Société

Avec le mec qui a tiré sur le bison d'un Buffalo Grill avec des flèches

Le dénommé Gilbert Coqalane a passé 24 heures en garde à vue pour ses méfaits. Forcément, on lui a posé la seule question qui vaille : pourquoi ?
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
performance Buffalo Grill France
@ Antoine Caclin

Il y a une semaine, un homme en costume était interpellé à Essey-lès-Nancy, près de la capitale de Meurthe-Et-Moselle, pour avoir tiré sur le faux bison du Buffalo Grill du coin avec un arc et des flèches. Selon la légende, un cuisinier serait sorti en hurlant : « Mais arrêtez, il est déjà mort ! »

Mais ce qui aurait pu être un coup de folie de plus dans ce monde de plus en plus cinglé s’est avérée finalement une performance artistique, qui s’intitule « Ecocide » et signée par un artiste et plasticien local qui se fait appeler Gilbert Coqalane.

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Forcément, on a essayé d’en savoir un peu plus avec le personnage, en se demandant si pour capter l’attention dans l’art contemporain désormais, il fallait pousser le bouchon jusqu’à s’attacher une poule au bout des couilles ou s’enfermer dans des blocs de pierre pendant un mois. Ou alors, tout simplement, si la vie n’était désormais pas devenue un gigantesque épisode de Groland des années 90. Et qu’il fallait donc agir en conséquence.

VICE : Selon le journal l’Est républicain, vous avez donné des explications « psychoartistiques » aux policiers lorsqu’ils sont intervenus ?
Gilbert Coqalane : Effectivement, c’est un terme qui émane du journaliste de l’Est Républicain. Mais donc effectivement, on peut se demander « pourquoi des flèches sur ce bison ? » Moi je suis artiste contemporain depuis 12 ans, par conséquent ça m’amène à observer l’espace public, les centres urbains, les zones commerciales, le milieu rural, parce que j’habite à la campagne. Et j’avais repéré ce bison rouge, il était dans mon esprit depuis plusieurs années.

Je travaille beaucoup sur l’animalité, sur les rapports entre l’animal et l’homme. Je puise aussi bien mes références dans la science, l’archéologie, les faits de société. Je faisais des recherches sur l’écocide, le nouveau terme juridique, qu’Emmanuel Macron a réfuté récemment lors de la convention citoyenne [Convention nationale citoyenne pour le climat annoncée à la suite du grand débat national, NDLR]. Ensuite il y a eu l’actualité qui s’est accélérée.

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Ça fait longtemps que vous avez travaillé dessus ?
Oui, j’y ai travaillé pendant un mois. Et justement je me suis dit, j’ai fait un lien entre les deux, ce fantasme du bison et cet écocide. C’est certainement le premier écocide de l’homme, qui a fait disparaître les bisons des plaines américaines, en tout cas certainement le 1er écocide de l’homme blanc. Donc pour moi je me suis dit, j’ai fait le lien, j’ai construit cette performance, je me suis préparé, je me suis renseigné auprès de mon avocate. Spécialisée en droit environnemental, ça l’intéressait fortement, j’ai préparé ma performance comme d’habitude. J’étais en costume-cravate, comme généralement dans mes performances. Et dans mon atelier j’avais un arc et des flèches dont je me suis servi pour d’autres occasions, pour d’autres expositions. Et voilà le cheminement s’est fait assez rapidement.

Gilbert Coqalane

Quelle est la frontière entre l’humour et la farce ? On peut se demander si un moment la blague ne prend pas le pas sur la performance.
C’est quelque chose à quoi je réfléchis depuis longtemps. Depuis toujours je travaille sur cette notion d’humour. Pour moi c’est très important, et c’est une notion qui est sous-représentée dans l’art contemporain. Comme vous dites, les frontières entre l’humour et la blague sont assez minces. Mais il y a des choses que je contrôle, d’autres que je ne contrôle pas. On n’est pas voué en tant qu’artiste à tout contrôler. Derrière il y a mon site, mes explications, etc… pour les personnes que je touche qui ont la curiosité d’aller plus loin.

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Mais pour moi l’humour intervient dans l’étude de l’art de la performance. Ça consiste à se mettre dans une position honteuse, dans un état de honte, voire même de soumission, et ça consiste à travailler dessus. En partant du principe qu’un être humain ne peut pas faire ça de façon intelligente, c’est justement ce qui attire les gens. Mais après il y a toujours quelque chose derrière. L’idée c’est de travailler sur la tromperie, le mensonge.

