parents dj Shungu, Catwar et Lefto
Culture

Du gros son et des petites fesses sales : la double vie des parents DJs

« Mon amour pour mon fils a dépassé mon amour pour la musique, de peu. Mais j'aime tellement la musique que même si je finis par avoir trois enfants, j'arrêterai pas. »
AL
Brussels, BE

Les 90s babies se rappellent de l’ultime tube « Daddy DJ », sorti en 2000, qui a bercé leur tendre jeunesse. Avoir un·e parent DJ, ça doit être cool quand même : écouter du son à longueur de journée et être sur liste partout où on veut. Mais comment ça se passe pour les daron·nes artistes ? 

Avoir des enfants c’est déjà chaud pour la plupart des parents, peu importe ce qu’iels font dans la vie. Les gosses ont des besoins, et quand iels ont besoin de maman ou papa, c’est maintenant. C’est comme recevoir des notifs sans arrêt qu’on ne peut pas mettre en sourdine. Alors comment on se débrouille si on fait du son toute la nuit et qu’on doit se lever de bonne heure pour emmener ses gosses à l’école

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Concilier vie de famille avec musique n’est pas une mince affaire. VICE a demandé à ces papas et mamans DJs comment iels font.

Ce mercredi 17 février à 19h, Bledarte tiendra une conversation sur le fait d’être mère et DJ, suivez-la sur le site du Beursschouwburg.

Christelle (Stellar OM Source), maman de Zé, 5 ans

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Christelle et son fils Zé

VICE : Salut Christelle, ton fils a cinq ans maintenant. Comment s’est passé la transition d’artiste à mère ?
Christelle :
J'ai arrêté de jouer quand j'étais enceinte de cinq mois. À mon dernier gig à Naples, plein de gens bourrés étaient montés sur scène. Déjà tu ne bois pas, donc c'est super intense et là tu te dis : « Mais qu'est-ce que je fous là ? » Ensuite j'ai eu pleins d'opportunités dont Adélaïde en Australie, mais j'étais enceinte de 8 mois, ça l'aurait pas fait avec 27 heures d'avion. J'ai sorti un disque sur le label Revenge à New York quasiment quand mon fils est né. Tous les shows que j'aurais dû faire autour de ce disque, je les ai jamais fait. Au niveau marketing, c'était pas trop ça.

Comment tu fais pour jongler avec les deux mondes ?
J'ai arrêté la musique pendant deux ans et demi et quand j'ai repris, je ne pouvais pas partir tous les week-ends, car le père de mon fils fait aussi de la musique. Donc on s’est arrangé·es pour toujours faire deux dates tous les 15 jours, à l'exception des gigs locaux. Quand je pars pour mixer, il y a comme un switch qui se fait. Quand je laisse mon fils le vendredi après-midi avec son père et que je prends le train pour aller à l'aéroport, je suis contente d’être seule, de voir d’autres gens et de faire de la musique. J'adore avoir ces moments parce que dès que tu rentres, c'est super accaparent d'avoir un enfant. Partir pour un set, c'est le moment où je peux souffler pendant 48h. 

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Après, on passe beaucoup de temps ensemble à écouter la musique. Déjà tout bébé, il savait faire fonctionner une platine. Je lui fais écouter tellement de choses, même des trucs obscurs, mais sans pousser non plus. Ce sera drôle quand ses goûts vont se développer. Un de ses premiers disques préférés c’est « Kraftwerk - We are the robots »

« Voyager avec un petit enfant, son matos son et tout le reste, c'était vraiment galère. Sur papier c'était super chouette, mais dans les faits… »

Tu l’as déjà emmené à un de tes gigs ? 
Ça m'est arrivé une fois de l’emmener à un festival en Autriche organisé par des filles superbes, féministes et queer. Elles m'ont dit : « Tu veux emmener ton fils ? C'est une super idée ! » Elles lui ont même acheté un ticket d’avion. Après, en vrai, ça avait été super lourd. Je jouais juste avant Nina Kraviz et on avait prévu que Zé dorme chez une copine. Mais vers 20h, j’ai dû débarquer parce qu’il pleurait trop. Au final, ce n'était qu’un truc d'enfant mais j'étais hyper stressée et je n'ai pas su me focus sur mon set. Je jouais vers 2h du mat’, je me suis couchée à 6h et j’étais debout à 8h30 pour passer la journée avec mon fils. Voyager avec un petit enfant, mon matos son et tout le reste, c'était vraiment galère. Sur papier c'était super chouette, mais dans les faits... 

