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Sports

Déso Stan Wawrinka, mais le tennis a besoin de plus de trash talk

Quand Nick Kyrgios a fait du trash talk face à Stan Wawrinka cet été, tout le monde a été horrifié. Et si le tennis était juste devenu trop chiant ?
Jean-Yves Ahern-USA TODAY Sports

Vous avez probablement entendu parler de cette histoire, devenue une affaire dans le petit monde du tennis : pendant un match à Montréal, au mois d'août, le bad boy à crête de l'ATP, Nick Kyrgios, a lancé à Stan Wawrinka, l'un des nombreux gendres idéaux du circuit, qu'un autre joueur avait "baisé" sa copine.

"Désolé de te dire ça, mec", a ajouté Kyrgios, ce qui bizarrement n'a pas vraiment rattrapé le coup.

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Les micros ont tout entendu, et ces quelques mots ont immédiatement été diffusés sur toutes les chaînes et tous les sites de la planète. Le monde du tennis était mortifié. Nadal a refusé de jouer en double avec Kyrgios à l'occasion d'un match de bienfaisance. Kyrgios a écopé d'une lourde amende et d'une suspension avec sursis de la part de l'ATP. Le pauvre Wawrinka était dévasté.

Cet épisode a nui a l'image du tennis, mais pas pour les raisons que l'on croit. En tant que fan de tennis depuis mon enfance, j'ai été moins choqué par les mots de Kyrgios que par la réaction de Wawrinka et des autres joueurs.

"C'est très décevant de voir un autre athlète et collègue se montrer aussi irrespectueux, ça dépasse l'imagination", a tweeté Wawrinka.

Sérieusement ? Ouin ouin gros bébé. On est d'accord, ce qu'a dit Kyrgios était parfaitement méchant, gratuit et dégueulasse. C'est tout le principe du "trash talking" : faire vriller la tête de son adversaire. Et c'est son job à lui de ne pas se laisser avoir. Sauf que visiblement, Wawrinka a été tellement choqué que ça continue à le hanter.

Comment le tennis est-il devenu si chiant ?

"Avant, il y avait beaucoup plus de trash talk pendant les matches, constate Andy Murray. Mais maintenant qu'il y a des micros partout, et avec les réseaux sociaux qui relaient tout en 2 secondes, tu sais que si tu dis un truc il sera repris et amplifié immédiatement. En plus, le terrain est grand, on est loin de l'adversaire, donc on ne se parle pas beaucoup. C'est sans doute mieux comme ça. On a bien vu ce que ça a donné avec Kyrgios. Je ne pense pas que quiconque se soit dit que c'était bon pour le tennis."

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Sauf que si, justement, ça aurait pu faire du bien au tennis. La copine de Wawrinka aurait pu protester et s'en prendre à Kyrgios ; après tout, c'était elle la vraie victime dans cette affaire. Mais au final, je me demande si tous ces micros et toutes ces caméras sur le terrain nous montrent vraiment la réalité du sport, ou s'ils la modifient profondément.

Un mec pas trop fan du trash talk. --Photo par Eric Bolte-USA TODAY Sports

Le tennis est un combat, si ce n'est qu'on frappe dans une balle et pas dans la tête de l'adversaire. Après des heures passées sur le court en un contre un, généralement en plein soleil, on finit forcément par détester le mec qui est en face. Il y a quelques années, j'entraînais un jeune joueur qui manquait totalement d'agressivité. Je lui disais de m'insulter à chaque fois qu'il remportait un point. Puis progressivement, je lui ai appris à ne pas prononcer l'insulte, mais à simplement la penser. C'était une question d'état d'esprit.

Si le tennis est devenu aussi poli, c'est parce que les joueurs essaient tous de ressembler aux mecs bien propres sur eux qui trustent les premières places du classement, les Federer, Nadal, Murray et autre Djokovic. C'est cool pour les sponsors qui essaient de vendre des produits de luxe à une clientèle aussi riche que conservatrice, mais ça n'aide pas à susciter l'intérêt des foules, et encore moins à conquérir le cœur des plus jeunes. Si tout le monde doit rester bien assis et silencieux dans les tribunes, et que les joueurs ne peuvent rien se dire contrairement à… ben… tous les autres sports, plein de fans de tennis potentiels peuvent être tentés d'aller voir ailleurs.

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Michael Jordan aimait particulièrement traverser tout le terrain en annonçant à ses adversaires exactement ce qu'il allait faire. "Allez-y, essayez de m'arrêter." Larry Bird était un véritable pro du trash talk, peut-être le meilleur de l'Histoire du sport. Une fois j'ai même vu Usain Bolt, avant une course de relais, expliquer à ses adversaires qu'ils devraient faire bien attention à ne pas laisser tomber le bâton, et à ne pas se laisser distraire par la semelle de ses chaussures.

