Sports

Pourquoi tout le monde se met à l'escalade ?

Autrefois un passe-temps réservé aux nerds, l’escalade est aujourd'hui le sport préféré des mecs dans la vingtaine.
Phoebe Hurst
London, GB
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
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Photos publiées avec l'aimable autorisation des Climbing Nomads et de Daniel Mcgrath. Arrière-plan : Wikimedia Commons. Collage : Vice Staff.

Chaque samedi à midi, James se rendait au bar avec ses amis, où il buvait en moyenne une dizaine de pintes. Mais il n'a pas bu une goutte d’alcool depuis octobre. Il ne va presque plus au bar et suit désormais un régime végétalien. « C'est un revirement radical », dit-il. La raison ? Il y a environ cinq mois, James a été invité par un ami à une séance d’escalade en salle dans le nord du Tyneside, en Angleterre, où il vit. James n'avait pas fait de sport « depuis Dieu sait combien de temps », mais il avait beaucoup aimé Free Solo, un documentaire qui retrace l'ascension sans corde d'une paroi rocheuse de 900 mètres dans la vallée du Yosémite par le grimpeur californien Alex Honnold. Il s'est dit qu'il allait tenter l'expérience. « Depuis, l’escalade m'obsède complètement », dit-il.

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Après cette première session, James a commencé à se rendre au mur d’escalade trois ou quatre fois par semaine. « Ce n'est pas seulement l'aspect physique qui me plaît, mais aussi le travail cérébral, car il faut appréhender les parcours au préalable », explique-t-il. James n'est pas le seul à avoir cette nouvelle obsession. Ces deux dernières années, l'escalade a connu un boom de popularité. En 2018, le Guardian a noté que ce sport était passé de l’activité de niche à la
« sensation mondiale », et que le nombre de personnes le pratiquant augmentait de 20 % chaque année. L'année dernière, le site The Cut se demandait : « Pourquoi tout le monde se met soudainement à faire de l’escalade ? », citant Zac Efron et Brie Larson parmi les célébrités ayant succombé à la mode. Le succès de documentaires comme Free Solo et The Dawn Wall – où l’on voit l'alpiniste Tommy Caldwell combattre des terroristes et perdre un doigt, avant de réaliser une première mondiale en escalade libre – ont également contribué à faire connaître l'escalade à un plus large public.

« Il y a quelques années, quand j’allais en soirée, je saoulais tout le monde avec mes histoires d'escalade, raconte Pez, qui vit à Londres et pratique l'escalade depuis plus de huit ans. Mais aujourd’hui, dès que vous abordez le sujet, les gens ont des étoiles dans les yeux et vous parlent de The Dawn Wall. »

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Brett Ffitch des Climbing Nomads s'attaque à un bloc en plein air. Photo publiée avec l'aimable autorisation des Climbing Nomads.

Si les femmes sont bien représentées dans l'escalade professionnelle, le milieu amateur semble attirer davantage un public jeune et masculin. Vous connaissez probablement au moins un type dans la vingtaine ou au début de la trentaine qui n'arrête pas de parler du mur qu'il a escaladé le week-end dernier. Le même type qui arrive en soirée avec une veste Patagonia, qui suit une sélection méticuleuse de grimpeurs californiens sur Instagram et qui connaît par cœur les itinéraires du Mont-Blanc. D’ailleurs, il vient de claquer 100 balles dans une paire de chaussons d'escalade La Sportiva. Oh, et il a maintenant des biceps.

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« Contrairement à une salle de sport normale ou à un sport d'équipe, l'escalade a une composante sociale très importante. Pendant les pauses, il y a de nombreuses occasions d’engager la conversation »

Brett Ffitch et Sophie Cheng sont deux instructeurs d'alpinisme qui enseignent au Royaume-Uni et en Europe et dirigent la chaîne YouTube Climbing Nomads. Ils disent avoir constaté une augmentation des abonnements à leurs cours ces dernières années. « La plupart des cours que nous organisons sont suivis par des personnes qui ont appris à grimper sur un mur d’escalade et qui souhaitent mettre leurs compétences en pratique, explique Ffitch. C'est la tendance actuelle. Vous apprenez les bases en salle avant d’essayer en plein air. »

L’escalade en salle, qui consiste à escalader un mur de quelques mètres de haut à l'aide de prises en plastique colorées, est surtout pratiquée par les citadins. Contrairement à l'escalade à la corde ou au plomb, elle ne nécessite pas l’utilisation de cordes ou de baudriers, et peut donc être pratiquée assez facilement. « C'est devenu plus accessible, dit Cheng. Il n’y a plus besoin de prendre la voiture pour aller quelque part. »

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James sur un mur d’escalade de Newcastle. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Daniel Mcgrath

Adam, un jeune londonien, a commencé à s'entraîner sur un mur d'escalade il y a six mois, après une rupture. « J’imaginais une bande d'intellos dans un espace clos avançant lentement en s’accrochant à ces petits bouts de plastique collés aux murs, dit-il. Je pensais que ça allait être du gâteau, mais ça s’est avéré être un défi, tant physiquement que mentalement. » Depuis, il ne peut plus s’en passer et grimpe régulièrement.

