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Pourquoi je suis parti entraîner une équipe de foot à Tahiti

Après être passé par l'Olympique de Marseille, cet ancien chercheur en psychologie du sport de 26 ans est aujourd'hui le coach d'une équipe tahitienne. Il se raconte.

17 juin 2013. Il est 16 heures à Belo Horizonte. Au Brésil, Tahiti va disputer son premier match de la Coupe des Confédérations. Comme prévu, les Polynésiens se font humilier par le Nigeria (6-1) mais le principal n'est pas là. Pour la première fois de son histoire, la Collectivité d'outre-mer a pu goûter au haut niveau grâce à sa victoire en Coupe de l'Océanie.

Plus de deux années ont passé et le football à 11 est toujours dans l'ombre. Marama Vahirua est bien revenu au pays mais c'est le beach soccer (vice-champion du monde en 2015) qui est mis en exergue. Dans ce marasme ambiant, le club de l'AS Central Sport essaye de bien figurer et de retrouver son lustre d'antan. En première division, Mana comme on le surnomme, c'est la bonne surprise de l'année. La raison ? Cyril Klosek. Arrivé de métropole cet été, l'ancien préparateur mental de l'OM s'y plait et gère avec passion sa jeune troupe. À 26 ans, c'est une nouvelle étape enrichissante dans sa carrière.

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Comment se retrouve-t-on à entraîner à Tahiti ?
En fin de saison dernière, je sentais que j'avais fait le tour de la question dans mon club. J'avais besoin d'une nouvelle aventure, de me mettre en danger. J'ai relancé quelques pistes au sein de mon réseau, envoyé quelques CV, et puis j'ai eu un contact qui n'a pas abouti avec la Fédération tahitienne. Le club de l'AS Central Sport a récupéré mon CV et m'a contacté. Les dirigeants m'ont invité une semaine à Tahiti en juillet, pour me présenter leur projet, et j'ai accepté. J'ai pour objectif de ramener Central au niveau où il était il y a quelques années (c'est le club le plus titré de Polynésie) et de nous qualifier à moyen terme pour la Ligue des Champions d'Océanie, qui elle-même est qualificative pour la Coupe du monde des clubs. Nous voulons également créer un centre de formation qui accueillerait les meilleurs jeunes du Pacifique Sud.

Quel a été ton parcours avant de venir à Tahiti ?
À la base, je suis originaire de Roanne. J'ai commencé le football à l'âge de 5 ans dans mon club de quartier au Mayollet puis dans le plus gros club de ma ville jusqu'en seniors. En parallèle, j'ai commencé à entraîner les petites catégories (U7, U9, U11 et U13) de ce club tout en me formant au métier d'éducateur sportif. En 2010, j'ai obtenu ma Licence STAPS à l'Université de Saint-Etienne puis un Master en préparation mentale à Montpellier. Au cours de la première année, je suis devenu préparateur mental du centre de formation de l'Olympique de Marseille avec les U17 nationaux, U19 nationaux et l'équipe réserve. Pour la deuxième année, je me suis inscrit dans un Master européen en Psychologie du sport à Amsterdam, puis à Oslo où j'occupais un poste de chercheur en psychologie du sport au laboratoire de l'Université. Ayant toujours l'envie d'entraîner, j'ai intégré la NorskFotballAkademi d'Oslo avec une équipe U15. Je suis revenu à Montpellier pour un Doctorat avec un Master Recherche toujours en psychologie du sport.

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Ne me sentant pas la fibre d'un chercheur, je suis revenu dans ma région d'origine en prenant la tête du club de mon quartier, Roanne Clermont. Certainement ma plus belle expérience en tant qu'entraîneur et pour moi un gros défi puisque c'était ma première expérience avec des seniors, à 23 ans. En 2 ans avec le président Cetin Aytekin, nous avons effectué un gros travail : + 230 licenciés, label école de foot, etc. Nous avons réussi à fédérer tout un quartier derrière nous.

