Hubert Lenoir chanteur
Toutes les photos sont de l'autrice.
Culture

On a parlé de tout et de rien avec Hubert Lenoir

« Un amour qui ne peut pas exister, il bout tellement fort en toi que t'arrives pas à croire en l’injustice que c’est de ne pas pouvoir le vivre. C’est cruel. »
Zahra Benasri
Brussels, BE

Si vous ne connaissez pas Hubert Lenoir, le mec est souvent décrit comme étant un « OVNI » ou un « électron libre ». C’est pareil avec 60% des artistes me direz-vous. En langage journalistique, ça veut non seulement dire que l’auteur·e a la flemme de faire de vraies recherches sur son invité·e, mais aussi qu’il a une identité, que sa musique a de la consistance, qu’il sort du lot. Et ça c’est bon signe.

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Pour l’animateur québécois Dominic Maurais par contre, Hubert Lenoir est un idiot, un idiot confirmé, « un idiot de la ligue nationale des idiots ». Il a dit ça en 2021, et l’artiste en a repris un extrait audio dans son dernier album, PICTURA DE IPSE : Musique directe - dont la pochette est sans doute l’une des plus magnifique de ces vingt dernières années, tous genres confondus.

J’étais convaincue que Hubert Lenoir n’était pas vraiment un idiot. On l’a capté lors de son passage à Bruxelles il y a quelque temps. Et mon intuition s’est confirmée.

VICE : C’est quoi les questions que t’aimerais qu'on te pose en interview ?
Hubert Lenoir : Ben, y’en a pas vraiment. Ce serait un peu imbu de soi-même de savoir. Je pense qu’une interview c'est une conversation. Moi, je suis toujours intéressé. En fait, je suis intéressé de savoir ce que la personne a envie de me demander. Une conversation qui est intéressante, c'est être honnête avec ses réponses, mais c'est aussi que les gens soient honnêtes avec leurs questions, je pense.

Je peux imaginer qu’en promo, tu te retrouves souvent avec les mêmes questions…
À côté de la plaque je dirais, oui. Mais y’a pas de mauvaises questions non plus. Toutes les questions viennent d’un point de vue différent. D’un background différent aussi. Donc parfois, les questions peuvent être un peu insouciantes... Ou de toutes sortes, mais en même temps, ça les rend intéressantes parce que ça amène une conversation différente, face à, parfois, à de l'ignorance - « ignorance » est un grand mot.

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C'est intéressant ce que tu dis parce qu’il y avait des questions que je voulais te poser, mais je me demandais si t’en avais envie, si tu serais enclin à les recevoir.
Si je suis pas à l'aise, je réponds pas. Moi, si je pouvais avoir un micro et interviewer des gens, je pense que je le ferais. Je sais pas dans quel contexte. Et pas tout de suite. Dans longtemps. Un truc de vieux quand je serai vieux, vieux.

Tu te vois pas faire de la musique toute ta vie ?
De la musique toute ma vie, oui mais… J'ai, surtout ces temps-ci, comme une urgence de vivre. Je suis à la fin de ma vingtaine. Donc il y a des trucs que je fais maintenant, et je sais que je ne les ferai plus un jour, même physiquement. Comme tourner, dormir autant, sauter dans le public. Juste physiquement, le show que je donne, il est intense. La musique c’est toute ma vie, mais il y a juste des choses que je trouve bonnes à faire quand t’es plus jeune, puis d'autres choses qui sont bonnes à faire quand t’es plus vieux.

T’es la personne que t’aurais rêvé d’être en étant enfant ?
Je crois que oui. Honnêtement, là, je crois que oui. Virgil Abloh disait : « Tout ce que je fais, je le fais pour le moi de 17 ans. » Je sais pas si c'était pas un peu exagéré. Je sais pas si, vraiment, tout ce qu'il faisait, il le faisait pour le lui à 17 ans... mais il y a une partie là-dedans qui m'a beaucoup parlé. Quand j'étais jeune, je me sentais tellement pas à ma place dans le monde, comme un alien, un peu. J'aurais voulu voir quelqu'un qui essaie de ne pas fit in parfaitement. 

