FYI.

This story is over 5 years old.

Food

Je vis une relation passionnelle avec mon compost

Comment est-ce que l’on s’est rencontrés, mon compost et moi ? Et bien, cela remonte au jour de l’ouverture d’Amass, mon restaurant à Copenhague. Depuis, je pense à lui tous les jours.

Comment est-ce que l'on s'est rencontrés, mon compost et moi ? Et bien, cela remonte au jour de l'ouverture d'Amass, mon restaurant à Copenhague. Les choses sont allées très vite à vrai dire, c'est parti dès le premier soir : le soir où j'ai produit des déchets organiques pour la première fois. J'ai commencé à vider mes poubelles dans ces petits cageots de bois, et je suis tombé sous le charme.

Pourtant, je ne connaissais pas grand chose de lui. Mais très vite, je me suis rendu compte qu'il dégageait une forte odeur. J'étais un peu surpris, c'est quelque chose que je n'avais pas vu venir. Peut-être que j'aurais pu l'anticiper, mais vu que que je suis un peu fleur bleu et naïf, je n'avais pas pris la peine de me renseigner sur lui avant notre relation. Finalement, j'ai compris que cette odeur, c'est parce qu'il était en pleine phase : une réaction naturelle qu'on appelle l'anaérobie. C'est quand la fermentation se fait dans un milieu sans oxygène et que les bonnes bactéries censées produire le compost meurent à petit feu. Mon compost, au lieu de se décomposer paisiblement, était en train de pourrir. Et pour ça, je l'ai haï.

Publicité

LIRE AUSSI : C'est dans les piscines abandonnées qu'on fait les meilleurs champis

Je sais maintenant que j'aurais dû m'occuper de lui plus souvent, être à son chevet, le retourner au moins deux ou trois fois par semaine. Mais à l'époque, j'avais autre chose en tête. Normalement quand on tourne son compost, on doit prendre soin de le charger en carbone. Il faut l'équilibrer, faire en sorte qu'il ait 50% de carbone et 50% d'azote. Mais parfois, mon compost à moi réclamait un autre équilibre – il se sentait étouffé, il avait envie de changer d'air. Mon compost, c'est un chieur, un vrai. Une fois, je ne suis pas allé le retourner pendant deux semaines tellement il m'avait foutu les nerfs. Mais vous n'imaginez pas à quel point ça me stresse quand je fais ça. Je pense à lui tous les jours.

Merde. J'ai vraiment besoin d'aller le retourner.

Il est en train de pourir. Parfois, je le retourne comme il faut, mais il reste froid. Je fais tout bien comme il faut, pourtant. Ça m'énerve tellement que je lui hurle dessus : « Je ne veux plus te retourner comme ça, c'est fini ! Je viens de te retourner. Pourquoi tu ne veux pas te laisser faire ? »

C'est toujours la même histoire avec lui.

Je vous ai dit que ça faisait deux semaines que je n'étais pas allé lui mettre un coup de pioche ? Deux semaines de culpabilité refoulée. Quand je suis finalement allé remplir mon devoir, je me suis senti tellement soulagé. C'est dingue, je n'aurais jamais imaginé avoir ce genre de rapport avec huit cageots de compost à la fois. Je n'ai rien dit à ma femme, elle ne comprendrait pas. Elle me regarderait comme si j'étais un extraterrestre.

Publicité
mattintroducingHER

Une photo rare de Matt avec son compost.

Il faut toujours réfléchir à l'équilibre carbone/azote quand tu balances des déchets dans les cageots de la compostière, et il faut bien penser à ajouter des copeaux de bois ou de l'herbe pour ajuster si besoin. À une époque, on mettait aussi le maïs à décomposer dans le compost – je crois que j'espérais qu'en se décomposant, les cosses du maïs allaient produire du carbone. C'est peut-être pour ça que mon compost est resté un peu inerte après ça.

EN VIDÉO : Dans la peau d'un dealeur de truffes

Je passe tous mes samedis soirs ici, à ses côtés. Je le rejoins après le service – c'est notre moment d'intimité, c'est très zen. Après le coup de feu du service, c'est toujours agréable de venir ici pour regarder le restaurant au loin et voir les invités apprécier leur soirée. C'est une scène très belle, surtout en été pendant le crépuscule. Dites-vous bien que quand mon équipe passe la serpillère et bien moi, je suis ici avec lui.