Le ballon rond tahitien était une découverte totale pour toi. Quel regard portes-tu sur ce football ?
Je suis arrivé vraiment dans l'inconnu, car je ne connaissais presque rien du football tahitien. Le niveau est intéressant ! Je pense que la Ligue 1 ici correspond à une bonne DH en France. Il y a une équipe qui est vraiment au-dessus du lot, Tefana. Ses joueurs pourraient évoluer en CFA 2. On l'a aussi vu avec Pirae qui n'a perdu qu'en prolongations en coupe de France contre une CFA2 (Pontivy, ndlr). Il y a également des matches de Ligue 1 qui ont un niveau PH… En ce qui concerne le jeu, c'est l'engagement physique qui m'a surpris. Rien à voir avec la France. Ici, la plupart des matches sont des « combats » pendant 90 minutes. Tactiquement, certains joueurs ont des manques et très peu jouent en mouvement, mais pour la plupart, ils ne lâchent rien de la 1re à la 90e minute. Une autre surprise, ça a été l'hygiène de vie. En arrivant, tu ne te dis pas que des mecs qui jouent en sélection ou qui s'entraînent comme des semi-pros peuvent faire la fête tous les samedis. Ils aiment trop le "trip" (la fête, ndlr) !

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C'est cocasse que tu me parles de ça. Le joueur tahitien a la réputation d'avoir un potentiel intéressant mais pas le mental adéquat. Il est souvent fiu (fatigué, ndlr).
C'est vrai qu'il y a des jeunes avec un bon potentiel, mais très peu percent au plus haut niveau ou en Ligue 1 Française. (Il réfléchit) Je ne pense pas que le problème se situe uniquement au niveau mental, mais aussi, et plutôt, au niveau de la formation. Il n'y a pas énormément d'entraineurs diplômés chez les jeunes et les joueurs ont quelques manques, tactiques notamment. Ceux qui sortent des sections sportives de la fédération sont plus complets. Après, c'est sûr qu'ici il n'y a pas une énorme concurrence.

En Ligue 1, à part, un club qui est situé sur la presqu'île, tous les clubs sont dans un rayon de 15 km autour de Papeete. Un joueur qui est un peu au-dessus du lot aura sa place un Ligue 1 un jour ou l'autre. Mais pour évoluer au plus haut niveau, il faut se confronter à d'autres équipes. Ça pourrait être en Nouvelle-Zélande, aux États Unis, ou même en France, mais Tahiti est un peu loin de tout. Donc si un joueur veut « percer », il faut qu'il parte et ce n'est pas toujours évident de partir aussi loin. Encore plus pour un jeune. Il peut alors partir en étant adulte, mais il a alors beaucoup trop de retard dans sa formation pour jouer au plus haut niveau. Je pense que cet éloignement est la principale raison.

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Après je suis d'accord avec toi quand tu dis que les joueurs sont souvent « fiu » ici. Il fait chaud, la vie est douce… Ça n'encourage par forcément à travailler plus (sourires).

Tu as été chercheur en psychologie du sport. Cette expérience t'apportes-t-elle au quotidien avec tes joueurs ?
J'ai fait de la recherche en psychologie du sport dans deux laboratoires, à Montpellier et à Oslo en Norvège. Je me suis lancé dedans, car je souhaitais compléter mes connaissances en préparation mentale, aller plus loin dans ce domaine. Cela m'a apporté une autre vision mais, c'était très théorique et parfois trop éloigné de la pratique, d'où mon choix de retourner au métier d'entraîneur. La recherche, c'est aussi un apprentissage par la rigueur, comme me disait souvent mon directeur de recherche, et j'ai vraiment progressé de ce point de vue là. Au quotidien, avec les joueurs, ce sont plus mes expériences en préparation mentale appliquée que ce côté recherche qui me sert.

Cette double compétence entraîneur-préparateur mental est une grande force. Elle me permet d'avoir une meilleure empathie, de mieux « ressentir » les réactions de mon groupe, ses besoins et ses attentes qui ne sont pas toujours verbalisées. C'est aussi un atout en ce qui concerne l'écoute, le management, mes relations avec les joueurs. C'est une posture que je n'aurais pas forcément eue si je n'avais pas suivi ces formations. D'un point de vue plus pratique, je peux également accompagner des joueurs sur des problématiques plus individuelles : la gestion du stress, la fixation d'objectifs, la confiance en soi.

