains en Europe comme Eric Same. J'ai causé avec lui, je lui ai dit que le championnat camerounais était professionnel, qu'il fallait qu'il rentre dans son pays se relancer. Si Ronaldinho a pu rentrer au Brésil pourquoi pas toi, lui avais-je demandé ? Le championnat au pays a maintenant un niveau très élevé. Ils ont accepté », rapporte-t-il. Pas besoin de convaincre l'entraîneur de l'Union sportive de Douala. Joseph Diallo Siéwé a accepté sans hésiter des joueurs expatriés dans son effectif.

Celui que l'on présente au Cameroun comme « le premier entraîneur de Samuel Eto'o Fils » considère que c'est une aubaine pour le championnat local. Et aussi pour les footballeurs concernés. « Nous avons pensé que l'arrivée de ces joueurs expatriés était une valeur ajoutée pour notre équipe. C'était vraiment une arrivée bienvenue. Une fois je me suis rendu à la Courneuve, à Paris, j'y ai vu de nombreux Camerounais, des jeunes joueurs qui sont partis tôt de l'école de football. Je me suis demandé pourquoi eux tous ne pouvaient pas revenir au Cameroun relancer le niveau de notre championnat. Pour moi, quand ils décident de revenir ils ont bien pensé. C'est une valeur ajoutée », se réjouit celui qui a mené l'Union à la deuxième place du championnat la saison dernière. Les ex-probables futurs expatriés eux-mêmes ne se privent pas de raconter leur histoire. Chacun a la sienne, bien particulière.

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A gauche, Thierry Makon Nloga.

Le « Français » Michel Patrick Nack Balokog, né à Douala il y a 30 ans, arrive de Carquefou, club évoluant en Division d'honneur. Il a rejoint le pays depuis 8 mois. Le milieu de terrain est devenu un titulaire indiscutable au sein de l'Union Douala. L'ancien double champion du Cameroun a quitté l'USJ Carquefou qu'il avait rejoint en 2015, peu après sa relégation pour soucis financiers. Il ne regrette pas d'être passé là-bas. Loin de là. « Même s'il n'est plus un club professionnel, Carquefou le reste au niveau des infrastructures : un stade d'entraînement, un stade pour les matches. Là-bas c'était plus le jeu que l'argent. Il y avait le minimum pour moi. Je ne me plaignais pas. Les dirigeants s'efforçaient de me donner ce qu'il fallait », se souvient l'intéressé. Cependant, assoiffé de compétitions relevées, il choisit de regagner le pays. Il explique que « rester en activité dans un club comme celui-là pour quelqu'un qui part d'un club professionnel et redescend plus bas n'est pas chose évidente. Le niveau de jeu est différent de celui d'un club professionnel ». L'ex-pupille de Dynamo de Douala retrouve une terre qu'il a quittée 3 ans plus tôt à destination de la Slovénie. Nack Balokog reste trois mois sans club avant de s'engager pour un an avec Union sportive de Douala.

Situation différente pour Thierry Makon Nloga, la recrue la plus importante des New Stars de Douala. Lui, rentre au pays après - ou à cause de - l'annulation de son contrat en Angola, un pays d'Afrique australe dont le championnat attire les footballeurs grâce aux gros moyen financiers dont il dispose. Si Makon Nloga ne devient pas joueur du Progreso Do Sambizanga c'est parce que son ancien agent tunisien a bloqué son transfert au motif que le milieu de terrain camerounais lui devait la somme de 36 000 euros.

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Comme Makon « ne pouvait pas le payer à ce moment-là », l'intermédiaire s'est plaint auprès de la Fédération tunisienne qui a alors refusé de délivrer un les justificatifs nécessaires à son transfert. C'est le président du conseil d'administration de New Stars, Faustin Domkeu, qui va obtenir de la FIFA la libération de son ancien joueur et lui permettre de rejouer pour son équipe. Makon revient donc au bercail. « Cela ne me dérange pas de jouer au Cameroun. C'est toujours bon de jouer chez soi et de toujours penser à rebondir », assure-t-il, tout en refusant de façon obstinée de parler de ses deux saisons à l'Espérance de Tunis. Tout juste admet-il que son passage dans ce club lui a permis « de devenir un joueur professionnel et de connaître le monde professionnel ».

