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Racisme

Des pilleurs de tombes d’extrême droite volent des crânes maoris en Nouvelle-Zélande

Des « historiens » et « archéologues » autoproclamés diffusent leurs théories sur les origines caucasiennes d’une prétendue civilisation pré-Maoris dans les médias nationaux.
Photo via Flickr (Ce ne sont pas de vrais os).

Un groupe d'historiens et d'archéologues autoproclamés ont fait la une de plusieurs médias néo-zélandais. Ils font part de leurs théories sur les origines européennes d'une civilisation qui aurait occupé le territoire de la Nouvelle-Zélande avant les Maoris. Selon VICE, l'un de ces archéologues aurait profané un cimetière maori sacré afin d'en extraire des crânes. Qui sont ces individus? Quels sont leurs liens avec l'extrême droite néozélandaise? Comment sont-ils arrivés à occuper autant d'espace médiatique?

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Le premier grand titre au sujet d'une population de race blanche qui aurait vécu en Nouvelle-Zélande avant les Maoris est apparue dans le Northern Advocate: « Des visages pré-Maoris reconstitués à partir de crânes selon un historien de Northland ». L'histoire a été reprise par le New Zealand Herald, qui a interviewé l'« historien » en question, Noel Hilliam. Ce dernier dit avoir trouvé des crânes d'occupants antérieurs aux Maoris en sol néozélandais et présente des reconstitutions faciales qu'un pathologiste judiciaire de l'Université d'Édimbourg aurait créées : ils ont les cheveux blonds, les yeux clairs et d'autres traits caractéristiques des Caucasiens.

Si la théorie de Noel Hilliam était vraie, elle provoquerait une réécriture de l'histoire de la colonisation de la Nouvelle-Zélande généralement admise par les historiens. Elle supposerait même une vaste conspiration d'universitaires et de groupes d'intérêts maoris pour cacher cette « réalité ». Mais la théorie s'est vite fissurée.

Quand VICE a contacté l'Université d'Édimbourg pour en savoir plus sur le pathologiste mystérieux, une responsable des communications a expliqué qu'elle avait consulté plusieurs départements afin de le trouver. « Personne ne voit de qui il s'agit, explique-t-elle. Le département de pathologie judiciaire ne fait pas partie de l'université, mais je leur ai tout de même posé la question et ils n'en savent rien non plus. »

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Sa conclusion : « À notre connaissance, aucun chercheur de l'Université d'Édimbourg n'a contribué à ce projet. »

L'article a provoqué une forte réaction des archéologues néozélandais et étrangers, qui ont qualifié cette histoire de « saletés racistes non scientifiques ».

Siân Halcrow, bioarchéologue à l'Université d'Otago, la plus ancienne université de Nouvelle-Zélande, explique qu'il n'existe à l'heure actuelle aucune preuve scientifique de l'existence d'une prétendue race pré-Maoris.

D'un point de vue archéologique, dit-elle, l'article lui a très vite semblé ridicule. « J'ai vu plusieurs données suspectes dès que j'ai lu les affirmations au sujet des origines et aux caractéristiques des squelettes, explique-t-elle. L'affirmation selon laquelle la jeune femme serait originaire du pays de Galles est grotesque. Il n'y a aucun moyen de déduire cette information à partir de la taille du crâne et de sa forme, et il est aussi impossible de déterminer si une personne a les yeux bleus ou les cheveux blonds. »

Selon elle, les portraits créés sont « comiques ».

Halcrow a également noté que, selon l'article, la femme mesurait 1 mètre 30, ce qui signifierait qu'ils l'ont mal évalué sa taille à partir des ossements ou qu'elle était plus petite qu'une personne moyenne atteinte de nanisme. »

Le New Zealand Herald a retiré l'article mercredi dernier.

Mais, en plus de ses douteuses compétences en archéologie, Hilliam est coupable d'un plus grand crime aux yeux des Néo-Zélandais : profaner un lieu sacré pour voler des crânes.

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Ngarino Gabriel Ellis est maître de conférences à l'Université d'Auckland et venait de terminer une série de conférences sur les sites funéraires maoris quand l'article a été publié. Elle s'est immédiatement demandé si des urupā (les tombes sacrées des Maoris) avaient été profanés. « Comment auraient-ils pu obtenir des crânes? Ils n'ont pas pu les acheter, c'est illégal d'acheter ou de vendre des restes humains en Nouvelle-Zélande », dit-elle.

Il est répréhensible et potentiellement criminel de prélever des crânes ou tout autre autre objet sur des sites funéraires historiques, selon elle.