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Tu as travaillé pour les jeunes de l'OM ainsi que le centre de formation en tant que préparateur mental.
J'ai passé un an à la Commanderie, lors de la saison 2010-2011. Henri Stambouli (aujourd'hui directeur du centre de formation de Montpellier, ndlr) m'avait fait venir. Il souhaitait compléter les staffs avec un préparateur mental. J'ai donc exercé pendant un an avec les U17 nationaux, U19 nationaux et l'équipe réserve qui était entrainée par Franck Passi. Les équipes ont fait une bonne saison car les U17 ont été finalistes contre le PSG, et la réserve est remontée en CFA2. Sur un plan personnel, c'est une saison mitigée. Beaucoup d'entraineurs et joueurs de foot n'ont pas la connaissance de ce qu'est la préparation mentale et des bénéfices que cela peut apporter. Avec Franck Passi par exemple, qui avait connu un préparateur mental en Espagne et à Bolton en Angleterre, les échanges étaient riches et fréquents. Ce n'était pas le cas avec tous les éducateurs, ni même avec tous les joueurs. Le préparateur mental était souvent assimilé à un psychologue et, du coup, j'avais le droit à des réponses comme « Pour quoi faire ? Je vais bien ! Je ne suis pas fou ! » C'est surtout la méconnaissance du métier en France et encore plus dans le football qui est un frein au développement de la préparation mentale. Mais, je pense que ça évolue dans le bon sens. Après tout n'était pas négatif dans cette expérience. J'ai beaucoup appris sur les bons et mauvais côtés du très haut niveau, en tant qu'entraineur également, car j'étais constamment sur le terrain. Et puis, je suis toujours en contact avec certains joueurs que je suis au fil de leur carrière et avec qui le travail avait très vite porté ses fruits.

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Après quelques mois à Tahiti, quel bilan tu fais de ton expérience sur place ?
Très positif ! C'est ce que je cherchais, avec les bons et les mauvais côtés. J'ai découvert un nouveau championnat, une autre culture, une autre manière de voir le foot. J'ai plutôt un bon rapport avec mon groupe. Nous travaillons bien avec 5 à 6 séances collectives par semaine et 2 en travail individuel. J'ai pu faire venir trois recrues au mercato dont un adjoint, Efrain Araneda, qui a été pro au Chili et en Belgique. J'ai un groupe très jeune, avec beaucoup d'internationaux espoirs et U20, ce qui demande encore plus d'attention et de précision. Après au niveau de la structuration du club, on avance progressivement. Je pense qu'il faut savoir amener de nouvelles idées. Or, c'est difficle de tout changer d'un seul coup. Ça prend du temps et nous sommes sur la bonne voie. Les éducateurs se forment. Les jeunes progressent.

Comment gère-t-on un groupe aussi jeune ?
C'est un compromis entre l'exigence du résultat, et la formation. C'est une grande force, car ils font preuve de beaucoup d'insouciance et tentent parfois des choses inattendues. Mais c'est aussi une faiblesse. Quand nous avons un « coup de moins bien », nous ne faisons pas semblant. Nous sommes souvent dans l'extrême, que ce soit dans l'euphorie ou dans le doute. La plupart font également partie de la sélection et participent du coup à des tournois internationaux comme les Jeux du Pacifique qui ont lieu au mois d'août en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Mon rôle est donc de les accompagner - footballistiquement et mentalement - afin qu'ils expriment au mieux leur potentiel, qu'ils retirent le maximum d'informations et d'enseignements de toutes ces expériences : la gestion des matches, de la préparation d'avant match, des objectifs individuels et collectifs. Il faut aussi savoir les recadrer parfois.

