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Sports

Eric Girard, de la lutte contre le cancer jusqu’à la Pro A

Champion de France avec Strasbourg en 2005, Eric Girard revient de loin après une ablation du larynx. Cette saison, son équipe du Portel a rejoint l'élite du basket français.
Photo La Voix du Nord

Le Portel, Pas-de-Calais. Petite commune de 10 000 habitants, entourée de villes qui ont fait et défait l'Histoire. Outreau est limitrophe, Calais à une petite demi-heure de voiture. Modeste club de National et de Pro B, l'Etoile Sportive Saint-Michel Le Portel Côte d'Opale n'était pas prédestiné à figurer dans les livres. Mais comme souvent dans le nord de la France, un peu par hasard comme c'est toujours le cas, l'humain va prendre le dessus et faire basculer l'histoire. Celle d'un coach et d'une équipe, dont les destins sont à jamais liés.

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« Ça doit être la chance qui m'a amené là », avoue Eric Girard, entraîneur du Portel. En 2011, l'homme est victime d'un cancer des cordes vocales. Six mois d'arrêt, de calvaire, pour lui le passionné qui ne vit que pour le basket depuis tout petit. Six mois pendant lesquels il va surtout se demander s'il pourra coacher de nouveau un jour. Volubile, grande gueule, habitué à livrer sa pensée sans concession et réputé pour son exigence envers ses joueurs, l'ancien champion de France avec la SIG de Strasbourg souhaite modifier son approche. C'est alors que Le Portel, mal en point en Pro B, vient toquer à sa porte.

« Son agent est venu nous voir pour nous le proposer, se souvient Yann Rivoal, président de l'ESSM. J'ai halluciné. Je me suis demandé si c'était LE Eric Girard, qui avait déjà gagné des titres avec Cholet et Strasbourg, qu'on m'offrait. ». Son club a peu de moyens financiers et un challenge sportif assez peu intéressant à proposer. Ça tombe bien, c'est ce que veut le coach. « Je ne cherchais pas une grosse équipe avec trop de pression, j'avais besoin de patience pour pouvoir construire », raconte Girard. Pour se reconstruire aussi.

Les deux hommes se rencontrent et accrochent immédiatement. « Ça s'est fait en un déjeuner, explique Rivoal. On est sur la même longueur d'onde alors je me ne suis pas posé de questions et je l'ai signé. » Girard débarque alors dans le Nord à la mi-saison 2012-2013. « Je connaissais rien ou très peu de choses sur le club. Je savais juste qu'il y avait beaucoup de ferveur et de passion et qu'on m'accorderait du temps. » L'entraîneur remplit l'objectif collectif de se maintenir en Pro B, l'objectif personnel d'entraîner à nouveau. A l'issue de la saison, une offre lui parvient du Liban. Avec un gros contrat à la clé. Mais Le Portel souhaite le conserver et il saute sur l'occasion. « J'ai tout de suite dit oui parce que ça allait me permettre de faire une saison complète et rester en France » se souvient-il. Surtout, il se dit qu'en cas de récidive il bénéficiera de la meilleure aide médicale et sera entouré de ses proches. Une pensée qui ne fait que lui effleurer l'esprit. Après avoir vaincu le cancer une première fois, les médecins lui avaient expliqué qu'il n'avait que 2% de chance de rechuter.

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Quelques mois plus tard, Eric Girard ressent des douleurs dans la gorge. Il va consulter un premier médecin qui lui dit de ne pas s'inquiéter. Mais son président insiste. « Mon père est mort d'un cancer de la mâchoire en très peu de temps. Je refusais que ça arrive à nouveau, alors je l'ai dirigé vers un spécialiste. » Le verdict est sans appel. Soit le coach passe sur le billard et subit une ablation du larynx avec le risque de ne plus jamais parler, soit il lui reste 4 mois à vivre. « Si j'avais eu quelques années devant moi, je serais parti avec ma famille et mes économies profiter de ce qu'il me restait comme temps », explique le technicien. D'autant que les médecins sont incapables de lui dire s'il pourra reparler un jour. Il préfère quand même tenter le tout pour le tout. « Quatre mois c'était trop peu à vivre. »

Résigné, Eric Girard prend alors rendez-vous avec son président pour lui présenter sa démission. Il ne veut pas enfoncer l'équipe, il souhaite que quelqu'un prenne le relais très vite et que tous passent à autre chose. Il explique qu'il préfère quitter le navire et remercier Rivoal pour sa confiance. « Je lui dit : "Tu veux démissionner ? Pas de souci, je déchire ton contrat. Mais avant de partir de mon bureau, prends cette pochette avec toi". » A l'intérieur, un nouveau contrat de trois ans. Girard n'en revient pas. Mais pour son président c'était une évidence. « J'ai toujours cru en lui et j'ai su qu'il pouvait revenir. Pour moi les relations humaines c'est le plus important et j'avais un si bon feeling avec Eric que je voulais qu'il sache qu'on l'attendrait. » Les joueurs aussi sont sous le choc. « Ça a été très difficile pour nous, ça nous a mis un sacré coup », se rappelle Benoit Mangin qui jouait déjà au Portel à l'époque.