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Tout ça pour dire que si je me voyais à 14, 15 ans, je pense que je pourrais pas croire ce qui m'arrive. C'est dingue, c'est comme Cendrillon, un peu. J'étais vraiment perdu plus jeune, je savais pas ce que je voulais faire dans la vie en général. C'est plus vers 15, 16 ans que j'ai eu ce sentiment genre : « Fuck, I was born to do that shit. » J’ai été envahi d’une flamme, et ça s’est jamais vraiment arrêté depuis que j’ai 18 ans. Je suis fier de moi. Et toi ?

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Si je me revois moi-même enfant, je lui ferais un câlin et on aurait des discussions. J'aimerais bien que tous ses tabous et tous ses questionnements, elle puisse me les confier.
Oh c’est beau ! C’est comme si t’étais devenue ta grande sœur. T’as des frères et sœurs ?

Non, je suis enfant unique.
Moi, j’ai un grand frère mais pas de petit.

Mais est-ce que toi, t'as été le petit frère ?
De mon frère ? Ouais, ouais, quand même, je pense. À une période où j'avais peut-être 12, 13, 14 ans, où tu t’identifies beaucoup à ton plus grand frère, qui lui avait trois ans de plus que moi. Il y avait un peu cette relation d’idole, je le trouvais très cool. C'est lui qui m'a montré la musique en premier, du moins la guitare, parce qu'il joue du métal. 

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C'est un truc vachement mainstream ce que je vais dire attention… mais « Born This Way » de Lady Gaga. Je sais pas si tu vois ?
Ouais, je connais.

Ça m’a tellement marqué d’entendre « You’re born this way » quand j’étais ado.
Ça me donne des frissons juste à y repenser ! C'est même pas un album que j’ai écouté. Mais ce single, quand je l'entendais à la radio…

Incroyable !
Incroyable ! Les gens en ont besoin, de ces phrases, ils ont besoin d’un truc. C'est ça qui est beau dans la musique pop ! Ça permet de croire. C'est quoi la vie si t’as pas ce petit truc-là d'espoir qui te fait croire que t’es fait·e pour quelque chose ? Et qu’on n'est pas juste des ramassis de molécules. La pop c'est simple. C'est presque... Il y a beaucoup de gens qui pourraient dire que c’est niais, simplet, mais c’est ça qui est beau. 

« Depuis le début, quand tu commences à chanter en français, les gens te mettent dans une case, on épie tes textes… »

Le rap aussi souffre d'un mépris historique et de classe, qui commence petit à petit à s'estomper parce que c'est la musique la plus écoutée dans le monde.
Ça dépend du style de rap aussi. Mais oui, y’a encore beaucoup de styles de rap qui sont méprisés.

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Dans les plus grandes cérémonies en France, le rap qui est présent c’est plutôt du rap grand public.
Les autres ne sont pas dans les Victoires, c’est ça ?

Exactement. Pour en revenir à la pop, y’a ce truc où, on a tellement assimilé ça au mainstream, à la radio, au marketing, qu'on fait croire qu'elle n'a pas de fond.
Ils n'ont pas tort. Ils n'ont pas tort de dire qu'elle a pas de fond. Mais c'est quoi la définition de quelque chose qui n’a pas de fond ? Moi, ce que je trouve intéressant, c’est que la pop ne doit rien à personne, et ça rend peut-être la chose plus élastique, plus fluide, plus malléable. Parce qu'au final, les codes ne sont vraiment pas clairs. Il  y a quelque chose dans ce genre, ce terrain de jeu ou ce médium, qui est, pour moi, l'endroit où je me sens le mieux ! 

Honnêtement, c'est vraiment un style de musique où t’as l'impression que tout est possible, vraiment. Ou du moins c'est excitant. C'est intéressant parce que quand on parle du punk ou du métal, on parle de styles musicaux qui marchent selon des codes. La musique pop, elle, n’a pas de limites. Parce que tout le monde se fout de ça. 

