FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

​Un football des clochers est-il encore possible ?

Les clubs de foot pro représentent toujours des villes, mais où sont passés les joueurs du cru ?
Alberto Varela - Flickr

C'est une contradiction parmi tant d'autres dans le football pro : on nous vend, dans les championnats nationaux, l'idée romantique du match entre clubs, d'affrontement entre deux villes, entre deux cités bourrées d'histoire et de valeurs, qui joueront à la guerre pour de faux, sur des grands terrains verts, avec un ballon pour potentiellement assurer la suprématie de l'une sur l'autre.

Mais, en vrai, rien n'est plus faux. Les clubs d'aujourd'hui, qui sont quand même censés représenter des villes puisqu'elles en ont le nom, ont des effectifs qui pourraient être interchangeables. L'ancrage local est assez peu visible quand on regarde les joueurs. Le PSG est loin d'être une sélection des meilleurs joueurs de Paris, voire d'Île-de-France ; les Franciliens dans l'effectif se comptent d'ailleurs sur les doigts de la main (Douchez, Rabiot, Kimpembe, Augustin, Ongenda). C'est peut-être teubé à dire comme ça, mais c'est la réalité. Les clubs ne représentent plus leur territoire.

Publicité

Et cela va aller en empirant, puisque, à quelques rares exceptions de clubs qui misent historiquement sur la formation (Lyon, Barcelone…), les effectifs des clubs de première division, à travers l'Europe, incorporent de moins en moins de jeunes issus de leurs centres de formation. Le Centre international d'étude du sport (CIES) relève ainsi qu'en 2015, moins de 20% des effectifs des clubs de première division à travers 31 ligues européennes sont composés de joueurs formés au club. Et "formé au club" ne veut plus forcément dire "joueur du cru" par ailleurs : le recrutement de jeunes talents se fait de plus en plus précocement. Lionel Messi a bien été recruté à 13 ans par le Barça.

Imaginons deux secondes un football avec des équipes composées uniquement de joueurs du cru. Il y a quelques relents identitaires nauséabonds derrière cette idée désuète, c'est vrai. Marine Le Pen en avait d'ailleurs fait une de ses propositions dans son programme présidentiel pour 2012. D'ailleurs où s'arrêterait-on ? Les joueurs seulement nés dans la région ? Qu'est-ce qu'on fait alors des joueurs nés ailleurs mais qui ont grandi dans le coin et sont tout autant que les natifs "attachés à leur territoire" ?

C'est la question avec laquelle se débat l'Athletic Bilbao depuis ses débuts. Cette volonté de limiter son effectif aux joueurs basques, elle est à la fois fascinante et dérangeante. Fascinante, car elle revient aux fondements du principe de club : les gars du coin représentent ta ville. Comme en championnat amateur, mais là, en première division. Mais dérangeante car ces principes sont fondés sur des revendications régionalistes excluantes, qui ne laissent aucune place possible à l'étranger, au non-régional.

Publicité

Face à la concurrence exacerbée dans le championnat espagnol, l'Athletic Bilbao a, au fil des années, assoupli cette politique pro-basque. Au départ elle se basait sur les idées radicales du fondateur du Parti nationaliste basque Sabino Arana Goiri, dont les idées fleuraient bon la xénophobie et l'idée de race supérieure basque. Et puis l'Athletic a, au cours de son histoire, adopté plusieurs réformes de ses critères de recrutement.

Ce fut d'abord la règle des grands-parents, mise en place dans les années 1950. Elle autorisait la présence de joueurs nés ailleurs qu'au Pays basque si ceux-ci pouvaient justifier d'aïeux nés dans la région. Puis, ce fut dans les années 1990 l'autorisation dans l'effectif pro de joueurs seulement formés au club ou dans d'autres clubs du Pays basque, mais qui pouvaient venir de l'étranger, comme le défenseur vénézuélien Fernando Amorebieta, qui a tout de même grandi dans la région. A l'ère de la mondialisation, l'Athletic Bilbao a appris qu'il était bien difficile de rester crispé sur ses principes identitaires.

Des supporters de l'Athletic Bilbao dans un match contre l'Espanyol Barcelone à San Mamès en 2009. Photo Tsutomu Takasu - Flickr.