« C'est une profanation de lieu sacré. S'ils ont profané des urupā et volé des crânes — ils n'ont pas dit où —, ça m'inquiète beaucoup. Même chose pour le Herald, qui a publié ces affirmations et n'a pas demandé où ils ont été trouvés. Piller une urupā, tout comme n'importe quelle tombe, est une violation de nos pratiques funéraires. Ce sont nos ancêtres. Leurs restes ne devaient pas être extraits du sol et distribués. En plus, c'est illégal. Pourquoi n'y a-t-il pas d'accusations? » demande-t-elle.

Elle ajoute que dans la communauté scientifique internationale, il existe maintenant des règles strictes concernant l'étude, le déplacement et la distribution d'ossements anciens. Dans ce contexte, il apparaît d'autant plus douteux qu'une université réputée ait pu accepter d'étudier des crânes humains en provenance de Nouvelle-Zélande aussi facilement et sans demander l'autorisation à l'iwi (la principale unité sociale chez les Maoris) local.

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Après plusieurs tentatives infructueuses, VICE a réussi à contacter Noel Hilliam, qui a dit que oui, il a bien prélevé des ossements et des crânes sur différents sites funéraires ancestraux de la région du Northland.

Quand on lui a demandé s'il avait consulté l'iwi local pour obtenir une autorisation, il a répondu : « Non. Je n'ai pas à le faire. Ça n'a rien à voir avec l'iwi. »

Il ajoute qu'il avait déjà fait analyser des ossements par un pathologiste de Londres — qu'il a refusé de nommer — en 1997. Ce dernier avait rapporté une incisive humaine pour l'examiner.

Questionné au sujet de la Human Tissue Act du Royaume-Uni, en vertu duquel il serait illégal de rapporter une dent au Royaume-Uni, il a répondu qu'il est au courant. « Je le sais très bien. Je suis prêt à confronter n'importe quelle institution néo-zélandaise, y compris la police. » Hilliam estime que la loi est injuste et affirme qu'il ne peut pas nous permettre de rejoindre le pathologiste, car il serait « décédé récemment ».

Les reconstitutions publiées dans le Herald auraient été réalisées par une autre femme, dit-il, formé à Édimbourg. Il a dit ne pas savoir où elle a été formée et a aussi refusé de la nommer. Il dit qu'il lui a simplement montré les crânes après qu'elle a fait part de son intérêt.

Par ailleurs, Hilliam n'est pas seul. Qui se cache derrière le « groupe » mentionné dans l'article? Quand les premières nouvelles sur ces « Européens pré-Maoris » de Nouvelle-Zélande ont commencé à paraître — et il y en a depuis 2008 —, elles provenaient de trois sources récurrentes.

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En plus d'Hilliam, l'article cite également Kerry Bolton, qui a publié un essai intitulé Lords of the Soil, dans lequel il affirme que « la Polynésie a été occupée par une population de race europoïde depuis des temps anciens ». Il a été secrétaire du Front National de Nouvelle-Zélande, un groupe d'extrême droite constitué de membres suprémacistes blancs et de skinheads, et porte-parole de l'Union fasciste de Nouvelle-Zélande.

En 2008, il a été le sujet d'une thèse intitulée Dreamers of the Dark : Kerry Bolton and the Order of the Left Hand Path, une étude de cas sur les liens présumés entre factions nationales-socialistes et satanistes en Nouvelle-Zélande. Sur sa page Facebook — qui compte par un heureux hasard 666 abonnés —, il fait la promotion de livres sur un nouvel ordre mondial et cite Martin Doutre, de la One New Zealand Foundation, dont l'ancien chef Allan Titford a été emprisonné pour viol et incendie criminel après une longue campagne contre un iwi local. Hilliam explique à VICE que lui, Bolton et Doutre faisaient partie d'une « association informelle » qui « tentait de montrer l'histoire véritable de ce pays ».

L'archéologue Donna Yates a expliqué à VICE qu'il n'existe aucune preuve d'une colonisation européenne pré-Maoris en Nouvelle-Zélande. Selon elle, cette histoire s'inscrit dans une idéologie raciste imaginée pour priver les Maoris de leurs droits ancestraux. « Ça s'inscrit dans un déni raciste des acquis des autochtones que l'on observe dans beaucoup de régions du monde. »

VICE a tenté de rejoindre l'iwi local, mais n'avait pas eu de réponse au moment de la publication. Cet article sera mis à jour si l'on reçoit leurs commentaires.

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