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Robin, également originaire de Londres, a commencé à faire de l'escalade avec quelques amis et en a rapidement fait son nouveau passe-temps. « Après trois à six mois, j'ai acheté des chaussures spéciales, dit-il. J'ai commencé à y aller plus souvent et j'ai réalisé que j'aimais vraiment ça. Maintenant, je me lève à 5 h 45 du matin pour grimper à 6 h 30, deux ou trois fois par semaine. »

« Le stéréotype du grimpeur »

L'escalade donne aux hommes l'occasion de s'initier à l'équipement et à la technique. Pour Robin, c’est comme faire « un puzzle interactif en 3D avec son corps ». Le subreddit r/climbing regorge de selfies vertigineux et de conseils pour éviter les douleurs au coude. De nombreux grimpeurs de renom, comme le norvégien Magnus Midtbø, postent des vidéos visionnées par des centaines de milliers d'abonnés. « A la fin, on devient obsédé par tout ce qui a trait à l’escalade, explique James, qui regarde des vidéos d'escalade lorsqu’il n’en fait pas. C'est bizarre. J’ai un côté très geek en ce moment. Ça ennuie beaucoup ma famille et mes amis. »

L’autre avantage de l'escalade, c’est que vous faites du sport sans avoir l’impression d’en faire. « Il est intéressant d'observer les différents types de grimpeurs, explique Pez. On pourrait penser qu'un type avec des avant-bras hyper musclés sera un bon grimpeur, alors qu'en réalité, ce n’est pas toujours le cas. Si vous faites de l’escalade en dévers (sur un profil en surplomb ou sous une paroi horizontale), vous devez avoir de bons muscles du dos et de la poitrine, et vous devez également être très précis avec vos pieds. Disons que les clichés habituels du "mâle puissant" sont inversés avec l'escalade. »

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Grimper la peur en tête

Pour les jeunes qui pratiquent l'escalade, cela va au-delà de l'exercice physique et mental. Contrairement à une salle de sport normale ou à un sport d'équipe, l'escalade a une composante sociale très importante. Pendant les pauses, il y a de nombreuses occasions d’engager la conversation. « L'escalade est un sport très bavard », dit Pez. Robin est d'accord : « J’ai arrêté la musculation il y a peu. Je me suis rendu compte que j’allais à la salle, je soulevais des poids et je ne parlais à personne. Alors qu’à l'escalade, je rencontre tout un tas de gens qui m'encouragent. »

On a déjà beaucoup parlé des difficultés qu'éprouvent les hommes à entretenir des amitiés dans la vingtaine, que ce soit en raison de problèmes liés aux horaires de travail ou d’un manque de conscience de leurs propres besoins émotionnels. Une étude réalisée en 2015 au Royaume-Uni a révélé que 12 % des hommes de plus de 18 ans n'avaient pas d'ami proche à qui parler de leurs problèmes. L'escalade permet de rencontrer un groupe de personnes chaque semaine et constitue un bon antidote à ce manque. « Pendant la majeure partie de ma vingtaine, j'ai vécu avec six de mes meilleurs amis, et maintenant qu’on a presque tous la trentaine, on se voit à peine. Plus on vieillit, plus il devient difficile de voir ses amis. Mais l'escalade est une bonne excuse pour voir des gens. En plus, on fait de l'exercice et on s'amuse », dit Robin. « Pour moi, dit Adam, le plus important était de trouver une activité sociale qui n'implique pas d'alcool. »

Tous ceux à qui j’ai parlé sont conscients du stéréotype du « grimpeur » : « Un type qui enlève son t-shirt sans raison sur le mur d'escalade », selon Pez ; « Un type qui travaille dans la technologie », selon Robin, mais ils ne s'en inquiètent pas trop. Ils ne montent pas pour imiter les exploits des grands comme Alex Honnold, mais pour l'aspect social. « L'escalade a complètement changé ma vie, dit James. C'est un sport que je recommanderais à n’importe qui. » L’époque de ses beuveries interminables au bar semble bel et bien révolue.

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