Mon compost, c'est un chieur, un vrai. Une fois, je ne suis pas allé le retourner pendant deux semaines tellement il m'avait foutu les nerfs. Mais vous n'imaginez pas à quel point ça me stresse quand je fais ça. Je pense à lui tous les jours.

Le compost tient une place vraiment très importante chez Amass. Depuis l'ouverture, on n'a jeté aucun déchet organique à la poubelle – si ce n'est les os, les oignons et les citrons qui sont tous trop acides pour être décomposés par la compostière. On refile tous nos restes de légumes à Christina qui est en charge du poulailler et qui en retour, nous fournit en oeufs frais. On récolte les meilleurs oeufs en été, quand les poules peuvent se nourrir d'herbes fraîches. Mais c'est plus difficile en hiver vu qu'il fait beaucoup plus froid. Nos verdures leur servent donc de nourriture en attendant les beaux jours.

Publicité

Si l'on prend en compte les vers de terre, mon compost et moi, c'est plutôt une relation à trois. On lui en a acheté 500, en provenance directe d'Allemagne. Pour préparer leur venue, il a fallu faire décomposer un peu de déchets organique, ensuite, on a du mélanger cette matière à des bouts de carton déchiquetés et enfin, y incorporer les vers.

Un cageot à compost se divise en trois boîtes empilables, qui sont toutes trouées sauf celle du bas. La boîte du milieu est celle qui contient le plus de vers. C'est clairement là qu'ils s'éclatent le plus : ils dévorent tout ce qu'ils trouvent sur leur passage et quand ils n'ont plus rien à se mettre sous la dent, ils remontent jusqu'au dernier étage. C'est comme ça que le compost est produit ainsi que le thé de lombrics – en fait la décomposition produit tellement d'humidité qu'on a été obligé d'installer un filtre comme dans les aquariums pour éviter que le compost ne fermente. On utilise ce liquide qui tombe dans le dernier compartiment pour arroser les plantes qui poussent dans notre serre.

Je n'aurais jamais pu envisager me lancer dans une telle aventure à l'époque où j'habitais aux Etats-Unis. Là-bas, c'est quasiment impossible de recréer un environnement aussi naturel en plein centre-ville, alors qu'ici à Copenhague, avoir un restaurant avec un jardin potager qui produit bien, c'est quelque chose d'envisageable. Je ne connais qu'un endroit aux Etats-Unis où ce genre d'installation pouvait voir le jour : c'est au Roberta's à Bushwick. Mais ils se sont donnés du mal – ils ont acheté le parking juste à côté du restaurant pour réaliser ce projet.

Avec du recul, je crois que me sens vraiment très proche de ces petits lombrics. Je suis un peu comme leur père. Un jour, alors que je retournais le compost, je les ai vu tout recroquevillé sur eux-mêmes. Ils étaient en train de mourir parce que j'avais mal fait l'équilibrage en carbone. Ils tombaient les uns après les autres, j'ai commencé à paniquer. J'ai donc appelé mon pote Mikkel en catastrophe. Il s'y connait en vers de terre, Mikkel. Il m'a dit : « J'arrive tout de suite. » Il s'est ramené avec une sorte de nutriment en spray et s'est mis à traiter mon compost. Ça a eu pour effet de tuer les champignons qui asphyxiaient mes vers. Ensemble, on a réussi à les faire revivre. Deux semaines plus tard, en allant prendre des nouvelles de mon compost encore en convalescence, j'ai eu la joie de découvrir qu'il avait donné naissance à des lombrics tout frétillants de vie.

On pourrait croire qu'il y a quelque chose d'assez apaisant dans le fait d'entretenir une relation avec son compost : on le retourne souvent, on prend le temps de vérifier l'équilibre entre carbone et azote, on éleve ensemble une bande de lombrics. Sauf que pour moi, c'est une source perpétuelle de stress. Heureusement, j'ai découvert que je n'étais pas le seul. Au Danemark, de plus en plus de gens sont obsédés par les vers de terre. Il y a quatre mois, un monsieur d'une cinquantaine d'années est venu dîner à Amass. Un véritable expert en vers de terre, le type. Il n'avait qu'eux à la bouche. Et bizarrement, ça m'a fait un peu déculpabiliser.

Aujourd'hui encore, j'ai du mal à en parler ouvertement à mes proches.

Propos rapportés par Ian Moore