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J’ai aussi fait un set pour The Word à Bruxelles en après-midi et j'avais demandé à un pote de s'occuper de Zé. Il n'est jamais venu donc j’ai dû prendre le petit avec moi. Il s'est mis derrière et s’est endormi. Le set était diffusé en live streaming et on y voit Zé allongé pendant les 3⁄4 du set. Vers la fin il essayait de mixer avec moi. Quand t'es seule, c'est beaucoup de boulot, mais ça fait des anecdotes dont on peut rigoler par la suite – pas sur le moment. 

En quoi tu penses être différente des autres parents en tant que DJ ?
Bah déjà, tu travailles le week-end. Puis le lundi matin, les autres parents sont prêt·es à aller au bureau alors que toi tu passes ta journée à te remettre. Ça crée un rythme complètement différent. Mais finalement, en semaine, t'es plus présente pour tes gosses par rapport à beaucoup de parents. Puis pour moi, ça a toujours été difficile de faire un truc linéaire. J’aime les personnes qui sortent des sentiers battus, qui font pleins de trucs, qui ont parfois des côtés conflictuels mais qui se retrouvent là-dedans. Je trouve que c’est enrichissant.

Louis (Shungu), papa de Sunny, 2 ans

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Louis et son fils Sunny (Photo : Alix Cleys)

VICE : Salut Louis, comment t’arrives à concilier la musique et la paternité ?
Shungu :
Avoir un enfant, c'est intense. Personne n’est prêt pour la gifle que ça donne à ton sommeil et tes humeurs. Mais ça te permet de réfléchir et réaliser des choses – j'ai des flashbacks de quand j'étais petit. Éduquer un enfant, c'est  un réel travail sur soi. J'aime être père et j'ai toujours voulu l'être. Mon amour pour mon fils a dépassé mon amour pour la musique, de peu. Mais j'aime tellement la musique que même si je finis par avoir trois enfants, j'arrêterai pas. Même si je dois travailler sur le côté, ça ne me dérange pas.

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Tu peux nous parler de la musique que tu partages avec ton fils ?
Mes parents m’ont donné le goût de la musique assez jeune, mais là on peut dire que mon fils vit avec un obsédé de la musique. Le premier gig où je l’ai emmené, c’est au SchweitZ'Air Festival. Quand je suis avec lui, je fais le DJ et c’est lui mon public. Je pense qu’il aime bien la guitare et le saxophone ; il aime le jazz, la funk et le rock. Même si au final, il n’aime pas la musique, je lui aurai transmis ma passion. C'est vrai que ça me ferait un peu mal qu'il dise qu'il aime pas John Coltrane, mais ça prend du temps et je serai patient. Ça s'apprend. De toute façon, tu ne peux pas choisir pour les gens ou les changer, même pas ton gosse, c'est une vérité absolue. 

« Mon amour pour mon fils a dépassé mon amour pour la musique, de peu. Mais j'aime tellement la musique que même si je finis par avoir trois enfants, j'arrêterai pas. »

Comment devenir père a changé ton approche de la musique ?
Quand j’ai su que j’allais être père, je me suis juste dit : « Fais un max de thune. » J’ai donc dû me consacrer plus sérieusement à la musique. 

Quand il est chez moi, je ne peux pas vraiment travailler car il est tout petit et demande beaucoup d'attention. Ça a impacté l’utilisation que je fais de mon temps. Déjà, il me faut plus de courage pour faire de la musique après avoir passé la journée avec lui car en général je suis juste lessivé. Je vais travailler sur ma musique – je dig et trie des samples, afin que tout soit prêt une fois que je m'y mets – sans vraiment faire de la musique. Mais en vrai, ça m'a donné tellement de force et de motivation que je fais la même chose qu'avant en moins de temps. Et je bosse sur de plus gros projets. 