L'Athletic, c'est l'exemple radical. Le SC Bastia, dans une moindre mesure, tente toujours de préserver une identité corse dans son effectif. Il n'est pas étonnant d'ailleurs de voir que ce sont dans deux régions à l'identité forte, la Corse et le Pays basque, que subsiste cette volonté de conserver des joueurs du cru. Didier Rey, historien du football corse, rappelle que dès les débuts du football pro, Bastia et Ajaccio sont allés recruter des joueurs non-corses. « Par la suite, les deux clubs ont gardé beaucoup de joueurs corses dans l'effectif mais ceux-ci étaient moins bien payés. »

Publicité

N'y a-t-il donc jamais eu en France de football de clochers comme on le retrouve dans les championnats amateurs ? Des équipes représentant des villes ? Il faut croire que non, ou alors pendant très peu de temps : certains clubs, comme le Stade helvétique à Marseille, représentaient des communautés dans des villes. Mais avant même la mise en place du professionnalisme, les clubs des différentes villes ont embauché des joueurs venant d'autres coins de France. « C'était la pratique du racolage, explique l'historien du football Paul Dietschy. L'info sportive circulant très tôt, dès les années 1920, les clubs ont su quels joueurs étaient bons. Marseille a commencé à acheter des joueurs de l'extérieur dès cette époque-là par exemple. » Le professionnalisme a instantanément fait primer la compétitivité sur l'idée de représentation régionale. Plutôt logique.

La décennie suivante, selon Paul Dietschy, 25 à 30% de joueurs étrangers (majoritairement des joueurs de qualité venus de l'Est pour de faibles montants) composaient les effectifs des clubs de première division. Les transferts étaient plus régulés qu'aujourd'hui pendant les cinquante années qui ont suivi : un joueur ne connaissait que trois ou quatre clubs maximum pendant sa carrière, un attachement pouvait se créer entre le joueur et la région, entre les supporters et le joueur. Paul Dietschy cite l'exemple d'Henri Michel, born and raised à Aix-en-Provence, une particularité que les supporters nantais n'ont jamais retenu contre lui, au contraire, quand le milieu de terrain faisait les beaux jours de La Beaujoire pendant les seventies.

Publicité

Puis l'arrêt Bosman au milieu des années 1990 a foutu un gros coup de pied dans les effectifs : les clubs pouvaient désormais empiler les joueurs étrangers et ne s'en sont pas privés. Cela a commencé avec les Galactiques du Real Madrid, et aujourd'hui on en arrive à des équipes mondialisées (« qatarisées » dixit Didier Rey), tout du moins celles du top niveau comme Chelsea, Manchester City ou le PSG. L'UEFA tente bien de réintroduire un quota de joueurs formés au club - quatre minimum dans les compétitions européennes - mais cela reste une formalité dont se défont les équipes européennes en inscrivant quatre pèquenauds du centre de formation qu'ils ne feront jamais jouer. Cela n'a jamais remis la formation au centre du jeu.

La preuve vivante est Kingsley Coman. Il y a quelques jours après ses premiers entraînements avec l'équipe de France, il se félicitait d'avoir quitté le PSG, où on le considérait « plus comme un jeune du centre que comme un jeune pro ». L'avoir aujourd'hui, ç'aurait été tout bénèf' pour Paris : un joueur de niveau européen qui rentre dans leur quota. En plus il aurait fait un bon remplaçant à Lavezzi et aurait représenté la réussite à la parisienne (comme peuvent toujours le faire Rabiot ou Aréola ceci dit). Mais il aurait fallu lui laisser faire ses preuves.

Kingsley Coman sous le maillot du PSG. Il n'y aura joué que quatre matches en pro avant de partir pour la Juve. Photo ESPN

Michel Platini s'était aussi ému du manque de joueurs formés par les clubs dans les effectifs pro en juillet dernier, fustigeant une concentration des talents dans quelques clubs et proposant un quota de joueurs formés localement dans les effectifs. Mais, dans un football où on est plus proche de Doyen Sports que de la bataille de clochers du foot amateur, il semblerait que les clubs du football pro préfèrent se diriger lentement mais sûrement vers un modèle de franchises à l'américaine dans des ligues fermées comme en NBA, cette ultime étape de l'évolution du sport business. Des équipes conçues comme des marques pouvant être délocalisées à tout moment, avec des joueurs draftés des quatre coins de la planète, et du naming de stades à tire-larigot. Des clubs qui ne ressembleraient plus à grand-chose. Pas aux villes qu'ils représentent en tout cas.

On peut imaginer que dans les décennies qui viennent, le football va devoir faire ce choix-là. Faire le grand saut et abandonner tout prétendu attachement territorial et les clubs deviendront des marques, encore plus qu'elles ne le sont déjà. Ou revenir aux bases, en rendant le football aux supporters, en revenant à la formation, à la proximité. L'idée ne serait pas de faire un championnats de petits Athletic Bilbao, mais de revenir au sens premier du club, celui de porte-drapeau d'un territoire.