Société

Le RER B est la preuve que tout le monde se fout des banlieusards

Insalubrité, retards à répétition et usagers serrés comme des sardines qui s'insultent. Pas de doute, vous êtes bien dans le B.
Justine  Reix
Paris, FR
rer b transport travail paris

À chaque arrêt, tout le monde retient sa respiration, espère voir quelques passagers descendre pour faire plus de place mais au contraire le wagon se remplit de minutes en minutes. En silence, nous avons un point en commun, notre destination, Paris. Alors que personne ne peut bouger, je lève la tête du mieux pour ne pas me faire écraser et me rappelle ces vidéos si populaires de Japonais qui se massent dans les wagons de métro jusqu’à l’asphyxie pour arriver à l’heure au travail. On en est pas loin, on est même plus efficaces qu’au Japon (pour une fois) pas besoin d’agents de la RATP pour nous faire rentrer.

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Prendre le RER B au début c’est assez sympa, on ne se pose pas de questions, tout nous paraît normal. Après tout, c’est le seul train qu’on connaît, il nous emmène dans la capitale, que demande le peuple ? Parfois, lors de sorties parisiennes exceptionnelles, on reste coincé une heure dedans sans qu’il ne bouge d’un iota, on est serré contre des aisselles inconnues mais généralement on sort juste entre potes alors on en rit. Mais bon, quand même, on entend nos parents s’en plaindre presque tous les jours en rentrant du travail. Il ne doit pas être si chouette que ça ce train. Et puis, on grandit, on commence à le prendre de plus en plus. Vient le jour où, comme eux, il faut le prendre quotidiennement et l’aventure d’aller dans la capitale se transforme en véritable cauchemar.

J’ai commencé à détester le B en allant à la fac. Pour arriver à l’heure, je prévoyais 1H30 de train aller. Le réveil hurlait tous les matins à 5H45 alors que le soleil n’était même pas encore levé. Il n’y avait pas une semaine sans une panne, un retard, une grève ou une agression dans le train. Il m’est parfois arrivé de me décourager et de repartir chez moi à pied quand mon train n’avait avancé que d’une station en une heure (véridique). Particulièrement ponctuelle, le RER m’a toujours donné des sueurs froides, surtout lorsque j’avais des examens ou des entretiens pour des petits jobs étudiants. Combien de fois ai-je dû courir pour trouver une solution et tenter de ne pas arriver trop en retard malgré les 2H que j’avais prévu pour le trajet ?

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À 22 ans, j’ai pris la décision de ne plus jamais avoir à le reprendre quotidiennement. J’avais déjà été eu affaire à des frotteurs, des voleurs et j’ai même surpris un mec prendre une photo de ma culotte et pourtant c’est un plus petit détail qui m’a décidé. En rentrant de cours, en pleine grève, les trains se faisaient rares. J’avais réussi à me glisser à un centimètre des portes coulissantes. Ouf, plus que 10 stations à faire dans cette position. C’était sans compter sur cet homme qui, à la station suivante à Gare du Nord, n’a pas hésité à me saisir par le col pour me jeter sur le quai pour prendre ma place. Le temps de me retourner, les portes se fermaient déjà sur lui. Il y a de quoi s’interroger sur le sens de la vie quand on se lève aussi tôt pour finir entouré de dingues pareils. Je n’en veux même pas à ce pauvre mec qui était probablement aussi pressé que moi de rentrer chez lui (moins poli que moi quand même).

Ceux qui n’ont jamais pris régulièrement cette ligne diront toujours qu'il suffit d’habiter moins loin mais c’est faire preuve d’une totale méconnaissance de la banlieue. Il existe deux catégories de banlieusards, ceux qui y sont nés et ceux qui y ont emménagé. La première catégorie espère souvent, une fois la vingtaine passée, habiter dans la capitale ou dans une de ses villes limitrophes. Certains passent plus de trois heures dans les transport pour aller et rentrer du travail chaque jour. Un rythme épuisant à la longue. Ceux qui restent attachés à la ville de leur enfance parviennent parfois à trouver un travail plus proche ou supportent tant bien que mal ces transports. Les autres, comme moi, ont profité de la moindre occasion pour fuir et échapper à ce temps de perdu dans le RER B.

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Mais les choses se compliquent pour ceux qui souhaitent fonder une famille. Il faut donc choisir entre un logement avec un loyer plus important (est-ce vraiment possible de payer plus lorsqu’on habite déjà à Paris et qu’on va avoir un enfant ?), vivre un 30m2 sur un canapé lit après avoir donné votre unique chambre à votre gosse qui vous le rend bien en pleurant toute la journée ou déménager en banlieue pour plus grand et moins cher. Voilà comment beaucoup de Parisiens se retrouvent à vivre en banlieue.