Comment les forces de l’ordre ont réagi à tout ça ?
J’ai fait 24 heures de garde à vue. Les forces de l’ordre ne sont pas amenées à rencontrer ce genre de situation. Par conséquent ils ne pensent jamais à une performance artistique. En général on pense que j’ai un problème médical / psychiatrique. Mais dès que les forces de l’ordre sont arrivées, j’ai posé l’arc. J’ai fait le baiser du torrero, qui consiste lors de la mort du taureau à enlacer le taureau. J’ai répondu aux questions, je me suis laissé menotter et ça s’est plutôt bien passé. Lors de la GAV, une fois qu’il y a un nom d’artiste, un CV artistique lors de la déposition, en général ça se passe plutôt bien. En tout cas les policiers ont été très professionnels, ils faisaient juste leur travail.

Gilbert Coqalane

Cette performance s’inscrit dans un projet artistique plus large de votre part, « Structure et des structures » ?
Il y a 3 projets artistiques. « Structure et des structures » traite de l’animalité, des liens entre l’homme et l’humain. Il peut y avoir des sculptures, des performances, j’aime bien varier les disciplines. Cependant, avec la tournure que prend la performance « Ecocide », j’ai décidé qu’elle serait en cours jusqu’au 4 janvier 2021. D’ici cette date il va y avoir d’autres événements, d’autres performances, d’autres productions artistiques. Et je vais intégrer mes deux autres projets, « Contenant contenu », qui traite du mobilier, de l’espace public, et « Ressources humaines », sur la notion de travail, de la valeur travail.

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« “Ecocide” est ma performance qui a eu le plus de couverture médiatique, par conséquent je pense que le bison va longtemps résonner dans ma carrière artistique, c’est évident »

Quand j’ai découvert la performance, un ami m’a dit que ça lui faisait penser à un épisode de Groland des années 90. Ça m’est un peu resté, et je me suis demandé si à l’heure de la post-vérité, en tant qu’artiste, il fallait créer de la fiction sur de la fiction pour s’adapter à un réel de plus en plus taré ?
Effectivement, pour moi c’est très important de jouer de la réalité, tout en étant intégralement dedans. En tant qu’artistes, on est souvent dans l’entre-soi. J’aurais très bien faire cette performance dans une galerie, ou dans un centre d’art privé, mais pour moi c’était important de le faire là. Toutes ces choses que vous avez perçues, c’est des réflexions que beaucoup de gens peuvent avoir. Mon truc c’est de chercher les failles, mais aussi chercher le récit, ce qui peut déclencher une réflexion. C’est tout un travail d’analyse, mais effectivement je me sers pleinement de la réalité, en l’intégrant dans un travail artistique qui pourrait être intemporel. Le but est de mettre en relief qu’il y a toujours une forme d’absurdité dans toute organisation sérieuse.

C’est votre performance qui a reçu le plus de résonance ? Vous avez déclaré que vous vouliez la pousser dans le temps.
Oui, car avec certaines performances, j’aime y intégrer ma vie personnelle. Par exemple j’ai rencontré Yves Klein, un vrai homonyme d’Yves Klein, et j’ai ses tableaux chez moi. En fait je peins des œuvres Yves Klein que l’homonyme signe, je peux avoir des œuvres d’art privées de grands maîtres, en y insérant la vie réelle et la vie fictionnelle.

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« Ecocide » est ma performance qui a eu le plus de couverture médiatique, par conséquent je pense que le bison va longtemps résonner dans ma carrière artistique, c’est évident.

Gilbert Coqalane

Qu’en est-il du Buffalo Grill ?
Eh bien justement, par la suite l’équipe du restaurant a découvert mon travail artistique, ce qui les a poussé à ne pas porter plainte. Le directeur du Buffalo Grill m’a contacté, et moi, par respect, ne serait ce que pour avoir perturbé le réel, je me suis présenté à lui, j’ai expliqué ma démarche, et j’ai présenté mes excuses aux employés, je leur avais peut-être donné du stress supplémentaire en plein travail`. Avec ce directeur je suis en train d’écrire la suite, c’est possible que la chaîne Buffalo Grill soit une des protagonistes de ma performance prochainement.

C’est vrai qu’un cuisinier est sorti du restaurant pour vous dire d’arrêter, que le bison était déjà mort de toute façon ?
Oui ça c’est assez flou dans mon esprit, car j’étais concentré sur ce que je faisais, mais j’ai vu ça dans des rapports ensuite. Tout ça a été reçu avec beaucoup d’humour au final. On m’a beaucoup filmé, pris en photo, et ça a circulé sur les réseaux sociaux. Apparement aujourd’hui, certaines personnes se prennent en photo à côté du bison.

D’une certaine manière la performance continue sans vous.
Oui c’est ça. Il y a un principe de confidence, de complicité. Ce qui me laisse de quoi faire avant la date du 4 janvier.

Pourquoi cette date du 4 janvier 2021 d’ailleurs ?
C’est juste la date de ma convocation au tribunal de Nancy. Je me dis que la performance peut au moins continuer jusque là.

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