La réadaptation au football du pays n'est pas une sinécure. Entre terrains poussiéreux et rocailleux, salaires insignifiants et irréguliers, la chaleur étouffante de l'après-midi, moments auxquels sont programmés les rencontres faute d'électricité dans ce qui tient lieu de stades, les anciens « professionnels » n'ont pas beaucoup de choix. Ils doivent trimer pour espérer s'exiler de nouveau. Et, surprise, ils se font à cette nouvelle vie bien inconfortable, complètement différente de celle qu'ils ont connue à l'étranger, là où les choses semblent peut-être plus faciles. Michel Nack Balokog sait comment faire pour contourner les obstacles.

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« Tout se passe dans la tête. Si vous vous êtes dit que vous voulez vous relancer, je ne pense pas que vous devez vous imposer ces critères-là, conseille-t-il. Vous ne devez pas vous dire que vous quittez de bons terrains pour des mauvais. Vous devez juste vous dire qu'en travaillant, vous allez toujours progresser et que ça peut vous aider à aller encore plus loin. Pour ce qui est des terrains en latérite (roche rouge ou brune, ndlr), je suis né ici, j'ai vu ces terrains. Il est vrai que j'ai passé un peu de temps à l'étranger, mais chaque fois que je revenais au Cameroun je livrais des matches sur ces terrains. Il est hyper difficile de jouer sous 30 à 35°, mais ce sont les conditions de mon pays », dit-il, comme résigné.

David Eto'o, de dos.

A la fin de la phase aller Amadou Fontem "Tigana" fait valoir que les expatriés ont, par leurs prestations sur le terrain, apporté un plus à la compétition. « Ce sont eux qui relèvent le niveau du championnat camerounais », soutient Amadou. Il en conclut que « ses » joueurs sont prêts pour tenter de nouveau leur chance dans des pays aux championnats plus huppés.« Tous n'attendent que le Mercato pour partir, Eric Same Mfoumou et Frantz Pangop sont partants. Avec le Mercato qui s 'ouvre en Juin, tous partiront », révèle "Tigana". En cas de transfert d'un joueur, le club dont il défend les couleurs recevra 50% du montant de la transaction.

Le coach Diallo Siéwé salue avec enthousiasme l'apport des anciens qui ne perturbent pas l'ambiance au sein du groupe : « Si on avait pensé une seule seconde que leur arrivée allait briser l'harmonie du groupe en place, on ne les aurait pas fait venir, martèle-t-il. On a pris ceux qui avaient le profil que nous recherchions. Non on n'a pas eu peur ». Ce n'est pas vraiment l'avis du journaliste Moïse Armand Ball. Le reporter de la télévision LTM dresse un constat d'échec. Le recrutement de David Eto'o est ainsi qualifié de « recrutement folklorique » .Globalement, il n'est pas satisfait du rendement des expatriés et considère qu'il aurait été plus bénéfique de « faire avec les joueurs locaux ».

Selon lui, les joueurs qui reviennent évoluer au Cameroun ne méritent de rebondir que dans les championnats exotiques d'Asie ou de seconde zone en Europe. « Ils reviennent se relancer dans un championnat qui n'est pas très relevé. C'est un championnat relativement moyen et on ne peut pas se relancer dans un championnat qui n'a pas un certain niveau. Sauf si on se retrouve au Népal, en Azerbaïdjan ou alors en Slovaquie », analyse Moïse Armand Ball. Il croit qu'il sera difficile pour un joueur d'un certain âge qui vient se relancer au Cameroun de trouver un club évoluant dans des championnats plus huppés, en France ou en Allemagne par exemple. Ce n'est en tout cas pas le rêve de Michel Patrick Nack Balokog. Lui, le presque trentenaire, préfère se la jouer réaliste. « Pour un joueur de 29 ans, je ne pense pas qu'on vise automatiquement un pays. Le football est un travail. Si on joue au football, c'est pour gagner de l'argent. Je n'ai pas à choisir le pays. Certes, tout le monde aimerait jouer en France ou en Italie, mais je ne pense pas qu'un joueur de mon âge doivent penser à ça. Il faut juste se dire qu'il faut arriver à avoir un club où il faut gagner sa vie tranquillement ».