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À quelle âge tu le laisseras sortir en soirée ?
Moi, ça fait déjà longtemps que je ne suis plus un sorteur, même si j'ai l'impression de baigner dedans en traînant avec mes potes et d’autres artistes. J’ai commencé à sortir vers 15 ans et c’est parti en couille. J’ai arrêté très vite aussi ; vers 21 ou 22 ans j’en avais marre. La musique a pris le dessus sur ma vie et je n’avais plus envie de sortir. Donc pour Sunny, pas trop tôt je dirais... Ça dépendra du lien de confiance. Il est voué à faire ses propres expériences, c’est obligé. Dans mon style d'éducation, je suis pour l'idée de tomber pour mieux se relever, sans le laisser sombrer bien sûr. J'aimerais qu'il apprenne par lui-même, c'est très important. 

Marianne (Catwar), maman de Lia, 15 mois

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Marianne et sa fille Lia

VICE : Salut Marianne, tu peux nous décrire comment avoir un enfant a changé ton style de vie ?
Marianne :
Avant Lia, pendant un moment de ma vie, je ne m'arrêtais jamais. Entre aller mixer, organiser des soirées, être bookeuse d'artistes et gérer la production dans un théâtre : c'était du sport de haut niveau. Je mixais en duo (Catwar & Lilihell), on mixait beaucoup d'électronique et du hip-hop, des sons bien dark et up-tempo. 

Enceinte, j'ai continué à mixer jusqu'à 7 mois de grossesse. Un de mes derniers sets était à Dour où j'avais mixé une heure et j'en suis sortie épuisée comme si j'avais mixé toute la nuit. Puis j'ai senti qu'il était temps de ralentir – c'est pas comme si j'allais mixer assise sur un tabouret. 

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Un peu après l’accouchement j'ai rejoué deux fois, c’était en journée chez BRUZZ et Kiosk Radio, des set plutôt chill. Le problème dans le métier, c’est plutôt de penser à ne pas se coucher trop tard parce qu'on n'arrive pas à arrêter de jouer.

La musique adoucit les meurtres

C’est comment d’être un parent DJ par rapport aux autres parents ?
C'est vrai que lorsque je disais que j'étais enceinte, quelques personnes ont supposé que j'allais arrêter de mixer, comme si c'était une évidence. Après la naissance, c'était bizarre d'être DJ et RP dans l'industrie de la musique et puis d’aller chercher mon enfant à la crèche. Ça me faisait un peu flipper. J'ai eu des moments de doute. Puis après en avoir parlé avec d’autres femmes, j'ai compris que c'était comme un syndrome de l'imposteur. Parce qu'en vrai, il n'y a pas de raison que je ne puisse pas être une agent RP, une DJ et une mère stylée. C’est absurde et ça révèle un problème dans la manière de voir le rôle des femmes dans notre société.

« En vrai, il n'y a pas de raison que je ne puisse pas être une agent RP, une DJ et une mère stylée. »

Et si Lia voulait devenir artiste avec toi ?
Lia adore la musique. À la crèche, on me dit qu'elle bouge la tête dès qu'elle écoute du son. Bon, je ne sais pas si c'est pas moi qui me projette sur elle. Son truc préféré, c’est un petit livre appelé Mes premiers airs de Reggae. Le matin, on met souvent des vidéos de COLORS et Tiny Desk à la télé, puis elle est là en train de kiffer. Le running gag chez nous, c'est justement qu'elle finisse par travailler dans une banque. 

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Comme beaucoup de parents, je veux que mon enfant soit heureuse et en sécurité. Le monde de la musique, c'est pas évident. C'est très Rock'n'Roll, on entre en contact avec énormément de choses qu'on ne voit pas dans les métiers 9 to 5 habituels. Après, si elle veut le faire, je lui dirai « Vas-y ! ». L’important c’est qu’elle soit heureuse dans ce qu’elle fait. Et tant mieux si son père (le DJ Junior Goodfellaz NDLR.) et moi connaissons le métier.

