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Tribune

Comment j’ai pardonné au mec qui m’a tiré dessus

Au tribunal, j'ai eu envie de me venger – puis j'ai réalisé que je n'avais aucune envie d'envoyer un homme en prison pendant des décennies entières.
Illustration : Dola Sun

Il y a sept ans, on m'a tiré dessus. Deux fois.

En 1988, ma famille a emménagé du côté de Highland Park à Detroit. J'ai grandi dans une rue où il se passait toujours plein de choses, aussi bonnes que mauvaises. Il y avait autant de courses de vélo entre gamins que d'assassinats de dealers. Je vivais avec ma mère et mes quatre grands frères. Au cours de mon enfance, j'ai vu les gens qui m'entouraient sombrer dans la violence et finir en prison.

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Un jour, alors que je devais avoir dix ans, je me rappelle m'être assis sur le porche de ma maison avec l'un de mes frères et quelques potes à lui. On a entendu une voiture déraper, puis des coups de feu. Mon meilleur ami Reubin, qui avait lui aussi dix ans, venait de prendre une balle dans la poitrine. Il n'était qu'une énième victime collatérale d'un énième règlement de compte.

Il est mort sur le coup.

Mon père s'est fait tirer dessus – lui aussi en pleine poitrine – dans les années 1990. Il s'était embrouillé avec un ami pour une sombre histoire de fric.

Un jour, mon grand frère s'est pris une balle dans le dos en essayant d'échapper au type qui cambriolait son appartement.

Au début des années 2000, mon cousin s'est pris une balle dans le dos lors d'une tentative de braquage. Aujourd'hui, il est paralysé de la taille jusqu'aux pieds. Un autre de mes cousins a été poignardé plusieurs fois, en plus de recevoir quelques balles.

Trop souvent, un jeune homme noir est perçu comme un danger. Moi, je voulais que ma vie soit différente.

Durant l'été 2009, j'ai décroché un diplôme à l'université du Massachusetts. J'ai également signé un contrat pour devenir joueur professionnel de basket en Europe. Les gens affirmaient que j'étais un magicien sur le terrain. On me surnommait « Oz », d'ailleurs.

Mais tout a changé la nuit du 24 août 2009. Ce soir-là, je me suis garé près d'une épicerie pour acheter de la limonade. Tandis que je marchais, j'ai remarqué qu'un type me regardait bizarrement. Un sentiment étrange a parcouru tout mon corps. Quand j'ai quitté l'épicerie, j'ai marché jusqu'à ma voiture et ai posé la bouteille sur la banquette arrière. En sortant, j'ai aperçu deux mecs se diriger vers moi. L'un des deux avait deux flingues – un dans chaque main.

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Plusieurs scénarios ont traversé mon esprit – sauter dans la voiture et foncer ; les laisser me dépouiller ; faire tout ce qui était en mon pouvoir pour sauver ma peau. À mesure qu'ils s'approchaient, j'ai commencé à compter leurs pas. Un, deux, trois. Au quatrième, j'ai couru pour tenter de revenir à l'épicerie. Ils ont tiré huit fois. J'ai pris deux balles dans le dos.

Je suis resté étendu au sol. J'ai essayé de me relever mais je ne sentais plus mes jambes.

Je ne savais même pas si les deux types étaient encore là. J'ai tout fait pour me traîner du parking jusqu'à l'entrée de l'épicerie. J'ai jeté un regard en direction de l'entrée avant d'hurler : « On m'a tiré dessus. J'ai besoin d'aide ! »

Quand l'ambulance est arrivée, je n'ai pas arrêté de dire aux ambulanciers que je ne voulais pas mourir.

Aux urgences, les médecins m'ont dit que j'avais deux poumons perforés, une hémorragie interne, une paralysie temporaire et une épaule démise. Il m'a fallu plusieurs jours pour me réveiller. J'ai passé des semaines entières à l'hôpital. J'étais énervé et j'avais très peur – et, surtout, la douleur était affreuse.

Quand les médecins et les infirmiers sont venus changer mes pansements, je me suis accroché à la barrière du lit, en pleurant. Ils ne pouvaient pas retirer les balles car elles étaient trop proches de ma colonne vertébrale. Mon corps ne serait plus jamais le même.

Il y avait également les séquelles psychologiques. J'avais peur de revenir dans mon quartier. Je vivais à quelques centaines de mètres du lieu où l'on m'avait tiré dessus. Cette peur s'est rapidement transformée en haine. Je voulais me venger.

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J'ai demandé à un membre de ma famille de me dégoter un flingue. En l'espace de quelques heures, il est arrivé chez moi et a mis un 9 mm noir dans mon sac.

Je n'avais jamais tenu de pistolet auparavant. Je me suis mis à l'emporter partout avec moi – même pour mes consultations chez le médecin.

La police est venue me rendre visite deux ou trois fois, et environ sept mois après l'incident, ils ont arrêté le mec qui m'avait tiré dessus. Les enquêteurs l'ont chopé dans une maison de mon quartier. Il avait 18 ou 19 ans.

Le jour du procès, j'étais prêt à témoigner, à le reconnaître devant la cour et à insister sur la peine qu'il m'avait causée. Dans le bureau du procureur, on m'a dit qu'il avait refusé tous les deals que la justice lui avait proposés. Il risquait jusqu'à 40 ans de prison. Mon frère purge une peine de prison à vie et je ne sais que trop bien à quel point cela peut détruire un homme et une famille.

C'est là que j'ai eu un déclic : je ne voulais pas mettre un autre être humain dans cette situation.

Avec l'avocat de la défense, j'ai mis au point un autre deal. Mon agresseur l'a accepté, a plaidé coupable et a écopé d'une peine de six à dix ans de prison.

Pour la première fois depuis longtemps, je ne ressentais plus de haine.