De la difficulté de refaire sa vie après avoir trahi les Hells Angels
Image de couverture par Ralph Damman

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Crime

De la difficulté de refaire sa vie après avoir trahi les Hells Angels

On a rencontré Dave Atwell, le seul membre haut placé du célèbre gang à avoir balancé ses anciens copains à la police.

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Ça va bientôt faire dix ans que Dave Atwell n'a jamais vraiment défait sa valise.

Depuis que cet ancien membre des Hells Angels a dénoncé ses camarades, il n'a plus vraiment de « chez lui ». Dans un retournement de situation cruellement ironique, les seules personnes à qui Dave peut désormais faire confiance sont celles qu'il évitait comme la peste il y a quelques années : les journalistes et les policiers.

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« T'imagines pas mec, rien que le fait de pouvoir te parler librement comme ça, ça me fait un bien fou », m'a avoué Dave lorsqu'il m'a appelé via un numéro masqué.

Ce n'est pas la première chose à laquelle on pense, mais la solitude est omniprésente dans le programme américain de protection des témoins.

Dave a rejoint le programme à la fin des années 2000, après être devenu indic. À ce jour, il est le seul « gros bonnet » du célèbre club de motards à avoir accepté de collaborer avec la police. En compagnie du journaliste chevronné Jerry Langton, il vient de publier The Hard Way Out, un bouquin qui revient sur son parcours. Il y évoque les trafics de cocaïne, le « patching » – cette technique qui consiste à « avaler » un petit gang quand on est un gang de grande taille – qui l'a mené des Para-Dice Riders aux Hells Angels, sa montée en grade, et les raisons pour lesquelles il a décidé de partir.

Pendant sept ans, Dave a été sergent d'armes au sein du chapitre de Toronto. Il était en charge de la sécurité du groupe et s'assurait du respect du règlement. Il faisait également partie intégrante du trafic de cocaïne des Hells Angels dans la ville. Lorsque cet Ange respecté s'est retrouvé accusé de détention de stupéfiants, il a décidé de quitter le club mais s'est vite rendu compte que la tâche n'allait pas être aisée. Lorsque l'affaire a été classée sans suite par la police, on attendait de lui qu'il revienne bosser avec le sourire. Seulement, Dave a commencé à voir le club et ses frères sous un autre angle : les motards et les Hells Angels n'étaient pas une famille, ils étaient simplement là « pour leur pomme ».

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« Je me suis retrouvé pris au piège, métaphoriquement, par les restrictions que le club m'imposait », peut-on lire dans The Hard Way Out.

Dave a donc décidé de passer un accord avec la police pour échapper à l'empire du club. Il a enregistré en secret de nombreuses conversations tenues au cœur de son chapitre et a contribué à faire tomber les grands pontes d'un vaste trafic de drogue. Son travail d'indic s'est terminé au bout de 18 mois, lorsque les Hells Angels ont suspecté l'existence d'un mouchard parmi les leurs. Les policiers en charge de cette infiltration ont alors jugé qu'il était trop dangereux pour Dave de continuer sa mission.

Grâce aux renseignements récoltés par Dave Atwell, la police a pu arrêter 31 personnes associées aux Hells Angels. Celles-ci ont cumulé 169 chefs d'accusation, même si tous n'ont pas été retenus au final par les juges. Les forces de l'ordre ont également pu saisir trois millions de dollars de drogue, plus de 500 000 dollars en liquide ainsi qu'un demi-million en biens immobiliers. Pendant des années, procès après procès, Dave est venu témoigner au tribunal, sous le regard de ses anciens frères. Le soir venu, il s'habituait peu à peu à sa nouvelle vie dans le programme de protection des témoins.

Le jour où Dave Atwell a trahi les Hells Angels, les 50 premières années de sa vie ont été réduites à néant.

Photo via Wikipedia Commons

Dave Atwell ne peut bien évidemment pas parler en détail ni de sa nouvelle vie, ni de la manière dont il est arrivé là où il est aujourd'hui. Tout ce qu'il peut dire, c'est qu'il a dû remplir un nombre incalculable de formulaires, ce qui lui a pris un temps fou. Les règles strictes du programme existent pour protéger les témoins, bien évidemment, mais également pour protéger le même programme des témoins qui retomberaient dans le crime. Dave a simplement pu me dire qu'une fois que vous entrez dans le programme, vous perdez tout contrôle sur votre propre vie.