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Mais tu trouves pas qu'il y a quand même cette exigence de la part du public francophone, même avec la pop ?
100% ! Toute ma vie, j'ai voulu fuir les étiquettes, puis fuir les cases dans lesquelles les gens voudraient me mettre. Et j’en ai vu, des cases dans lesquelles les gens veulent me mettre. Depuis le début, quand tu commences à chanter en français, les gens te mettent dans une case, on épie tes textes… Toutes formes de limitations, de cases, c'est une plaie pour l'art, pour la progression artistique, pour la jeunesse qui veut faire quelque chose de différent. C’est des trucs qui pèsent et c'est dangereux, surtout dans un contexte de musique francophone ; ça pourrait la tuer à tout jamais.

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Tu sens des limites, toi personnellement, dans ton propre travail, dans cette industrie ?
Je serais malhonnête de ma part de dire que j'en ressens aucune. J’en ressens pas beaucoup par contre, mais c'est un combat de chaque jour pour essayer de ne pas te mettre dans une situation où tu pourrais en avoir, tu vois ? C'est comme un plan quinquennal. C'est le travail, j'ai l'impression, de toute ma vie.

Tu sens des limites dans le processus créatif ou après, au moment de la sortie de ton travail ?
Tu frappes des murs tout le temps en fait. Surtout si tu veux faire les choses différemment. Faire les choses différemment, déplaire aux gens, même si c'est pas ce que t’as en tête… T'amènes les gens avec toi, vers d'autres choses. Ce qui est difficile en fait, c'est que ce sont des zones qui n'ont jamais été… C'est comme des chemins dans la neige qui n'ont jamais été débroussaillés.

La norme est un confort.
C’est pour ça qu’il faut donner tout le respect aux gens qui ont aussi tapé ces chemins-là avant. Parfois, j’ai l'impression que je suis seul, puis je me rappelle des gens avant moi aussi.

Tout comme les gens après toi. T’ouvres des portes !
C’est vrai ! On parle du jeune de 17 ans, mais ça vaut aussi pour les autres. C'est pour moi, c'est pour les autres, c'est aussi par respect pour les autres avant. Pour essayer finalement de peut-être changer le monde.

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C'est beau.
On change le monde chaque jour si on veut.

« Un amour qui ne peut pas exister, il bout tellement fort en toi que t'arrives pas à croire en l’injustice que c’est de ne pas pouvoir le vivre. C’est cruel. »

Tu me parlais du fait que t'aimerais bien, quand tu seras un peu plus vieux, prendre un micro et interviewer les gens. Comment tu te projettes dans la vieillesse ?
J'ai l’impression que j’ai en moi une personne de 8 ans, une de 15 ans, une autre qui est quand même plus du genre 42 ou 45 ans. Et j’en ai une autre de 85 aussi. J'ai comme différentes entités. Mais j’en ai pas une de mon âge, et ça me fait chier. Je me sens rarement comme mon âge. Je me sens soit extrêmement vieux ou extrêmement plus jeune. Mais pour le moi de 80, je sais pas. Parfois, j’ai hâte de vieillir pour de vrai. Peut-être que je dirais pas ça à 80 ans. Toi t’as hâte de vieillir ?

J'ai le sentiment que je vais mourir jeune. C’est trop étrange, vraiment. Mais en gros, je supporte pas qu’on me dise que j’ai le temps. J'ai l'impression qu'on rabaisse mes ambitions par rapport à mon âge.
T’as raison. C’est un des plus grands mensonges que les adultes disent aux enfants. T’as pas aucun temps, mais t'as pas tout le temps non plus ! Si j’ai des enfants, je vais leur dire : « Si tu veux le faire, vas-y, go ! » C'est pas vrai que t'as le temps.

