« Le gang-bang est une célébration du plaisir. Le mien, avant tout. Moi, je me sers ; eux, ils n’ont pas d’autre choix que de me partager ». L’autobiographie de Katsuni recèle quelques pépites. La pornstar des années 2000 s’y dévoile comme jamais. Et dessine les contours d’un féminisme bien à elle – jouisseur et badass.
Car pour Céline Tran, de son vrai nom, son destin est simplement celui d’une femme qui n’a jamais cessé de « revendiquer son droit à aimer ça ». C’est par « gourmandise », par jeu, par défi, qu’elle s’est lancée dans l’industrie du X. Et par la suite, le plaisir (et l’amour, aussi) ont été ses seuls guides. Elle a adoré ces années-là et l’assume sans complexe même si, glisse-t-elle, « pour la morale, il serait plus acceptable d’avoir subi ». La société préfère la hardeuse repentante, traumatisée par une enfance qui l’a fait « tomber » dans le métier, comme on tombe dans le caniveau. Céline Tran le sait bien, elle qui a appelé son livre Ne dis pas que tu aimes ça (éditions Fayard). Le féminisme, d’ordinaire, n’est pas non plus adepte de pornographie. D’ailleurs, le personnage de Katsuni, cette barbie doll nunuche et vulgos, n’a-t-il pas véhiculé (auprès de plusieurs générations), les clichés les plus rétrogrades ? À cela, elle répond par le kiff : « il est très jouissif de surjouer les idiotes quand on a été la première de la classe ».
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Céline Tran était étudiante à Science-Po Grenoble quand un échec à un examen de sociologie l’a convaincue de tenter une reconversion professionnelle. Élève studieuse, élevée dans un foyer aimant et structuré, elle a délibérément choisi de gagner sa vie en vendant son cul – mais n’a pas abandonné son cerveau sur les bancs de la fac pour autant. Très vite, elle s’est heurtée au sexisme. Celui du monde extérieur, où un ophtalmo, reconnaissant Katsuni sous l’identité de Céline Tran, l’invite à prendre un nouveau rendez-vous puisqu’il « fait aussi gynéco »… Et celle, bien sûr, du monde du porno, « où on m’imposait de tenir ma langue en me priant de la montrer ». Ses convictions féministes, elle les a forgées sur le terrain, découvrant, stupéfaite, qu’on lui refuse de droit de tourner avec plus de quatre acteurs en même temps : « toujours ce problème d’image qui devient fatiguant… Pourquoi une femme disposant de plusieurs partenaires est-elle perçue comme étant souillée ? ». Alors que l’inverse, évidemment, ne connaît pas de limite… C’est en accédant à une renommée mondiale, en devenant la plus célèbre des frenchies de la Porn Valley, à Los Angeles, que Katsuni a conquis « le droit de dire non ». Aux films mettant en scène des viols, aux journées à rallonge « sous la pluie, à genoux sur le gravier », aux acteurs qui cherchent délibérément à faire mal, physiquement, à leur partenaire… Ses consoeurs moins bankables, elle en convient, n’ont pas forcément cette liberté.
« J’étais là, à 8 heures du mat, tests MST sous le bras, prête à attaquer la double pénétration… ».
Au fil des pages de cette surprenante autobiographie, c’est l’humour de Céline Tran qui frappe. Son sens aigu de l’anecdote, notamment. Un chapitre s’ouvre ainsi. Un homme dit : « Bon, moi ma spécialité, c’est plutôt les films d’horreur. Mais ça aussi, je sais faire. Détendez-vous ». Et la narratrice poursuit : « c’est ainsi que se déroula le moulage de mon sexe pour Fleshlight, la compagnie numéro 1 des sextoys pour hommes. Depuis, je paye mon loyer avec ». Un irrésistible second degré colore chaque scène : « Un award pour la meilleure scène anale ? Encore ?! » ; « j’étais là, à 8 heures du mat, tests MST sous le bras, prête à attaquer la double pénétration… ». Et avec ça, la légère dose de cruauté qui fait le bon punchliner. Ainsi, à propos de sa rivale, Clara Morgane-la-blondinette, elle lance : « être la girl next door, quel intérêt ? Moi, je ne veux pas être l’image de la norme, sage et rassurante ».
Au-delà de la vanne, la phrase illustre le fossé qui s’est creusé entre le porno à la Katsuni et celui d’aujourd’hui. L’heure n’est plus aux poupées gonflées, à ces créatures à la perfection plastique et technique. La mode, c’est le porno « gonzo », celui qui fait « vrai ». Il y des poils qui dépassent, du maquillage qui coule et des tremblements de caméras… Alors, même si les acteurs sont des professionnels, ça donne l’illusion de la réalité. Cette version froide, clinique, de l’esthétique du X, Céline Tran ne l’a jamais aimée. Katsuni est un personnage de fiction : privé de son costume, de ses artifices, de son aura de glamour, il n’a plus de raison d’être. Alors un jour, elle a raccroché la combi en latex – et a décidé de gagner sa vie avec son cerveau. Clairement, elle est bien partie pour faire carrière.