Ça, bien sûr, c'est la version soft, celle qu'on peut raconter. Et c'est aussi ce qui rend le sport plus intéressant. Plus cool. Même si ça crée parfois du ressentiment, de la peine, et si la frontière du mauvais goût est régulièrement franchie. Le trash talk serait même plus utile pour le tennis que pour tous les autres sports, étant donné qu'il peine à se débarrasser de son image de sport de riches.

Dans les années 70, le tennis était plus populaire aux Etats-Unis que la NBA. Pourquoi ? Parce que des gars comme McEnroe ou Jimmy Connors, avec leurs grandes gueules et leur de jeu agressif, savaient séduire les foules.

"On n'est jamais allés aussi loin que ce que Kyrgios a dit à Wawrinka, nous a avoué McEnroe. Mais ce genre de choses arrive tout le temps dans les autres sports. Ça fait partie du sport, tout simplement. Au tennis, c'est pas trop le cas, tout est plus lisse. Ça me manque un peu."

McEnroe ne veut pas que les gens pensent que le tennis est un sport mou, alors que lui-même s'est battu pour qu'il soit aussi populaire que les autres sports

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"OK, il y a eu des moments où j'ai dépassé les bornes, un peu comme Kyrgios, mais ça fait partie du spectacle et c'est important dans un sport individuel, estime-t-il. Je ne dis pas que les mecs devraient s'insulter en permanence, mais c'est un sport où le mental est très important."

John McEnroe au filet, le meilleur endroit pour échanger des plaisanteries verbales. --Photo par Offside Sports-USA TODAY Sports

Dans son livre The Outsider, Connors raconte que la première fois qu'il joue contre McEnroe, ce dernier vient essayer de lui dire bonjour avant le début de match. Connors choisit de ramasser son sac et passe devant McEnroe sans lui adresser un regard. "Pas de sourire, pas de bonjour, pas de poignée de main."

Dans les vestiaires avant un match, selon USA Today, Ivan Lendl aurait dit à Brad Gilbert : « Bradley, je ne vais même pas essayer de remporter un seul coup gagnant aujourd'hui. Je vais te faire courir à droite à gauche jusqu'à ce que t'aies des crampes. » Et c'est ce qu'il a fait. Ilie Nastase avait pour coutume de dire qu'une fois que votre adversaire se plaignait de vous, il était fini. Lors d'une tournée sénior l'année dernière, Connors expliquait qu'il ne se serait pas vu battre McEnroe ou Nastase ou n'importe qui lors d'une finale et ensuite aller le consoler au filet, une main sur l'épaule, comme le font les joueurs aujourd'hui. Et il n'aurait pas voulu que McEnroe lui fasse non plus.

McEnroe semble du même avis.

"Nous révélions le pire et le meilleur de l'autre, explique-t-il en parlant de Connors. On y allait quoi. Vous savez, il m'a appris des trucs. Il avait une intensité dans le vestiaire. Il essayait de vous battre dans le vestiaire. Vous arriviez sur le court, il vous agressait avec son tennis. Ça demandait un gros effort de savoir ce qu'il fallait faire ensuite. Finalement, il a fait de moi un meilleur joueur."

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Le dernier endroit où l'on trouve du trash talk au tennis, c'est au niveau universitaire. C'est contre les règles, mais, selon le coach de la Texas Christian University David Roditi, tout le monde le fait quand même, particulièrement les coéquipiers qui ne jouent pas et qui regardent d'autres matches en cours.

"J'ai eu un de mes adversaires qui a dit à un de mes joueurs, qui est plutôt petit, 'Ferme-là, le nain', raconte Roditi. On avait des mecs qui se donnaient des coups d'épaule au changement de côté. S'il y avait plus de trash talk sur le circuit pro, cela rendrait le sport plus populaire, mais cela décevrait quelques fans aussi."

"Le tennis est un sport très, très personnel. Il y a un jeu dans le jeu dont le public n'a absolument pas idée."

Le Big 12, la ligue universitaire de tennis américaine, essaie quelque chose de nouveau, en disant aux fans qu'ils n'ont pas besoin de se taire pendant les points. La raison, c'est que les étudiants ne sont pas forcément à l'aise en venant à des matches pour se retrouver en groupes, et où ils sont réduits à rester assis là en silence, ne sachant pas trop comment se comporter. C'est une très bonne idée, qui pourrait rendre le tennis beaucoup plus populaire.

Roditi y est favorable, mais n'est pas pour le trash talk. Je comprends pourquoi, mais je pense qu'il ne voit pas les bons côtés. Tout comme son sport.

"Il n'y a nulle part où se cacher (en tennis), dit Roditi. Vous ne pouvez pas mettre le mec sur le banc ou le sortir du match. Imaginez un mec comme Kyrgios contre un mec comme Connors ? Ce serait sale. Ce serait divertissant, mais ça mettrait aussi le spectateur mal à l'aise."

Mal à l'aise. Exactement. Le tennis a tellement pris ses aises que parfois, il peut être un peu endormi. Un peu plus de trash talk le réveillerait.