On a tous, à un moment dans notre vie, été poussés vers la quête de notre vérité individuelle. Pour certains, l’atteinte de ce stade d’illumination prend plus de temps que pour d’autres. C’est le cas de Kanye West, une de mes idoles, que j’admire, respecte et aime beaucoup plus que certains membres de ma famille. Mais, parfois, nos idoles ont tort, et c’est important de le reconnaître.
Kanye West fait beaucoup parler de lui depuis quelques semaines. Ça a commencé par de bonnes nouvelles : les annonces d’un projet avec Kid Cudi, d’un album solo et d’un album produit pour Nas. Mais il a par la suite tweeté pas mal de trucs cryptiques, fait des commentaires qui ont blessé plusieurs personnes, puis brisé la glace en affirmant, haut et fort, son amour pour Donald Trump, qu’il décrit comme étant son « boy ». Pour couronner le tout, lors d’un passage à TMZ mardi, il a dit que l’esclavagisme aux États-Unis lui semblait avoir été « un choix » fait par les Noirs.
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Avant de commencer, je dois souligner deux choses. Premièrement, je ne connais pas Kanye. Je n’ai jamais eu la chance que plusieurs de mes amis ont eue de m’asseoir et converser avec lui. J’ai par contre entendu certaines des histoires les plus improbables issues de leurs entretiens. Deuxièmement — et je le répète — je suis un énorme fan de Kanye. Je n’ai habituellement pas de problèmes à me défaire des gens dont j’aime la musique lorsqu’ils adoptent un comportement problématique. À cet effet, j’ai fait le choix de bannir la musique de plusieurs artistes lors de mes soirées, que ce soit XXXtentacion, Kodak Black ou quiconque a fait du tort à des groupes marginalisés. Il y a vraiment seulement deux personnes qui ont un passe-droit : Kanye et Morrissey.
Ça m’a un peu amusé, la semaine dernière, quand Kanye s’est mis à tweeter des trucs pro-Trump et que la toile s’est enflammée. Pour une fois, la population générale comprenait un peu ce que c’est d’être un fan de Morrissey ces dernières années. L’ancien chanteur des Smiths (et artiste solo accompli) est une des figures les plus polarisantes du monde de la musique. Il est un parolier hors pair, sûrement un des chanteurs les plus influents de tous les temps et un génie musical. Mais il est aussi, parfois, quand l’envie lui prend, un gros cave qui s’amuse à idolâtrer Nigel Farage et faire des commentaires racistes.
Il y a bien sûr une distinction à faire entre les deux. Lorsque Kanye dit qu’il aime Trump, ce qu’il veut dire, c’est qu’il aime que quelqu’un de complètement sous-qualifié pour le poste puisse devenir président des États-Unis d’Amérique. Il aime Trump en tant que concept, en tant qu’ idée, et non pas les idées et les concepts de Trump. Par contre, lorsque Morrissey dit qu’il aime Nigel Farrage, il veut vraiment dire qu’il aime ses idées, car, comme on le sait tous, Morrissey n’aime personne en tant qu’humain.
Kanye était censé être notre champion, dans la communauté du hip-hop, et il avait tous les atouts pour réussir. Il vient de Chicago, la capitale du crime Noir-contre-Noir; son père était un militant célèbre au sein du mouvement pour les droits civiques; et sa mère était directrice du département d’anglais à la State University de Chicago. Lui, il était l’enfant prodige, qui avait grandi entre les States et la Chine, le génie musical qui a failli mourir, mais qui s’en est finalement sorti. Le drop-out avec qui tout le monde voulait collaborer et qui avait cette habileté surnaturelle à faire passer dans ses chansons des messages percutants et importants sans pour autant sacrifier leur musicalité. De la même manière, Morrissey était le poster boy de la scène indie britannique pour la classe moyenne, qui ne se reconnaissait pas dans The Clash ou Wham!. Mais il était plus subtil, il feignait de ne pas vouloir l’attention, mais continuait néanmoins d’accaparer le spotlight.
La communauté du hip-hop, et surtout la communauté noire, a élevé Kanye à un statut de saint. Il pouvait faire ce qu’il voulait — et il le faisait. On était derrière lui malgré tout. Il a « volé » les cinq minutes de gloire de Taylor Swift aux Video Music Awards, mais on ne l’a pas abandonné, parce qu’après tout, il avait fait Jesus Walks. Il attaquait des paparazzis, mais on le gardait près de nous, parce que les médias de masse (majoritairement blancs) ne pouvaient pas comprendre le stress que vit un homme noir dans l’œil du public, surtout s’il est erratique comme Kanye et devient pour certains racistes l’archétype du « noir fâché ».
comprendDans les dernières semaines, voire les dernières années, la flamme semble s’éteindre entre Kanye et, franchement, le monde réel. Il enchaîne, coup sur coup, les faux pas et commence à perdre certains de ses plus fervents défenseurs. Il déçoit pas mal de monde avec ses tweets pro-Trump, son admiration pour Candace Owens et toute son attitude bizarre que plusieurs voient comme étant anti-Noirs. Personnellement, je ne vois pas les choses de cette manière-là. Je ne dis pas non plus que j’ai raison, car personne ne sait vraiment ce que pense Kanye sauf lui, et j’ai parfois l’impression que même lui ne sait pas ce qu’il pense.