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J'ai eu l'impression que ton projet parlait beaucoup de la vie et la mort. Dans Secret, tu présentes les condoléances aux gens qui n'ont jamais vécu de chagrin d'amour. Pour toi, une rupture c'est un deuil ?
Dans Secret, c'est pas vraiment le chagrin d'amour que je voulais illustrer, mais plus le fait de ne pas avoir un amour réciproque. Ou plutôt le fait de ne pas avoir un amour réciproque parce qu'on sait qu'on est différent. Souvent, on tombe en amour de personnes qui ne te regardent pas ! Ou qui ont juste un certain intérêt pour toi, mais ça ne pourra jamais se transformer en amour. Ou, par exemple, tomber en amour d’une personne qui n'a pas la même orientation que toi. Je trouve que c'est pas souvent exploité comme sujet. 

Tu peux obliger personne.
Oui et tu peux pas en vouloir à qui que ce soit. C'est comme un amour qui ne peut pas exister. Il bout tellement fort en toi que t'arrives pas à croire en l’injustice que c’est de ne pas pouvoir le vivre. C’est cruel.

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Je te parle de ça parce que ça m'a trop touché. Quand j'avais 15 ans, j’étais amoureuse d'un garçon qui en avait 19 et qui m'avait dit : « Ben non, t’es trop jeune. » Je me disais :  « Si seulement j'avais eu trois ans de plus… »
Puis même quand t’as le même âge… Je gravite quand même dans un milieu où il y a toutes sortes de gens, et je remarque parfois des gens qui ont comme une espèce de goût pour la normalité chez la personne avec qui ils veulent être. Et toi, tu peux juste pas leur apporter ça, même si vous vous entendez super bien. Tu sais qu’il pourrait y avoir quelque chose mais c’est comme une espèce d’attaque envers ton identité, envers qui t’es.

Comme si la personne te faisait ressentir que si tu changeais quelques trucs en toi, là elle pourrait t’accepter ?
Non, pas nécessairement. C'est juste… J'ai toujours été weird, j'ai toujours été weirdo. C'est ce que je suis. Après, l'amour peut ne pas être réciproque pour d’autres raisons qui ne s’expliquent pas.

Que ça te soit arrivé ou non, à mon sens, cette chanson parle tellement à un public plus large que tu le crois.
Je me rappelle précisément quand je l’ai écrit. Ce qui est superbe quand t’écris, c’est que t’es à la fois auteur et spectateur. Ca peut sembler vaniteux mais c’est mais c'est important de s'impressionner soi-même, puis de faire : « Oh putain, je peux pas croire que je viens d’écrire ça, là, ici ! » C'est quasiment une force ! Tu sais pas d’où ça t’est venu mais c’est apparu ! Puis, soudainement, la chanson prenait comme un sens qui était comme beaucoup plus fort. Je me sentais quand même seul quand j'ai fait cet album. Alors que je dois pas être si seul. Hello, there is anybody else ? Est-ce que je suis fou ? Est-ce que je suis seul ? C'est juste thérapeutique pour moi. 

Je me souviens d’Édouard Louis qui disait un truc du genre : « Y’a rien de moins autocentré que l’autobiographie. Plus on dit “je”, plus on donne la possibilité à d’autres de dire “je”. »
C’est vraiment super beau ! Un peu comme dans le rap, ils font ça. C’est un peu une musique qui s’est basée sur la confrontation, et le « you » n’est pas l’auditeur. J’écoutais du rap avec mon père et il disait : « Mais il m’insulte là ? », parce que la chanson disait « Fuck you ». Mais le « you » n’est pas le public, c’est les autres. Enfin bref, moi aussi j’écris beaucoup en « je » !

Bon, tu vas dire quoi au Hubert de 17 ans qui montera sur scène ce soir ?
Lui ne serait pas monté sur scène. À 17 ans, j'aurais été terrifié. Il aurait sûrement fermé les yeux, pour attendre que ça passe, je sais pas. Je lui dirais de prendre du plaisir, un maximum de plaisir. Le spectacle c’est pas compliqué, c’est une fausse croyance de dire que c’est compliqué. C’est pas important ! C’est pas compliqué ! C'est ça la beauté de ce truc. C'est éphémère, ça existe, mais c'est pas important. Ça existe dans le moment, il faut pas l'aborder de la même façon qu'on fait d'autres choses. Enfin, c’est mon avis !

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