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« Les mecs de la protection des témoins, ils ne vous demandent pas de faire des trucs, ils vous l'ordonnent, m'a-t-il expliqué. Vous n'avez pas votre mot à dire. Ils vous disent : "Si tu veux qu'on te protège, tu la fermes et t'obéis. T'as utilisé ton cerveau le jour où t'as quitté les Hells Angels, maintenant arrête de réfléchir. On va le faire pour toi." »

Et Dave de poursuivre : « C'est une vie solitaire, tu ne fais que déménager d'un endroit à un autre, tu n'as plus aucun repère. »

Lors de notre entretien, Dave n'a pas pu parler de sa routine quotidienne pour des raisons de sécurité. Cependant, il a abordé longuement le sujet de l'extrême solitude. Dave doit mentir à tous les gens qu'il rencontre, ou au moins éviter de parler de son passé.

« Qu'est ce que je peux faire d'autre ? Il m'est impossible de devenir intime avec quelqu'un. Si quelqu'un tient à vous, que ce soit un ami ou une compagne, il ou elle va rapidement vous demander des trucs du genre : "Tu faisais quoi avant ? Tu viens d'où ?" Je ne peux pas parler de tout ça. »

En plus de devoir garder sa vie privée à l'abri de tous les regards, Dave se pose la question de savoir s'il sera un jour en mesure d'avoir une vie réellement privée. Après tout, le programme est fait pour protéger les témoins mais également leurs proches. À nouveau, cruelle ironie du sort : il est plus judicieux de ne pas s'attacher aux autres lorsqu'on est dans un programme de protection des témoins, pour leur propre protection.

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À cause de tout cela, Dave préfère vivre dans la solitude, et ne prend jamais le risque de s'enticher de quelqu'un.

Un officier devant le club-house des Hells Angels à Toronto, où la police vient de faire un raid, en 2007. La descente a pu avoir lieu grâce aux renseignements fournis par Dave Atwell. (CP Photo/Aaron Harris)

Dave a lui-même un casier judiciaire bien rempli ; lors de l'un de ses nombreux témoignages, il a admis avoir rencontré un autre Ange pour parler du meurtre d'un officier de police quelques semaines avant de devenir lui-même indic. Mais peu importe son passé, Dave a été grassement payé pour son travail : en tout, il a gagné environ 450 000 dollars.

Malgré tout, cette somme d'argent ne peut subvenir aux besoins d'une personne que pendant un certain temps, surtout si celle-ci se déplace fréquemment. Il faut travailler, mais pas de manière routinière. Il faut changer ses habitudes en permanence et toujours rester vigilant.

Pour les gens à la recherche d'un travail stable et d'une vraie vie privée, ça peut vite devenir un cauchemar. « Dix ans, vingt ans après le procès, vous n'avez toujours pas de passé, de famille, d'identité, d'amis », rappelle Dave.

Il faut également apprendre à gérer la peur et la paranoïa qui vous accompagnent au quotidien. Vous savez que votre tête est mise à prix, mais vous ne savez pas si les personnes qui cherchent à vous tuer pensent encore à vous ou si elles sont passées à autre chose. Heureusement pour Dave, il s'y connaît en sécurité, et il est donc plus observateur que d'autres.

Au fil du temps, le risque que Dave soit reconnu par quelqu'un s'amenuise. Le quinquagénaire sait que les gens qu'il a trahis sont peut-être toujours à sa recherche mais que le club, dans son ensemble, est probablement passé à autre chose.

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« Les Hells Angels ont des plus gros problèmes à régler qu'un mouchard. Ils vont tirer des leçons de ma trahison, et ils vont s'assurer que ça ne se reproduise plus jamais. »

Dave m'a assuré qu'il était plus heureux aujourd'hui que pendant ses années au sein des Hells Angels. Désormais, sa vie ne tourne plus seulement autour de son chapitre. De plus, même s'il a toujours quelques regrets, il reste persuadé d'avoir fait les bons choix pour les bonnes raisons. Mais la vie ne vous récompense pas toujours pour vos bonnes décisions.

« Tout ce que j'attendais de ma vie, c'était d'être accepté par les autres, de me sentir bien. Que ce soit au hockey, avec les Hells Angels ou avec les femmes, je voulais juste me sentir à l'aise. Et l'ironie dans tout ça, c'est que ça ne sera plus jamais le cas. »

Certains détails ont été modifiés pour garantir l'anonymat et la sécurité de Dave Atwell.

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