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Food

À la recherche du régime parfait avec les biohackers

Obsédés par le bien manger, les biohackers veulent tirer le meilleur parti des avancées scientifiques et technologiques pour rationaliser tout ce qu'ils ingurgitent.

Le matin, Dave Asprey ne petit-déjeune pas. Quand il émerge vers 7h, il avale à la place une poignée de compléments alimentaires, qu'il fait passer avec un mug de café au beurre.

À midi, quand cela lui arrive de déjeuner, il prépare des plats à base de légumes à la vapeur, de viande de bœuf nourri à l'herbe, ou bien de poisson avec du beurre et de l'huile de noix de coco. Au dîner, il se nourri encore de viande ou de poisson, qu'il accompagne plutôt avec une sauce à la crème. Son régime est très calibré : il est constitué entre 50 et 60% de gras, à 20% de protéines et entre 20 et 30% de légumes. C'est grâce à ces mesures précises qu'il affirme être en mesure de faire des journées de 19 heures. Il a éliminé de son alimentation tous les produits soupçonnés de causer des inflammations chroniques : les acides gras trans, l'alcool, le sucre, etc… Il se méfie aussi de tout ce qui peut contenir des mycotoxines. Depuis le début de ce régime un peu particulier, Dave a dépensé la bagatelle de 45 000€ en produits pro-biotiques. C'est aussi un grand adepte du Modafinil, un psychostimulant habituellement utilisé pour soigner l'hypersomnie – il en consomme entre 50 et 100mg par jour.

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Il y a encore quelques années, Dave Asprey était entrepreneur dans le secteur des nouvelles technologies. Aujourd'hui, à 41 ans, il est devenu le chef de file d'une catégorie de gens adeptes des régimes extrêmes : les biohackers. S'il existe un régime parfait pour l'organisme humain, les biohackers sont bien déterminés à le trouver. Inspirés par le « Quantified Self Movement », un groupe de recherche scientifique de la Silicon Valley, les biohackers entendent surveiller l'impact de leur consommation alimentaire sur leur organisme en faisant appel à des outils technologiques, au quotidien. Parmi ces outils, il y a d'abord ces applis smartphones qui permettent de calculer les calories ingérées en temps réel. Viennent ensuite les balances intelligentes, celles qui, en plus d'indiquer le poids, peuvent aussi déterminer la masse graisseuse, l'IMC, la masse osseuse, la dépense d'énergie du corps au repos ou encore la masse de graisse abdominale. La panoplie de ces fous du régime s'étoffe enfin grâce aux différents appareils qui permettent de mesurer la productivité et les kits médicaux en vente libre qui permettent d'analyser la composition du sang. Toutes les données qu'ils récoltent sont centralisées, analysées et enfin numérisées pour leur permetre de tracer plein de beaux graphiques et surotut, pour vérifier, au jour le jour, qu'ils sont bien au top de leurs capacités cognitives et physiques. Il ne s'agit donc pas seulement de soigner sa silhouette.

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Malgré tout, les changements physiques sont là : sur les 15 dernières années, Dave a perdu environ 45 kilos. Il fait à présent des tournées aux Etats-Unis pour promouvoir son régime « Bulletproof ». Il affirme qu'en plus de perdre du poids, il a vu son QI augmenter de plus de 20 points. Il avance également que désormais, son corps n'a besoin de dormir qu'entre cinq et six heures par nuit, et qu'il pourrait même se contenter de n'en dormir que deux.

bulletproofmeal

Photo : avec l'aimable autorisation de David Asprey.

Pour trouver la formule parfaite de son régime, il en a expérimenté tout un tas d'autres. Son corps a connu presque toutes les restrictions possibles et inimaginables : des repas très pauvres en calories aux régimes hyper-protéinés jusqu'à une alimentation exclusivement liquide. Il a aussi appris à analyser lui-même les réactions de son organisme en ayant recours à des tests sanguins fréquents, en utilisant des applis de tracking, des cardiofréquencemètres ou des capteurs corporels – il a même été jusqu'à faire des électroencéphalogrammes.

« Je voulais prendre le contrôle du système, en l'occurence : mon corps, explique-t-il. Je voulais pouvoir contrôler tous les paramètres. »

Toutes ces recherches sur lui-même lui ont coûté la somme de 300 000$ (environ 265 000€) – une goutte d'eau pour Dave Asprey, qui était déjà plusieurs fois millionnaire avant ses 30 ans. Mais il n'est pas le seul à être dans ce délire.

Sur les forums, la communauté des « biohackers » s'échange des informations et discute de trucs aussi importants que « la relation entre l'huile de lin et les fonctions cognitives ». On assiste également à des débats houleux motivés par les questions existentielles qui régissent les régimes à la dure : « Quel est le moment idéal de la journée pour consommer de la caféine ? », « En quoi le régime végan peut-il avoir un effet sur la libido ? » ou encore « Est-ce que le fait de prendre du miel et du whisky peut favoriser le sommeil ? » Certains hackers pratiquent même une forme de jeûne alterné pour améliorer leur concentration.

