Cet article a été mis-à-jour en avril 2020.
Les magasins de CBD poussent comme des champignons (même jusqu’à Ypres) et le gouvernement belge a annoncé l’an dernier la création d’une agence de cannabis médicinal et thérapeutique. Après des décennies d’immobilisme, il semble que la politique belge en matière de cannabis ait évolué, mais en même temps, elle reste désespérément arriérée comparée à celle d’autres pays occidentaux. VICE fait le point.
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CBD (Cannabidiol)
Les magasins de CBD qui ont rapidement conquis les rues nous viennent de Suisse, via la France, où le soi-disant cannabis light – cannabis qui ne contient pas de THC actif – est disponible depuis beaucoup plus longtemps. Ces magasins de cannabis opèrent dans un no man’s land légal où, selon la loi, ils ne sont autorisés à vendre que du cannabis contenant moins de 0,2% de THC. D’un point de vue juridique, il s’agit de produits à base de chanvre, donc non destinés à la consommation humaine. Le chanvre et le cannabis sont la même plante, mais le chanvre est utilisé dans l’industrie du papier et du textile et ne contient donc pratiquement pas de THC.
Les producteurs de cannabis suisses ont réussi à cultiver des variétés dont le pourcentage de THC est inférieur à la norme légale et qui ont exactement la même apparence que leurs semblables riches en THC, qui elles vous mettent la tête à l’envers. Ce sont ces fleurs qui sont récemment devenues disponibles dans notre pays. Les vendeur·ses avancent que le CBD aurait de nombreuses qualités médicinales, et c’est précisément là que réside le problème.
« Les propriétaires de CBD shops ne sont pas autorisé·es à attribuer des qualités médicinales ou récréatives à leurs produits; iels sont juridiquement en infraction s’iels le font. »
En raison de l’absence de cadre juridique, les propriétaires de magasins de CBD sont obligé·es de vendre leurs produits sous forme d’huile ou produits similaires. « D’un point de vue médical et scientifique, ces magasins n’ont aucune raison d’exister », explique le toxicologue Jan Tytgat. « Les propriétaires ne sont pas autorisé·es à attribuer des qualités médicinales ou récréatives à leurs produits ; iels sont juridiquement en infraction s’iels le font. Pour moi, c’est aussi nocif que le tabac. Mais au moins, quand vous achetez du tabac à rouler quelque part, le responsable ne le vend pas comme remède contre le stress ou d’autres maux », poursuit-il.
Selon Tytgat, le fait que l’âge légal pour acheter du tabac soit passé à 18 ans est une bonne chose, et il devrait en être de même pour le CBD. En Suisse, c’est le cas. Il est maintenant aussi possible d’obtenir du CBD dans la plupart des commerces de proximité ainsi que dans les tabacs. Même des magasins tels que Lidl ont commencé à vendre du CBD. « Les magasins de CBD sont tolérés pour le moment, mais le système laisse la porte ouverte aux abus » a déclaré le professeur Tytgat.
Cannabis médicinal
Le gouvernement belge a récemment annoncé la création d’une agence de cannabis médicinal et thérapeutique. En tant qu’organisation gouvernementale, l’agence du cannabis devient responsable de la production de cannabis médicinal. L’agence délivrera des permis aux entreprises pour cultiver légalement du cannabis, uniquement pour cet usage. L’agence achètera et distribuera ou exportera alors l’intégralité de la récolte.
Cannovex a récemment levé 5 millions d’euros auprès d’un certain nombre d’investisseurs (pharmaceutiques).
Un signe que les esprits s’ouvrent de plus en plus ? Tytgat est sceptique: « J’ai une impression de déjà-vu avec le Canada et les États-Unis, où les entreprises qui produisent et/ou vendent le cannabis se sont développées sous l’influence de leurs actionnaires, afin de devenir de gigantesques sociétés à but lucratif. »
En outre, Cannovex, une startup limbourgeoise (la première à avoir obtenu un permis) prétend mener des recherches sur les divers composants du cannabis et leurs effets médicinaux, mais ces connaissances sont connues depuis des années. « Il ne faut pas non plus réinventer la roue », dit-il. En 2019, Cannovex a levé environ cinq millions d’euros auprès d’investisseurs (pharmaceutiques).
Usage récréatif du cannabis
Il y a actuellement une vague de légalisation en cours à l’international, avec le Canada et les États-Unis au premier plan – également à des fins récréatives. Aux Pays-Bas, la vente de cannabis à des fins récréatives est déjà légale, mais la culture ne l’est pas. Le Luxembourg adopte une approche différente et va légaliser la culture, la vente et l’utilisation de cannabis.
