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Élections 2017

Avec les oubliés de la politique : « Je suis un citoyen en situation de handicap, pas un handicapé qui vote »

Les élections vues par Philippe, qui souffre de myopathie depuis son plus jeune âge.
Photo publiée avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Photo de l'auteur, publiée avec son aimable autorisation.

Selon les Maisons Départementales des personnes handicapées, nous sommes environ 12 millions de Français à être porteurs d'un handicap. Si la société semble favorable dans son ensemble à une solidarité renforcée envers les personnes handicapées, nous sommes toujours totalement transparents aux yeux des politiques. Notre place dans la société est aujourd'hui très marginale, et c'est encore pire si on ne vit pas dans une grande ville. Maintenant, j'attends les prochaines élections pour voir si nous passerons à la trappe – encore une fois.

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Je suis pratiquement né handicapé. J'ai une maladie génétique depuis que je suis tout petit, la myopathie. Mon corps ne produit pas assez de protéines pour mes muscles, qui ne peuvent ainsi pas fonctionner. Il n'existe aucun traitement pour cette maladie, ce qui explique pourquoi je suis dans un fauteuil roulant depuis mes dix ans. Après le collège, je me suis lancé dans un BEP de comptabilité, puis j'ai fait un bac pro dans la même filière. Non pas parce que j'étais passionné par ce domaine – simplement parce que cette filière était enseignée dans le seul lycée professionnel adapté pour moi dans toute la région marseillaise. Je n'avais donc pas vraiment le luxe de choisir. Aujourd'hui, j'ai 45 ans et je travaille dans tout ce qui touche de près ou de loin à l'influence sportive.

Je ne m'intéresse à la politique que depuis l'échec de Lionel Jospin en 2002. Je ne sais pas vraiment pourquoi, c'est sans doute un hasard – ou bien est-ce à cause de la portée de son échec de l'époque. Depuis, c'est toujours la même chose lors de chaque élection. Certains politiques promettent monts et merveilles mais finissent toujours par nous abandonner. François Hollande avait par exemple soutenu une loi sur l'accessibilité des lieux publics aux personnes en situation de handicap, et cette loi n'a eu de cesse d'être repoussée. Depuis, rien n'a bougé. En fait, de la même manière qu'un parent se débarrasse de son adolescent rebelle en lui faisant un chèque, les politiques continuent de croire qu'ils peuvent améliorer notre situation simplement en augmentant l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés – les APL des handicapés, si vous préférez. Bien sûr, c'est mieux que rien. Mais ce n'est qu'une infime partie de nos problèmes.

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Il manque tellement de choses aujourd'hui. Un exemple simple : l'insertion des autistes. On continue à ne pas vouloir les scolariser normalement avec les non autistes, ce qui aggrave leur marginalisation. Bien sûr, les coûts de telles mesures sont très importants. J'en suis conscient et ce n'est pas au petit commerçant du coin de payer une rampe adaptée pour nous. C'est à l'État de le faire. De même, si l'administration française est un chemin de croix pour tout le monde, imaginez lorsque vous êtes handicapé. Rien n'est fait pour nous faciliter la tâche. La lourdeur de l'administration est épuisante pour nous, qui devons déjà nous battre plus que les autres. Je vais donc attendre les élections pour voir si le problème est une nouvelle fois repoussé. Chacun des 11 candidats a consacré une minuscule partie de son programme à la question des handicapés. Après, entre les promesses et les actes, c'est toujours pareil.

Si certains pensent que c'est la faute du capitalisme, ils n'ont qu'à se rendre aux États-Unis, en Australie et même plus près en Angleterre : tous les handicapés y sont bien mieux intégrés.

Malgré tout, ce n'est pas mon handicap qui guide mon vote. Cela peut sembler étrange, puisque les gens prêchent généralement pour leur paroisse. Les riches votent pour payer moins d'impôts, par exemple… Moi, je considère qu'il faut penser au-delà de sa personne. Je suis un citoyen en situation de handicap, pas un handicapé qui vote. Cela peut sembler étrange, mais je parle très peu de politique avec mes amis. Ils savent très bien que ce n'est pas mon handicap qui guide mon vote.

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Aujourd'hui, notre principal problème est que nous ne sommes pas représentés, ou mal. Nous manquons d'organisation pour former un vrai lobby capable de peser sur la politique. Il faudrait monter une charte avec nos principales revendications afin que les candidats puissent la signer, un peu comme ce qu'avait fait Nicolas Hulot pour l'écologie en 2007 – même si au final, nombreux sont ceux qui se sont torchés avec. Mais je ne souhaite pas que l'on soit représenté par quelqu'un déjà présent en politique. Je me vois mal être représenté par une personne déjà engagée pour un candidat, quand bien même ce serait le mien. Il faut que notre parole puisse être entendue par tous les partis politiques du pays.

Si certains pensent que c'est la faute du capitalisme, ils n'ont qu'à se rendre aux États-Unis, en Australie et même plus près en Angleterre : tous les handicapés y sont bien mieux intégrés. Tous les lieux publics et privés sont accessibles pour nous, et plus important encore, le regard que les gens portent à notre égard est différent et bienveillant. Même si je constate qu'il y a du mieux, nous sommes toujours très en retard par rapport aux autres pays, européens notamment. Pour que les choses évoluent dans la bonne direction, il faudrait déjà qu'on arrête de voir des handicapés uniquement au Téléthon, toujours dans la culpabilité et l'empathie. Personnellement, j'essaye de me moquer de ma situation sur Twitter, et d'avoir du recul sur moi-même.

Il y a quelques jours, alors que j'étais au restaurant, le serveur a proposé à un client qui était avec ses deux petites filles de s'asseoir à la table à côté de la mienne. Ce client a refusé cette table pour éviter que ses filles me voient, peut-être par peur de me gêner avec leur regard. Je n'ai rien dit pour éviter de m'énerver. Pourtant, ç'aurait été si simple de leur expliquer au lieu de leur cacher cela. Mais je trouve que cette histoire résume bien la mentalité française. Combien de parents ai-je vu détourner le regard de leur gosse à mon passage, combien de vendeurs dans les boutiques préféraient parler à mes potes avec un vulgaire « il veut quoi le Monsieur ? » plutôt que de s'adresser à moi ?

Cette anecdote montre à quel point le chemin est encore long, et ce n'est évidemment pas une nouvelle élection qui changera tout. Avec des politiques qui nous laissent sur le bas-côté de la route, on a du mal à rester optimiste. Mais j'ai quand même toujours espoir qu'ils finissent un jour par se bouger.

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