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Guillaume Batista Pina et Lauriane Tresserre dans une cuve à pétrole à Vie Sauvage

Le festival Vie Sauvage a accueilli un véritable manifeste DIY sous forme de Mythe de la Caverne pluri-sensoriel qui ramène le visiteur à l’essence poétique de la nature.
Guillaume Batista Pina et Lauriane Tresserre. Toutes les photos sont de l'auteur.

Le festival Vie Sauvage a donné carte blanche aux artistes Guillaume Batista Pina et Lauriane Tresserre. Le lieu d’exposition ? Une ancienne cuve à pétrole à la base des falaises sur lesquelles trône la citadelle des festivités. Tunnel noir où le couple a voulu faire dialoguer l’intime avec l’universel, et surtout renouer tous les sens des spectateurs avec l’esprit de la nature. Bienvenue dans un temple chamanique.

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Une agréable odeur d’hydrocarbure fantôme flotte dans les ombres inquiétantes lorsque l’on pénètre dans la grotte où se sont installés Guillaume Batista Pina et Lauriane Tresserre. En sortant parfois à la lumière du jour, ils constatent le goût de fer qu’il reste dans leur bouche, alimentant une hypocondrie bien concevable, allégée par des yeux rieurs. Mais c’est surtout des sons galopant qui relèvent notre attention, primaires, animaux, éveillant à la fois l’excitation et la peur.

« Un parcours initiatique »

Quand on pénètre dans ce large couloir de 170 mètres de long, en totale immersion dans les ombres qui dansent aux murs, on retrouve entre les pilonnes des reliques symbolisant le lien entre la faune, la flore et l’homme, mais aussi l’histoire, la vie et la mort, cristallisant tout le travail de récupération et de partage des artistes. Parmi elles « souvenirs potentiels », des galets à ramener, des « accumulateurs de tension », gravures sur cuivre à l’acide sérigraphiés, une collection de nids d’oiseaux pour une redéfinition primale de l’habitat, un « totem à fétiches (14 objets issus de la nature) », un marbre pyrénéen, œuf de manchot empereur et vertèbre d’agneau formant l’œuvre entre la genèse de la vie et le péremptoire de la mort. « De l’instabilité des formes du monde » ou encore « Nuisibles » : tapettes à souris encerclant des sacs à poubelle motorisée qui rappelle que « lorsque la nature vit en dehors de l’espace que l’homme lui attribue, elle se pare d’une aura négative qu’il faut éradiquer ».

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Parmi cette liste non exhaustive d’objets que l’on retrouve tout au long du parcours, une vidéo d’archives personnelles de Lauriane Tresserre tournées à Berlin est projetée sur la paroi humide, devant un morceau collecté du mur historique :

Lauriane : « Comme ce bout du mur de Berlin, je collecte les objets pour me rappeler des moments. J’ai eu le sentiment d’exil tôt dans ma jeunesse, étant née à Berlin puis habitant en France, j’ai besoin de collectionner et emmagasiner des choses. C’est une bonne accroche pour l’exposition : ça permet d’introduire un objet qui symbolise toute une enfance. »

Guillaume : « La vidéo a un réel discours et une résonance comme ce lieu-là est chargé d’histoire : c’était la plus grosse réserve pétrolière française au début de la Seconde Guerre Mondiale. Ça a d’abord été un endroit de stockage, puis elle a été réquisitionnée par les Allemands comme bunker, il y a des humains qui y ont vécu. » 

Résonance avec l’intime, l’histoire singulière de Lauriane comme l’Histoire plus largement, on part toujours d’une « cosmogonie personnelle » pour aller à une reconnaissance « dans l’inconscient collectif », comme c’est le cas du totem où crânes, fleurs séchées, pierres ou libellule sont figés, formant un lien entre les souvenirs singuliers des artistes et notre imaginaire commun des détails essentiels de la nature.

Après des ossements de vaches trouvés lors de randonnées, on parvient au fond de la salle où une tablette tactile, reliée aux amplis diffusant des sons aux lourdes basses pour la plupart, attend que le visiteur remodélise toute l’exposition en construisant son propre paysage sonore.

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« Créer un paysage sonore et le laisser aux autres »

Dans une démarche qui se veut simple, poétique et spirituelle, en résonance avec le lieu atypique et austère, « Eyetunes Landscapes » est le point culminant qui lie et transforme tous les éléments de l’exposition. Avec l’enclenchement et la prise en main de nombreuses pistes audio collectées directement dans la nature et quelques bidouilles synthétiques sur Abelton pour mimer le frémissement de papillons de nuit, des redéfinitions de mots par Lauriane Tresserre illustrent le son et l’image que l’on décide de modifier.

Ça vrombie, ça croasse, ça crisse, hulule ou piaille franchement, ça s’effondre, tempête ou siffle comme un murmure, selon la folie de nos doigts sur la carte interactive. La résonance incroyable dans la cuve sombre réveille une bande-son préhistorique à la fois viscérale et transcendante. Quand on revient sur nos pas, toute notre conception est changée : les objets prennent une autre dimension, on a laissé sa propre trace sonore et on reconnaît mieux celles, symboliques, des artistes qui nous ont plongé dans leur propre conception de l’art éphémère et généreuse.

« Une éthique du partage et du recyclage »

« On a chez nous énormément d’objets qui dorment : c’est un peu ça les Beaux-Arts, constituer des cahiers de recherche. Des fois elles rejaillissent ». Archives personnelles et exposition sur la vie sauvage éminemment universelle, le concept central des œuvres de Guillaume Bastia Pina est pourtant l’éphémère : « que ce soit numérique ou autre, je passe énormément de temps sur mes œuvres. Une fois réalisées, j’ai un sentiment de satisfaction qui est tout de suite chamboulé par un retour de flamme qui fait : « en fait, non c’est naze ». Et faut que je passe à autre chose, j’ai toujours besoin de me renouveler. La table par exemple, j’ai déjà envie de tout refaire : la vie est comme ça, faut toujours tout remettre en question. »

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Pour la première collaboration du couple, si l’aspect de bidouilles est moins présent, ils se rejoignent dans une même philosophie de la « culture du remix » qui se comprend pour Guillaume Bastia Pina comme « le détournement d’un objet de son sens premier ». Mais pourtant, il y a une table tactile ?

Guillaume : « En fait, c’est la reconnaissance infrarouge de la position des doigts sur la table par une webcam cassée de Playstation, un miroir, et un vieux rétroprojecteur. Quelqu’un qui a du fric aurait pris directement une tablette tactile. Nous, on a une toute petite vie, dans la case en dessous des smicards, on bosse par économie de moyen. »

Lauriane : « Les rats dans la poubelle… Tout fait écho à notre manière de travailler. On fait avec du matériel de récupération et de collection, même les matériaux pour les socles. Ce n’est pas seulement une économie de moyen, mais avant tout une façon de penser ».

Vie Sauvage aura accueilli un véritable manifeste DIY sous forme de Mythe de la Caverne pluri-sensoriel qui ramène le visiteur à l’essence poétique de la nature, en transmettant une cosmogonie spirituelle universelle.