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Crime

Le détective qui a fait trembler la mafia, avant d'être assassiné

Le « Sherlock Holmes italien » a mené une bataille sans répit contre la Mano Nera, jusqu'à sa mort en Sicile.

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Au début des années 1900, alors que des tensions ethniques affleuraient un peu partout dans New York, un jeune détective a été chargé de combattre la Mano Nera – ou « Main noire » –, à savoir le prédécesseur de la Cosa Nostra, la mafia sicilienne. La Mano Nera, une organisation qui encourageait l'omerta et d'autres pratiques mafieuses reprises plus tard dans la culture populaire, était particulièrement brutale et s'attaquait principalement aux immigrés italiens. Les forces de l'ordre fermaient les yeux sur les agissements du groupe, les laissant s'adonner à des vols, des extorsions, des kidnappings et même des attentats à la bombe dans les quartiers de la classe ouvrière italienne immigrée ; il n'était pas rare que la Mano Nera envoie des lettres de menace à ses victimes, avec son symbole et son nom en en-tête.

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Mais Joseph Petrosino, l'un des premiers détectives italo-américains de la police new-yorkaise, n'a jamais accepté cette situation. Il a mené une croisade personnelle contre le groupe qui terrorisait les siens. Ce flic avant-gardiste a finalement été assassiné lors d'une mission en Sicile en 1909, alors qu'il cherchait à éradiquer le problème à sa source. Lorsque son corps a été rapatrié à New York, il a eu droit à des funérailles dignes de celles d'un héros. Dans son nouveau livre, The Black Hand: The Epic War Between a Brilliant Detective and the Deadliest Secret Society in American History, l'écrivain Stephan Talty nous conte l'histoire de Joseph Petrosino et de sa lutte contre le crime organisé et contre les préjugés honteux qui étaient légion à cette époque dans la société américaine.

Je me suis entretenu avec Stephan pour évoquer les idées reçues sur la mafia, l'omniprésence de la Mano Nera dans la vie des immigrés italiens et l'attitude des policiers de l'époque.

VICE : Bonjour Stephan. On pense souvent que la mafia était étroitement liée aux immigrés italiens résidant en Amérique. Or, en lisant votre livre, on comprend que les victimes étaient souvent ces mêmes Italiens. Pouvez-vous m'en dire plus ?
Stephan Talty : Ce qui m'a le plus surpris, c'est que l'idée qu'on se fait de la lutte américaine contre la pègre italienne est totalement fausse. On a l'impression que le FBI et les autres forces de police ont été mis au courant de l'existence de la pègre italienne et ont immédiatement fait bosser des mecs sous couverture pour arrêter les mafieux. Mais, en 1904, lorsque la Mano Nera s'est fait connaître un peu partout aux États-Unis, le FBI n'existait pas encore. Les polices des villes comme New York ou Chicago ne s'approchaient pas trop des ghettos italiens, en général : ils avaient déjà du mal à faire respecter la loi dans les grandes rues. C'est à cette époque-là que les pouvoirs publics ont pris peur en notant que le nombre d'immigrés italiens explosait. Les autorités – ainsi qu'une grande partie de la population – étaient persuadées que les Italiens ramenaient avec eux des traditions – omerta, sociétés secrètes, pactes de vengeance – qui allaient mettre à mal les pouvoirs en place.

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En conséquence, les quartiers italiens étaient livrés à eux-mêmes. Lorsque Joseph Petrosino a lancé un appel dans le New York Times pour que les services secrets se joignent à sa lutte, on lui a répondu que si les Italo-Américains voulaient être protégés, ils n'avaient qu'à se payer les services de détectives privés. C'était scandaleux : ces gens payaient leurs impôts, travaillaient à creuser les tunnels du métro, construisaient nos aqueducs pour nous donner accès à l'eau potable ! Une réplique tirée du Parrain, « de toute façon, ce sont des animaux venus d'ailleurs, ils n'ont ni âme ni conscience » , reflète parfaitement la manière dont les gens au pouvoir percevaient les Italiens à cette époque.

Parlons de Joseph Petrosino : était-il réellement un « Sherlock Holmes » à l'italienne ?
Il avait arrêté l'école en sixième mais possédait une mémoire photographique. Il se rappelait des visages et des noms de milliers de criminels, au bas mot. Il adorait l'opéra et fredonnait en permanence des petits airs d'opérette lorsqu'il marchait. Il était très honnête à une époque où la plupart des policiers étaient corrompus.

Mais Joseph Petrosino avait un côté sombre. Il pouvait devenir très violent, un trait de caractère typique des flics de cette époque, même s'il était différent des autres. En effet, il tabassait les suspects qu'il pensait coupables et qui allaient s'en sortir sans être inquiétés, car tout le monde était indifférent aux problèmes des Italiens. Il était recouvert de cicatrices à force de se battre dans les rues. Il a reçu des centaines et des centaines de menaces de mort, mais il n'a jamais arrêté. À mon sens, c'est une forme de courage unique.

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Les immigrés italiens et leurs descendants se battent contre les stéréotypes liés à la mafia depuis plus d'un siècle désormais. Comment Joseph Petrosino s'est-il battu contre ça à l'époque ?
Joseph Petrosino est un personnage intéressant car ambivalent. Il était italien dans son style vestimentaire, dans ses goûts culinaires et musicaux. Mais il est tombé amoureux des États-Unis. Il ressentait un amour inconditionnel pour ce pays. Dès que l'occasion se présentait, il louait les mérites des Italiens dans la presse, affirmant qu'ils étaient respectueux, travailleurs, qu'ils aimaient leurs enfants. Il voulait que son peuple ait des opportunités. Malheureusement, la Mano Nera empêchait cela.