Tous les jours, 1 million de personnes empruntent le RER B. Un chiffre qui n’est pas prêt de diminuer puisque la RATP constate une augmentation d’environ 2,5% sur la ligne chaque année. Preuve en est du nombre croissant de personnes venant habiter en banlieue. Mais la vétusté des voies et des trains entraînent régulièrement de retards importants sur la ligne. Depuis de nombreuses années, des associations d’usagers demandent sa rénovation. Les quelques projets de modernisation en cours ne vont pas changer la vie de ces usagers. Le Grand Paris Express et sa création des lignes 16 et 17 ne devraient voir le jour qu’à “ l’horizon 2030 ” et les gares en construction se situeront, pour certaines, à l’opposé des centres-villes et des plus grandes habitations. Pour la deuxième plus grande ville du 93, Aulnay-sous-Bois, la nouvelle gare se situera à côté d’une zone industrielle et sera accessible en bus en 30min depuis le centre. Même lorsqu’il sortira de terre le Grand Paris Express ne désengorgera pas le RER B qui, contrairement aux lignes 16 et 17, se rend à Paris sans correspondances.

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Tous les projets qui concernent le B semblent être maudits et retardés voire voués à l’échec. Le CDG Express, surnommé “le train des riches” par les usagers du RER B qui devait relier la Gare de l’Est à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle pour la modique somme de 24 euros a été mis à l’arrêt par le tribunal de Montreuil en janvier dernier car considéré comme non-essentiel. L’impact sur les autres chantiers est considérable. Lors de l’instauration du projet du CDG Express, il a été décidé d’imbriquer cette ligne à une série de travaux de modernisation du RER B pour limiter les coûts. Sur l’enveloppe de 2 milliards d’euros dédiés au projet du CDG, 524 millions devaient être consacrés à l’amélioration du réseau. L’occasion de changer les voies et les caténaires qui provoquent régulièrement des perturbations du trafic depuis plusieurs années.

D’ici fin 2025, le RER B devait bénéficier de 146 nouvelles rames pour moderniser la ligne. Un contrat alloué à Alstom qui se refuse pour l’instant d’honorer la fabrication de ces nouveaux RER arguant qu’il ferait peser un trop grand risque financier sur l’entreprise. Une décision contestée par la RATP et la SNCF qui les menacent de poursuites judiciaires. Pas de bol pour les usagers du RER B qui semblent loin de voir leur quotidien changer prochainement.

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« Ça me pesait sérieusement sur le moral, je préfère passer deux heures le soir dans les embouteillages sur le périph’ que reprendre le RER B. »

Alors oui, on pourrait prendre une voiture et c’est même ce que font de plus en plus de banlieusards. Mais ce n’est pas très écolo et encore faut-il avoir les moyens de s’en payer une ainsi que l’essence et l’assurance qui vont avec. Beaucoup de jeunes actifs préfèrent malgré tout cette option au RER B. William, coach sportif, fait le trajet tous les jours entre son lieu de travail à Paris et son appartement à Drancy. Après avoir emprunté le RER B durant toutes ses études, il était hors de question pour lui de le reprendre pour aller au travail. « Je n’en pouvais plus des grèves, des retards, des trains blindés et des gens qui hurlent en permanence. Ça me pesait sérieusement sur le moral, je préfère passer deux heures le soir dans les embouteillages sur le périph’ que reprendre le RER B. Autant être tranquille avec ma musique dans ma voiture » raconte-t-il.

S’ils sont autant à préférer la voiture c’est aussi pour éviter les nombreuses perturbations dont est victime la ligne B. En 2019, 172 jours ont été perturbés sans compter les nombreux retards qui font que les usagers arrivent rarement à l’heure au travail (et non ce n’est pas une fausse excuse le RER). Alors les banlieusards ont cette douloureuse impression d’être pris pour des pigeons. Surtout lorsqu’on investit des milliards dans des trains pour touristes mais que tous les projets qui visent à rendre viable leur ligne sont relégués aux derniers rangs. Avec le métro, si une ligne ne fonctionne pas, il est toujours possible d’en prendre une autre ou au pire des cas commander un taxi. Si le RER B est à l’arrêt, le seul moyen de rejoindre Paris consiste à prendre une multitude de bus dans l’espoir de rejoindre une station de métro ou débourser une cinquantaine d’euros en taxi pour arriver à l’heure à cette réunion ou cet entretien si important. À tel point qu’il vaut mieux parfois dormir chez un ami parisien la veille d’un événement important plutôt que de faire confiance au RER B.

Pour la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France, l’état de ses transports est une des nombreuses preuves du manque d’intérêt des institutions pour la banlieue. La proportion d'habitants dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (1026 euros par mois) est deux fois supérieure à la moyenne nationale mais rien n’est fait pour que l’accès à la capitale soit facilitée. Les Français les plus travailleurs se trouvent aussi dans le RER B. Lorsque les portes des gares de cette ligne ouvrent à 5H30 du matin, sur le chemin du travail, des pas décidés se fraient un passage pour trouver une place dans les wagons, les yeux encore collés d’une nuit trop courte. Le train roule et siffle jusqu’à ce que la voix du chauffeur leur annonce qu’un incident les empêche d’avancer. « Nous vous tiendrons au courant lorsque le train pourra redémarrer. En attendant merci de ne pas tenter d’ouvrir les portes. » C’est déjà la deuxième de la semaine. Et à cette heure-là, on ne peut pas ressentir autre chose que de l’abandon.

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