Dans notre pays, la ministre de la Santé Maggie De Block (Open Vld), déclare qu’il n’est pas question de légalisation à des fins récréatives. Toutefois, selon Tytgat, un dialogue ouvert avec tou·tes les intervenant·es à la table est dans l’intérêt de tou·tes : « Depuis 2013, je discute avec Tom Decorte et Paul de Grauwe pour la légalisation et la régularisation du cannabis à des fins médicinales et récréatives. Jusqu’aujourd’hui, le gouvernement n’a jamais rencontré toutes les personnes concernées : politiques, travailleur·ses humanitaires, propriétaires de magasins de CBD et cultivateur·ices. La politique n’écoute pas assez la science ; je pense pas qu’une guerre contre la drogue soit la solution au problème du cannabis. »
Quiconque possède un maximum de 3 grammes de weed ou une plante femelle ne sera pas poursuivi·e en Belgique. Bien qu’il y ait des exceptions à cela.
Un pas a déjà été fait. Avoir de la weed sur soi reste un délit, mais il faut savoir qu’en Belgique, ce délit reçoit la priorité la plus basse en matière de poursuites. Concrètement depuis 2005, la possession pour usage personnel (à savoir un maximum de trois grammes de cannabis ou la culture d’une seule plante de cannabis) ne fait pas l’objet de poursuites, et ce malgré l’Arrêté Royal de 2017 qui met tout le monde dans le flou.
Il existe toutefois des exceptions, comme dans certaines villes (Anvers depuis que Bart De Wever est devenu bourgmestre, par exemple), certaines communes et certains festivals, où vous pouvez recevoir immédiatement une amende, même si vous êtes arrêté·e avec un seul joint en votre possession.
En 2006, soit un an après cet assouplissement de la loi, le Cannabis Social Club Trekt Uw Plant (TUP) a été créé. Les membres de TUP peuvent demander à l’association de prendre soin d’une plante de cannabis femelle en leur nom. TUP prétend être complètement transparent et conforme à un code de conduite européen, mais l’organisation a déjà été condamnée à deux reprises et acquittée en appel. En 2017, l’association a de nouveau eu de la chance au tribunal. Les membres du conseil administratif, Els Vermeesch et Manu Moreau, ont ensuite passé 18 jours en prison et ont finalement été libéré·es. Le procureur a néanmoins décidé de poursuivre les vingt membres et employé·es de Trekt Uw Plant. Le 27 juin 2019, le TUP a été dissous par le tribunal correctionnel d’Anvers et une vingtaine de membres ont été condamné·es à des peines de prison allant jusqu’à 20 mois. Presque tou·tes les membres ont fait appel et en mars 2020, l’ASBL a lancé une campagne de crowdfunding pour couvrir les coûts du procès. Mais c’était trop tard, l’association ayant dû déposer le bilan en avril.
« Tout ça est tellement lent… Je trouve ça fou que nos politicien·nes ne se réveillent que lorsqu’iels sentent l’argent. »
À l’opposé, Chris Burggraeve, ancien dirigeant d’AB InBev, a déjà investi dans deux sociétés américaines de cannabis et a récemment appelé à la légalisation en Belgique. Le géant de l’alcool est désireux de s’introduire dans le commerce du cannabis. « Le gouvernement n’arrive pas à croire qu’il existe des moyens efficaces de cultiver du cannabis à une échelle relativement petite et de manière réglementée, alors il tente de nous contrer », a déclaré Vermeesch.
Elle considère que la tolérance des magasins de CDB et de l’agence du cannabis médicinal, qui n’a pas encore été créée, n’est qu’un grain de sable : « Tout ça est tellement lent… Je trouve ça fou que nos politicien·nes ne se réveillent que lorsqu’iels sentent l’argent. » De telles discussions sont assez hypothétiques, certains des partis du gouvernement actuel s’opposant à cette idée de légalisation à fins récréatives.
Les opposant·es peuvent se demander si on veut vraiment légaliser le cannabis. Une étude récente suggère que les personnes qui fument un joint chaque jour sont trois fois plus susceptibles de souffrir de psychose. « La même chose s’applique à la nicotine ; les fumeur·ses ont un risque considérablement plus élevé de cancer du poumon. Je pense que nous devrions traiter l’alcool, le tabac et le cannabis sur un pied d’égalité », a déclaré le professeur Tytgat. « Nous devons gérer cela de manière pragmatique. Nous aimons tou·tes faire la fête ; il y en a qui le font avec un verre de vin, d’autres avec un joint. Cependant, la différence réside dans le fait que, comme l’alcool est réglementé, vous savez parfaitement qu’il n’y a pas de méthanol dans votre vin, par exemple. Du point de vue de la santé publique, je ne trouve pas ça rassurant de savoir que les utilisateur·ices n’ont aucune idée de ce qui se trouve dans leur cannabis. »
Nous sommes donc encore loin de la légalisation et les avis divergent, mais tout le monde peut s’entendre sur un point : il est peut-être temps de passer à la vitesse supérieure niveau loi sur le cannabis.
VICE n’encourage pas l’utilisation de drogues. Pour plus d’informations sur la législation et les risques liés à la consommation de drogue, voir https://infordrogues.be/
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