Au début, la Mano Nera agissait à l'échelle locale, visant d'autres immigrés, c'est ça ?
Oui, au début les membres du groupe s'attaquaient à des boulangers, des patrons de bar et des ouvriers – tous Italiens. Si vous gagniez un tant soit peu d'argent à Chicago, Los Angeles ou la Nouvelle-Orléans en 1906, vous pouviez vous attendre à recevoir des lettres vous menaçant vous et votre famille.

Très rapidement, des opportunistes ont constaté le succès d'un tel racket et se sont attaqués à de nouvelles victimes : des dames patronnesses, des industriels, des millionnaires, des joueurs des Cubs de Chicago. Tout commençait lorsque vous receviez des lettres de la Mano Nera. Certaines étaient complètement bidon – elles étaient envoyées par des types qui voyaient là l'occasion de se faire de l'argent facile – mais d'autres étaient réelles.

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Comment la Mano Nera utilisait-elle la presse à son avantage ?
Les journaux se battaient pour publier les détails les plus sordides et ces histoires faisaient le tour du pays en quelques jours, ce qui popularisait les actes du groupe. Le système postal des États-Unis, très efficace, était essentiel pour envoyer les lettres de menace.

Le parallèle avec la situation actuelle est évident. Chaque vague d'immigrés se voit reprocher d'être traître à sa nouvelle patrie – une cinquième colonne, pour résumer. Pour les Irlandais, c'était le pape. Lors de sa campagne électorale de 1960, John F. Kennedy a dû affirmer lors d'un discours qu'il ne recevait pas d'ordres du Vatican ! Pour les Italiens, c'était le crime organisé. Pour les musulmans, c'est leur religion. Il y a cette idée persistante qu'« ils » n'aiment pas ce pays autant que « nous ». Il a été prouvé maintes et maintes fois que c'est faux, mais beaucoup refusent encore de l'admettre.

Sachant que tout ce discours occulte les conditions de vie généralement très difficiles de ces immigrés.
La vie des immigrés italiens au début du XXe siècle était très difficile, c'est exact. À cette époque, un immigré italien sur cinq se retrouvait mutilé ou tué sur son lieu de travail au cours de sa carrière. Lorsque le phénomène de la Mano Nera a fait surface, on a forcé certains immigrés à quitter des villes du Midwest en les menaçant avec une arme et en brûlant leur maison après leur départ. Tous ces immigrés touchaient des salaires moins importants que leurs concitoyens « blancs ». Ils étaient détestés et craints. La Mano Nera a poussé les Américains à considérer les Italo-Américains comme des conspirateurs ultra-violents, venus ici dans le seul but de détruire la République. C'était cruel.

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Pouvait-on vivre dans Little Italy et éviter ces types ?
C'est compliqué à comprendre de nos jours, mais ils étaient quasiment omniprésents. Un journaliste italien a estimé que 90 % des travailleurs immigrés étaient rackettés par la Mano Nera. Certains bâtiments étaient la cible d'attentats à la bombe, des hommes armés patrouillaient devant les maisons, les parents avaient peur que leurs enfants soient kidnappés sur le chemin de l'école. C'était une zone de guerre, qui rappelle un peu la situation du Liban à sa sombre époque.

Comment Joseph Petrosino s'est-il retrouvé en Sicile ?
Beaucoup de membres de la Mano Nera ont commencé leur carrière criminelle dans des villes comme Palerme. S'ils étaient recherchés par la police, ils prenaient un bateau à vapeur en direction de l'Amérique. C'était leur échappatoire. Joseph Petrosino est allé en Sicile pour arrêter le flux de criminels à la source, mais il a découvert que la culture de la mafia y était bien plus ancrée qu'en Amérique – ce qui a conduit à sa mort.

Comment expliquez-vous l'attitude de la majorité des policiers, qui détournaient le regard ?
C'était un mélange de préjugés, d'ignorance et de peur. À l'époque, on croyait que les Italiens étaient incorrigibles, qu'ils vivraient toujours sous le joug de criminels peu importe les moyens mis en place pour les protéger. En plus, beaucoup de membres de la police étaient irlandais, et les Italiens étaient en compétition pour prendre leurs jobs, alors pourquoi les aider ?

Ce qui est intéressant, c'est d'observer les conséquences aujourd'hui. Il y a très peu d'Italiens dans le sud du pays car ces États ont expressément demandé au gouvernement fédéral de ne pas envoyer de Siciliens dans leurs villes et leurs fermes. On peut donc dire sans exagérer que la mafia a joué un rôle dans la répartition ethnique du pays, ce que je n'avais pas compris avant d'écrire ce livre.

Petrosino était considéré comme un traître par de nombreux Italo-Américains, c'est exact ?
En effet, lorsque Joseph Petrosino a rejoint la police de New York, certains l'ont vu comme un traître, comme quelqu'un qui faisait passer ses propres ambitions avant sa communauté. Je pense que ça a été très douloureux pour lui. Il a géré ça en travaillant plus dur que les autres, en dormant sur son bureau et en tabassant encore plus de membres de la Mano Nera. C'était la guerre, et il l'avait compris.

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