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Penses-tu qu'à l'avenir, le football tahitien pourra se développer ?
(Il insiste) Bien sûr, j'en suis certain. Il y a une fédération très active et un département technique compétent qui mènent beaucoup d'actions envers les jeunes et les éducateurs. Le fait d'évoluer en Océanie peut te permettre de jouer des compétitions que tu n'aurais jamais jouées ailleurs. La Nouvelle-Zélande domine le football océanien depuis que l'Australie a rejoint la confédération asiatique, mais l'écart n'est pas très important. En 2012, Tahiti a remporté la Coupe d'Océanie, qualificative pour la Coupe des Confédérations au Brésil en 2013. Les joueurs ici peuvent donc, avec un niveau de CFA - CFA2, participer à des grandes compétitions. En 2013, ils ont rencontré l'Espagne d'Iniesta, l'Uruguay de Suarez, ils ont joué au Maracana … Et pourquoi ne pas participer à une Coupe du monde ? Le chemin est plus court ici, et c'est pareil pour les jeunes. L'équipe nationale U17 est passée à un tir au but de la Coupe du monde au Chili qui s'est déroulée le mois dernier. Tout ceci peut t'amener une exposition, des retombées médiatiques. De plus, le pays est « petit » et les sélections peuvent travailler comme des clubs, en se regroupant sur plusieurs mois consécutifs ce qui permet de compenser un peu le retard sur des grandes nations. Après, c'est clair qu'il y aura forcément des limites, car le bassin de population n'est pas très important et il est donc plus difficile de sortir de bons joueurs.

L'AS Central Sport. Photo via Facebook.

As-tu des idées pour pousser son développement ?
Pour moi, la clé du développement, c'est les jeunes. Plus les éducateurs seront formés, plus la formation sera de qualité et plus le pays mettra toutes les chances de son côté pour utiliser au maximum le potentiel local. Il faut aussi que tout le monde tire dans le même sens, en pensant à l'intérêt général du football tahitien et en oubliant les rivalités. Cela peut passer par une aide à l'emploi dans les clubs pour un directeur sportif et des responsables des jeunes. La plupart des clubs, aujourd'hui misent tout sur leur équipe Ligue 1… C'est intéressant sur le court terme, mais si on veut évoluer, il faut voir plus loin. Il faut aussi s'entraîner plus et mieux. Je pense qu'il serait intéressant que plusieurs joueurs s'expatrient. Pourquoi pas en Nouvelle-Zélande ? Ce n'est pas trop loin (5 heures d'avion) les clubs ont des structures plus intéressantes, le niveau du championnat est plus relevé. L'équipe nationale en profiterait à coup sûr.

Marama Vahirua est revenu au Fenua. Tu as eu l'occasion de discuter ?
Je l'ai rencontré plusieurs fois comme adversaire, car il joue à l'AS Pirae, un concurrent pour les playoffs. Il est d'ailleurs devenu l'entraîneur de ce club depuis quelques semaines. Il a également lancé des stages vacances pour les jeunes tahitiens. Marama a un énorme rôle à jouer pour le développement du football local. En termes de médiatisation notamment, car en France, c'est un, ou même le seul joueur tahitien qui est connu, avec son cousin Pascal Vahirua. Il peut donc faire parler de Tahiti en métropole. Sur place, il peut apporter ce « petit truc » de l'extérieur, cette expérience du haut niveau, qui manque à certains jeunes ici qui ne connaissent que le football tahitien.

Une expérience avec les Tiki Toa, l'équipe de beach soccer tahitienne, ça te plairait ?
Toute nouvelle expérience me motive ! Bon pour le beach soccer, je ne suis pas sûr d'être très compétent. Les plages à Roanne et à Saint-Étienne, il n'y en a pas des masses. Mais pourquoi pas, je suis sûr qu'il y a plein de choses à apprendre. Leur parcours a fait parler de Tahiti dans le monde entier. Une finale de Coupe du monde pour un petit pays, ce n'est pas rien. Ils sont très médiatisés ici et ont un entraineur suisse réputé mondialement. Deux joueurs ont aussi intégré le FC Barcelone Beach Soccer (Jonathan Torohia et Heimanu Taiarui, ndlr). Le travail paye. Ils s'entraînent quotidiennement au centre technique que la fédération et la plupart jouent aussi en Ligue 1 le samedi. Ils reviennent d'un tournoi à Dubaï où ils ont été en finale. Tout le football tahitien profite de cette médiatisation.

Et être sélectionneur national chez les jeunes ?
Être sélectionneur national serait un rêve, à Tahiti ou ailleurs. Pouvoir représenter un pays, travailler différemment, participer à des matchs internationaux et de grande compétition. Ici à Tahiti, le sélectionneur et le directeur technique font du très bon travail depuis plusieurs saisons. Ce n'est donc pas du tout d'actualité. Et puis j'ai le temps, je suis un jeune entraineur, j'ai encore beaucoup à apprendre. Mais j'espère avoir ce type d'opportunité un jour.