soundbites soudbites soundbite soundbites,Ce qu’il voulait dire, c’est qu’il ne comprend pas pourquoi les esclaves noirs ne se sont pas réunis plus tôt afin de renverser le régime esclavagiste. Vraisemblablement, il manque à Kanye des éléments importants du système qui a rendu possible l’esclavagisme, que ce soit le fait que les réunions entre esclaves étaient limitées, le fait qu’un meilleur monde ne les attendait pas au-delà de leurs plantations, et le fait que littéralement tout était mis en place pour qu’ils ne puissent rien faire pouvant troubler l’ordre établi. Kanye a dit un truc de gros con que je ne daignerais excuser sous aucun prétexte.
En 2016, le monde entier a suivi en direct la descente aux enfers de Kanye West. Il a été hospitalisé après des mois de breakdown, et, pendant un moment, on n’a plus entendu parler de lui. Plusieurs de mes amis qui l’ont côtoyé m’ont rapporté que, dans les mois avant son hospitalisation, sa descente aux enfers était perceptible. On sait maintenant qu’un problème de dépendances aux opioïdes l’a mené vers une dépression sévère.
Dans une longue entrevue avec Charlamagne tha God publiée sur son site web, Kanye révèle qu’il voit sa dépression comme un « breakthrough », une percée. Depuis, il fait et dit ce que bon lui semble, encore plus qu’avant. Il se perd dans ses idées et accepte que ça fait partie du processus de la pensée. Comme James Joyce, Kanye est devenu un adepte de ce qu’on appelle le « flux de conscience », c’est-à-dire d’exprimer tout ce qui nous passe par la tête, dans l’ordre auquel les mots nous viennent, et de voir cela comme étant essentiel au processus créatif. Kanye, lui appelle ça le « free thought ».
peak Kanye accepteMais peut-être, aussi, que quelque chose de plus gros se trame. Une théorie (plutôt convaincante) publiée sur Pigeons & Planes veut que Kanye soit en plein milieu d’une performance artistique inspirée par Andy Kaufman et orchestrée, entre autres, par son collaborateur Tremaine Emory. Kanye serait en train d’emprunter à David Hammons, un artiste dont l’art est une critique des clichés sur ce que c’est que d’être noir en Amérique; à Joseph Beuys, qui s’est enfermé pendant trois jours dans une pièce avec un coyote, pour illustrer le fait que l’Amérique doit se réconcilier avec ses maux (dans ce cas-ci, Trump et la droite) afin de pouvoir passer à une autre étape; et à Andy Kaufman, l’artiste et humoriste dont la carrière en entier repose sur le fait de jouer un personnage controversé qui brouillait la ligne entre la réalité et la performance.
Selon cette théorie, tout cela va se solder par la sortie de son album, en juin. Si c’est vrai, c’est fucking cave. Ça serait de l’hubris insensée de la part de Kanye que de penser qu’il sera capable de mettre fin aux tensions raciales, sociales et politiques qu’il aura suscitées. Dans un contexte social comme le nôtre, la musique (et l’existence) de Kanye est censée agir comme un baume, une lumière d’espoir. Mais en ce moment, il est en train de nous décevoir au nom d’une cause qui est, certes, noble; mais il s’y prend de la pire manière possible. Si c’est vraiment ce qui se passe, c’est inexcusable.
Si j’ai peur que Kanye devienne Morrissey, c’est qu’il commence à exhiber les mêmes signes avant-coureurs qui ne peuvent simplement être excusés par la crise de la quarantaine. La réaction du Kanye normal, de notre Kanye, face à la critique à propos de ses déclarations sur l’esclavagisme, aurait été de s’excuser. Au lieu de ça, il se plaint qu’on ose le critiquer pour avoir eu une idée. Comme Morrissey, Kanye adopte la posture du martyr, du génie incompris, de celui que l’on juge à tort parce qu’on est pas capables de comprendre l’étendue de son intelligence et de son illumination.
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Kanye, on t’aime, mais on est épuisés de devoir constamment te défendre. On ne te demande pas d’atténuer ton « énergie de dragon », on ne te demande pas de rester confiné au monde de la musique et de la mode. On est intéressés par ce que tu as à dire. Mais tu dois te rappeler que tes paroles et tes gestes ont des conséquences. Tu es libre de dire ce que tu veux, mais on est aussi libres, parfois même obligés, de te le dire lorsque tu as tort. Il est impératif que tu comprennes que certaines choses te gardent à l’écart de la réalité quotidienne de la plupart des gens. Si tu veux réellement être un représentant du peuple, la voix d’une génération, tu dois aussi écouter cette même génération quand elle te dit que tu as tort.
Tu te diriges à toute allure vers quelque chose qui est l’antithèse du Kanye qui était notre héros. Suis ta vérité comme bon te semble, mais ne deviens pas Kanye le supervilain, celui qu’on se sent mal d’aimer malgré tout. Ne deviens pas notre Morrissey.