Un sauna, du gin et du seigle : genèse de la meilleure distillerie de Finlande

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Un sauna, du gin et du seigle : genèse de la meilleure distillerie de Finlande

La distillerie Kyrö est sortie de nulle part avec un rye whisky qui est probablement ce que la Finlande a exporté de mieux depuis les Moumines.

En 2012, trois Finlandais sont réunis dans un sauna et bavardent en sirotant un rye whisky – whisky de seigle – importé. « C'est un alcool qui n'est pas très connu ici », justifie Mikko Koskinen qui était assis près du poêle à l'époque. « On a commencé à se demander pourquoi personne n'en produisait ici alors qu'en Finlande, on fait à peu près tout à base de seigle. »

À poil, transpirants mais inspirés, les trois potes réfléchissent à la manière de faire eux-mêmes un rye whisky finlandais. Et contrairement à un paquet d'idées lumineuses élaborées sous l'influence de l'alcool et dans un sauna, le projet n'apparaît pas totalement absurde une fois la cuite passée. Deux mois après, ils créaient la Kyrö Distillery Company.

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Au début de l'été, les bouleaux qui poussent à côté de la distillerie seront coupés pour venir parfumer le Napue Gin. Photo : Sina Stelter. La distillerie est installée dans une ancienne fromagerie construite en 1908. Photo : Sina Stelter.

La distillerie Kyrö se trouve au bord de la rivière du même nom, à Isokyrö, une petite bourgade de 5 000 habitants dans la région d'Ostrobotnie. À cette époque de l'année, la rivière est gelée et une épaisse couverture de neige recouvre le sol. Aux branches des bouleaux, on aperçoit des stalactites.

En février 2015, le Napue Gin de Kyrö a gagné – à l'issue d'une dégustation à l'aveugle de produits en provenance de 150 autres distilleries – le titre du « Meilleur Gin à Gin Tonic » lors du très renommé Concours International des Vins et Spiritueux (IWSC). Le gin vieilli en fût de Kyrö a lui aussi remporté la première place dans sa catégorie – il s'agit là d'un des prix les plus prestigieux sur la planète des vins et spiritueux. Et pour une toute petite maison qui n'est sur le marché que depuis 2014, c'est un véritable exploit.

Mais comment cette jeune distillerie sortie de – presque – nulle part est parvenue à séduire les papilles gustatives des experts en spiritueux et autres fanas de gin ? Au moment de lancer leur première production en 2014, les trois fondateurs de la Kyrö n'avaient aucune expérience en la matière. Étape par étape, ils ont pourtant appris les ficelles du métier, créant au passage un produit vraiment unique. Réputés pour leur surconsommation d'alcool, les Finlandais n'avaient jusqu'à présent jamais brillé dans la production de spiritueux. La distillerie Kyrö aimerait bien changer cet état de fait. Et au vu de ses résultats, elle est plutôt bien partie.

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La meilleure façon de décrire le Napue Gin, c'est de dire qu'il a le goût de la Finlande : un parfum naturel et sucré qui ressemble à l'odeur indescriptible d'une forêt. Seize plantes sont nécessaires pour le préparer, dont du genévrier, de la reine-des-prés, du bouleau, de l'iris, des zestes de citron, de l'angélique, des canneberges, de la cardamome et des baies d'argousier.

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Pour répondre à la demande grandissante, une étiqueteuse a été installée dans la distillerie. Photo : Sina Stelter.Ce serait difficile à expliquer à ceux qui ne sont jamais allés dans une forêt finlandaise. C'est une saveur très douce à base de plantes. On sent des notes de reine-des-prés et d'agrumes qui remontent dans le nez. Sur la longueur, on distingue des notes de poivre et de seigle. Ça me surprend à chaque fois.

Sur place, j'ai rencontré Juho Väliaho pour une dégustation. Il débute une formation de barman à la Kyrö Academy.

Je n'avais jamais goûté quelque chose comme le Napue. Peut-être parce que je suis à moitié Finlandais, le liquide m'a mis dans une sorte de transe, me transportant jusque dans la maison de vacances de ma grand-mère en Carélie finnoise. Je peux sentir l'odeur de la forêt de sapins et celle du sauna en bois de bouleau qui chauffe près du lac à la surface lisse et brillante. J'en chialerais presque.