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Quand il sort de l'hôpital, le coach a beaucoup de mal à s'habituer à sa prothèse phonatoire sur laquelle il doit appuyer à chaque fois qu'il veut parler. « Ne serait-ce que dire "1,2,3" ça me coûtait énormément. » Mais l'homme est un sportif, un battant. Il commence son entraînement avec un orthophoniste et le soutien de sa famille. Et six semaines plus tard, le voilà de retour sur les parquets. « Je crois que j'ai battu pas mal de records », se marre-t-il. Comme un joueur qui revient d'une blessure, Girard a aussi dû s'adapter. « Avant c'était une grande gueule, on entendait que lui. Il a fait un apprentissage et a changé », ajoute Mangin.

Ses mots, Eric Girard les choisit désormais avec beaucoup de sagesse, beaucoup de justesse. Avant de répondre, il se pose, il réfléchit. Car pour parler, il ne peut pas respirer par la bouche ni par le nez. Il puise donc dans sa respiration et se doit d'être percutant, pertinent. « J'essaie d'être clair, concis et pas tourner autour du pot. » Son débit est plus lent, ses phrases plus courtes. Mais elles vont à l'essentiel. Et surtout, quand il donne des consignes, c'est un silence de cathédrale. Pas un seul ballon ne rebondit, pas un joueur qui discute. Le calme et la concentration.

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Ses entraînements sont divisés en deux. Une partie qu'il délègue à ses adjoints, celle des exercices par poste, quand il faut expliquer les consignes, encourager les joueurs, les pousser, les motiver. Dans ces moments-là, il prend du recul, observe, toujours une main posée sur son menton comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose. Mais il ne peut plus donner de la voix comme par le passé, comme le font la plupart des entraîneurs.

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Lui s'occupe des exercices collectifs, ceux qui demandent de la tactique, du placement, et parfois quelques bretelles remontées. Il s'équipe alors d'un micro connecté en bluetooth à une grosse enceinte. Il peut donc se déplacer à sa guise et échanger avec tout le monde. Un doigt sur la prothèse, et une main sur un sifflet qu'il active avec son pouce. Un système D qu'il combine avec un langage corporel compris de tous. « Dès qu'il te regarde, tu captes immédiatement ce qu'il veut », explique Gary Chathuant, arrière au Portel. « Parfois il tape au sol aussi, tu sais qu'il y a quelque chose qui va pas », rit le joueur.

Eric Girard lors d'un entraînement collectif.

C'est en match que la situation se complique. D'autant que le Chaudron, le stade de l'ESSM, est aussi bouillant que son homonyme stéphanois. Le public nordiste a même été élu meilleur public de France à trois reprises. Autant dire qu'ici il est impossible pour Girard de se faire entendre. C'est donc son adjoint, Jacky Périgois, qui lit sur ses lèvres et donne les consignes pendant le match ou les temps morts. Une méthode qui fonctionne et a porté ses fruits.

Pendant la saison la saison 2014/2015, les Portelois réalisent un parcours hors normes en coupe de France. Ils éliminent tour à tour quatre équipes de Pro A : Le Mans, Le Havre, l'ASVEL et surtout le champion de France en titre Limoges. Avant de s'incliner en finale contre Strasbourg qui remporte son premier titre majeur depuis celui glané en 2005, époque Girard. Mais le miracle ne s'arrête pas là. L'année suivante, l'ESSM accroche le wagon des play-offs et réalise l'impossible : la montée en Pro A.

Un conte de fée indissociable de celui du coach. Girard : « J'ai rencontré des gens fantastiques ici. C'est une ville extraordinaire, des fans géniaux qui te soutiennent tout le temps. On travaille avec beaucoup d'humilité parce qu'on est le plus petit club, avec le plus petit budget. On veut déjà se maintenir et après on verra. » Eric Girard ne se projette jamais. Il a appris que c'était impossible. Alors il profite, il savoure. Et continue à montrer au monde de la balle orange qu'à force de travail, d'acharnement et de passion, un coach sans larynx et son équipe d'une petite commune du nord de la France, peuvent avoir voix au chapitre du basket français.