Tu l’as déjà emmené en sortie ? Quand est-ce qu’elle pourra sortir seule ?Vers un mois, mon mec faisait l'ouverture pour Angèle avec Swing au Palais 12 et j'avais aussi reçu des places en backstage via le travail. Je suis arrivée avec mon Maxi-Cosi et un casque sonore pour le bébé. Avec la poussette c'était pas possible de passer par l'accès normal pour aller au VIP. Du coup, avant que le concert ne commence, la sécurité m'a accompagnée pour traverser toute la salle. 

Pour les sorties, ça dépendra de sa maturité et des soucis qu'elle va nous créer. Certain·es connaissent leurs limites très tôt et font plus attention ; d'autres donnent de quoi s'inquiéter. Mais ouais, quand je la laisserai sortir, je pense que j'irai avec elle. 

Stéphane (Lefto), papa de Leni, 2 ans

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Stéphane et son fils Leni

VICE : Salut Stéphane, comment tu comparerais ta vie d’avant et celle après être devenu papa ?
Stéphane :
Avant, je voyageais énormément. J'étais en Belgique en milieu de semaine mais je n'étais pas souvent à la maison. Quand on a eu Leni, au lieu de partir en tournée pendant trois semaines, j'essayais de concentrer les gigs sur une dizaine de jours pour soulager la maman et éviter qu'elle perde la tête. C'est important d'être présent et de servir d'appui.

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Est-ce qu’avoir un fils t’a changé, en tant que personne ou artiste ?
D'après mes proches, je suis devenu plus soft et plus ouvert aux autres. J'ai eu toute une période où j'avais l'impression qu'on voulait quelque chose de moi, du coup j'avais tendance à me renfermer. Maintenant, je suis plus direct : quand je ne veux pas, je dis non et puis ciao. D’ailleurs, mon focus n'est plus le même. Là, je suis à 150% sur la musique, et ces 50% supplémentaires sont pour mon fils. 

Quand t'as un gosse, t'espères être là assez longtemps pour le voir devenir autonome. Je suis un workaholic et j'ai une vie intense, mais quand je voyage, j'espère rentrer pour jouer avec mon fils. À un moment, j’ai dû enlever la photo de mon fils de mon écran de verrouillage. À chaque fois que je regardais, je voyais son visage et, étant loin de lui, ça me pinçait le cœur.  

« J'ai une vie intense, mais quand je voyage, j'espère rentrer pour jouer avec mon fils. »

L’héritage musical est-il important à tes yeux ?
J'ai grandi avec un père qui écoutait déjà énormément de musique, particulièrement du jazz et puis de la pop française ou anglo-saxonne. J’ai décroché mon premier taf chez Music Mania, c'était le plus gros magasin de vinyl au centre de Bruxelles. J'étais donc à la source de la musique qui sortait ici, tous genres confondus. 

Leni a tellement de rythme en lui. Il aura entendu énormément de trucs différents très jeune et j'espère que ça le rendra ouvert d'esprit. J'aimerais l'envoyer à l’école De Muziekladder, où tous les cours sont donnés en chant, même les maths. Sa chanson préférée c’est « Incoherent Blues » de Oscar Peterson et le soir, je lui mets « Raymond Scott - Soothing sounds for baby », des sons hyper hypnotisant qui calment les enfants.  Il aime tout ce qui est hip hop et house. S'il y a de la musique, il se met tout de suite à danser et des fois, il fait comme s’il rappait avec ses mains. 

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Leni a tellement de rythme en lui. Il aura entendu énormément de trucs différents très jeune et j'espère que ça le rendra ouvert d'esprit. J'aimerais l'envoyer à l’école De Muziekladder, où tous les cours sont donnés en chant, même les maths. Sa chanson préférée c’est « Incoherent Blues » de Oscar Peterson et le soir, je lui mets « Raymond Scott - Soothing sounds for baby », des sons hyper hypnotisant qui calment les enfants.  Il aime tout ce qui est hip hop et house. S'il y a de la musique, il se met tout de suite à danser et des fois, il fait comme s’il rappait avec ses mains. 

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