Je demande à Juho s'il arrive à mettre des mots sur ce goût. « »

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Kalle contrôle le taux d'alcool de la bière. Kyrö n'utilise que du seigle de malt et le distille sans le filtrer. Photo : Sina Stelter.D'abord, il s'y noie »,

Avant de se lancer dans l'aventure de la Kyrö Distillery et d'en devenir le responsable de la communication, Mikko Koskinen était à la tête d'une petite start-up – un média en ligne – et avait fait du stand-up pendant dix ans. Comment un comédien se lance dans la production d'alcool ? « raconte Mikko pince-sans-rire. « C'est comme ça que terminent la plupart des comédiens. L'alcool prend le contrôle de leur vie. »

Kalle Valkonen est le maître en distillerie moustachu de Kyrö. Avant ça, il développait des biocarburants à base d'algues à l'université d'Helsinki. À mesure que le projet avançait, les trois fondateurs se sont rendu compte qu'ils allaient avoir besoin de quelqu'un réellement calé en distillation. Mikko poursuit : « Kalle, c'est le cerveau de la bande. Il brasse sa propre bière depuis quoi, bientôt sept ans. Il a la passion de l'artisanat et l'esprit scientifique – c'est une combinaison parfaite. »

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Kalle a commencé par brasser avec son propre équipement 200 litres de bière – un mélange épais de seigle malté fermenté, d'eau et de levure qu'il a ensuite emporté avec lui jusqu'à la ville de Pori pour pouvoir le distiller. « On ne savait pas si le whisky allait être bon, » se rappelle Mikko. « Le seul moyen de le découvrir, ça a été grâce à Miika, le directeur actuel de Kyrö, qui a fait passer discrétos une bouteille lors d'un salon à Londres. »

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Kalle expérimente différentes variations pour la distillation. Photo : Sina Stelter.Oltermanni

Avant de diriger la distillerie, Miika Lipiäinen travaillait pour un grand nom de l'industrie pharmaceutique. À l'époque, il était déjà obsédé par le whisky. Lors du salon londonien, il est allé dans les toilettes remplir quelques verres à dégustation avec l'œuvre de Kalle avant de déambuler de stands en stands, demandant à la cantonade si quelqu'un s'y connaissait en processus de fabrication. Il a aussi fait goûter son whisky – un whisky clair, jeune – pour savoir s'il valait quelque chose. Apparemment, oui. Quelque chose de spécial se tramait en Laponie.

Les fondateurs de Kyrö ont trouvé l'endroit idéal pour leur rêve alcoolisé : une vieille fromagerie qui produisait de l', un fromage à pâte pressée hyper célèbre en Finlande et qu'on mange traditionnellement avec du pain de seigle. La vieille bâtisse a aujourd'hui une relation beaucoup plus intime avec cette céréale dont les Finlandais raffolent puisqu'il s'agit de la seule distillerie au monde où l'on n'utilise que du seigle. « Quand on a vu l'endroit, on s'est dit qu'on ne pouvait pas s'installer ailleurs », confie Miika.

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Photo : Mikko Koskinen.« c'est bien qu'une telle chose sorte de la région, ça va permettre de lui donner un élan positif.

Le nom du gin vient d'une bataille de la Grande Guerre du Nord qui a eu lieu à Napue en 1714 dans le voisinage d'Isokyrö. La police utilisée sur les bouteilles qui sortent de la Kyrö Distillery est celle qu'on retrouve sur les gravures commémorant cette défaite face à l'armée russe. Pour Mikko, »

La fromagerie a dû subir quelques rénovations avant d'être opérationnelle en 2014. Les premières boissons produites par la Kyrö Distillery ont été servies dans un restaurant pop-up baptisé le Kyrönmaan Matkailun Edistämiskeskus (ce qu'on pourrait traduire par : « l'agence de tourisme de Kyrö »). « On ne peut pas mentionner d'alcool en public en Finlande », explique Mikko, faisant référence aux contraintes qui concernent les publicités pour de la picole. « C'est une des raisons pour lesquelles on a monté un speakeasy – mais on l'a fait à la finnoise, donc il a un style très particulier. »

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La mise en bouteille. En quelques mois, la distillerie a dû augmenter de dix fois sa production. Photo : Sina Stelter.un mélange entre une vieille fromagerie et une agence de voyages des années 1970

Miika décrit le bar comme « . » Ils y servent de la cuisine finnoise moderne et organisent des dégustations, des ateliers cocktails et des visites de la distillerie. Le Napue Gin a en quelque sorte été conçu dans ce bar. Son profil aromatique a été élaboré après avoir fait tester plusieurs genres de gin – composés des mêmes ingrédients mais en quantités variables – aux clients pour voir lesquels étaient appréciés. Les autres dégustations, plus sérieuses, ont lieu en général le matin. « C'est une manière assez traditionnelle de tester tous les matins à neuf heures, trois gins différents. C'est un bon horaire car tous nos sens sont alors bien éveillés, » explique Miika.

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Le bon fonctionnement de la distillerie a pas mal reposé sur la débrouille. La première année, l'équipe de Kyrö a livré 5 000 bouteilles en se servant uniquement de la Škoda de Miika avant de trouver un distributeur. S'ils ont commencé à exporter au Japon, c'est uniquement parce que Miika a fait la rencontre d'un couple italo-japonais qui possède un bar dans la station de ski de Niseko à Hokkaido. À présent, l'archipel nippon est l'un des plus gros marchés de la distillerie.

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Marianne fait des tractions. Avant de gérer la chaîne de mise en bouteille, elle était électricienne, prof de pole dance et coach sportif. Photo : Sina Stelter.On était bien dans la merde !

Après les prix internationaux remportés par le Napue en 2015, la production de la distillerie a dû répondre à une forte hausse de la demande. « » se rappelle Miika. « On avait prévu de produire 23 000 bouteilles l'année dernière. Finalement, on s'est arrêté à 100 000 bouteilles parce que la législation finlandaise nous interdit de produire plus. Pour une aussi petite distillerie, notre croissance a été épatante. On avait commencé à trois. À la fin de l'année, on était treize. »

Il ajoute qu'en 2016, la distillerie va encore se développer en exportant dans plus de quinze pays. « C'est vraiment dingue ce qui nous arrive. »

« Notre objectif est d'être en 2022 la distillerie qui travaille le seigle la plus connue au monde. Et notre avantage c'est qu'il n'existe pas, à notre connaissance, d'autre distillerie qui ne travaille que le seigle. Donc on peut dire qu'on a grosso modo déjà atteint notre objectif. »

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Une vue de la distillerie depuis le pont Perttilä, le plus ancien pont de singe de toute la Finlande. Photo : Sina Stelter.« En plus de la Finlande, on aimerait être vraiment connu sur dix autres marchés mondiaux

», explique Miika. Il ajoute que travailler exclusivement avec du seigle donne de la cohérence à la gamme des produits Kyrö. « On préfère rester concentré sur cette céréale, c'est notre truc. On ne va pas faire une téquila à base de seigle, ce serait débile. »

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Miika remarque qu'avoir à disposition ce qui est sans doute le meilleur seigle du monde aide. « En Finlande, on a un temps parfait pour faire pousser des herbes : pendant une saison très courte, on a du soleil non-stop, du vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Du coup, les différentes plantes vont développer un profil aromatique très intéressant. »

Et que pouvons-nous espérer du whisky Kyrö qui devrait sortir en 2017 ? Kalle, le maître distilleur, me confie : « je peux vous promettre qu'il s'agira d'un rye unique, complètement finnois. Depuis le départ, c'est ce qu'on voulait faire : créer notre propre version du rye whisky, sans imiter ce qui se faisait déjà. C'est pour ça qu'on a décidé d'être radical et de faire un rye whisky 100 % pur malt. »

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La toute première photo professionnelle des fondateurs courant nus dans un champ de seigle. Photo : Kimmo Syväri.Notre équipe est vraiment géniale. Plein de filles et de mecs cools nous ont rejoints. On a la première distilleuse de whisky de Finlande par exemple. Et il y a six ou sept habitants du village qui travaillent ici à temps plein

L'activité florissante de la distillerie a dynamisé l'économie de la communauté. Pratiquement tous les employés sont du coin. « . »

Mikko évoque alors Marianne, qui travaille au poste d'embouteillage. Son parcours est assez atypique. « Avant de mettre en bouteille nos alcools, elle faisait du pole-dance. »

« Elle est aussi électricienne et coach sportif. Et maintenant, elle gère en plus la chaîne d'embouteillage », ajoute Miika.

C'est vraiment agréable de voir autant de créativité et d'enthousiasme en Finlande. Comme le dit Juho : « en général, les Finnois sont très humbles et ne vont pas trop se mettre en avant. Mais avec la Kyrö Distillery, on a vraiment de quoi être fier. On peut s'en vanter. »