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Sur le site Measured Me, Konstantin Augemberg, un analyste boursier de 36ans, poste des graphiques et des tableaux qui mesurent toutes les données liées à son alimentation. Il a par exemple enregistré son sentiment de satiété après chaque repas, l'évolution du pH de sa salive ou a, par exemple, utilisé une application pour connaître la fréquence de sa mâche. Et recenser toutes ces informations lui prend du temps : chaque jour, il note une quinzaine de variables, ce qui lui prend une vingtaine de minutes. Au bout de quelques mois, il regroupe ses données et les analyse pour voir ce qu'il peut améliorer dans sa manière de s'alimenter . Il gère son corps comme une machine qu'il entretient, littéralement, comme un mécanicien.

Pourquoi tout ces efforts ? « J'ai envie de savoir à quel point mon régime alimentaire pouvait influencer mon bien-être général, ma productivité, et d'autres aspects de ma vie. Je suis analyste boursier à la base, donc j'ai l'habitude d'utiliser des chiffres », explique Konstantin.

Suite aux résultat de ses propres analyses, il a par exemple décidé d'augmenter sa prise de graisse au petit-déjeuner pour booster son énergie. Désormais, il préfère prendre six repas légers au cours de la journée et chacun d'eux, très rationalisés, pèsent entre 300 et 350g, pile la quantité nécessaire pour le rassasier. Sur son site il explique la méthode qu'il utilisait auparavant pour surveiller ses calories : le dimanche, il préparait une énorme marmite de nourriture qu'il rationnait ensuite en portions égales qu'il mangeait midi et soir toute la semaine. Mais il a constaté que manger toujours la même chose lui donnait des reflux gastriques. Il travaille donc maintenant à introduire un peu de variété dans ses repas.

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Si vous pensez que cette approche de la bouffe est profondément chiante – notamment parce qu'elle occulte le plaisir de manger –, vous n'êtes pas les seuls. Vous avez sans doute entendu parler du Soylent, cette mixture liquide capable de remplacer les aliments solide et de combler les besoins nutritionnel d'un être humain adulte au quotidien. Si ce genre de régime « hacké » venait à se généraliser dans le future (ce qui est une option sérieusement envisageable), siroter un liquide beigeâtre parfaitement équilibré mais aussi tout à fait gerbant deviendra progressivement la norme. Plus besoin de perdre son temps à faire les courses ou la vaisselle, plus aucune excuse pour procrastiner.

Et le plaisir de la table dans tout ça ? On est tous d'accord : le bonheur que l'on éprouve à manger vient autant du contexte, de ce que l'on met autour, que de la nourriture en elle-même. Sommes-nous prêts à abandonner les petits rituels du quotidien, les cultures alimentaires, du jour au lendemain ? Sommes-nous prêts à dire adieu aux nuances de saveurs ? À l'acidité d'un sorbet, au beurre salé qui fond sur une tartine tout juste grillée, à l'odeur prenante d'un roquefort ? La bouffe reste quand même l'une des meilleures source de joie au quotidien. D'aucuns argumenteront peut-être qu'il ne s'agit que de plaisirs éphémères, que toutes les merveilles d'une assiette finiront au fond d'une cuvette, mais ce n'est pas une raison pour bouder notre plaisir de manger.

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« J'ai choisi ce compromis pour vivre plus longtemps », explique Nick Winter, qui s'inquiète déjà de sa longévité alors qu'il n'a que 28 ans. Lui aussi est un biohacker, il habite à San Francisco.

Nickel a testé plusieurs méthodes pour finalement décider d'arrêter de consommer tout ce qui est à base de blé ou de lait et se mettre au régime « slow carb ». Actuellement il suit une version alternative du régime « Bulletproof », plus légère, dans laquelle il essaye de réduire sa prise de beurre car ses derniers tests cognitifs mensuels ont révèlé une petite chute de la performance de son cerveau. Il fait une prise de sang une fois par an, pour son anniversaire. Il a récemment dû abandonner les crustacés en conserve après avoir relevé des taux de fer un peu trop hauts.

« En général les gens ignorent comment leur métabolisme fonctionne. Donc la moindre information là-dessus est bonne à prendre. »

Et si le seul appétit que satisfaisait le « food-biohacking » était celui pour la connaissance de notre corps ? Peut-être qu'un jour, toutes les données collectées par les bio-hackeurs permettront quelque avancées médicales, mais en attendant, la démarche semble encore être très égo-centrée. D'ailleurs, le but affiché des biohackeurs serait davantage de découvrir une forme de vérité sur eux-même, sur les capacités de leurs corps, plutôt que de contribuer aux grandes découvertes de l'humanité. Ils ignorent leurs intuitions viscérales, celles qui leurs ordonnent de manger de manière spontanée et décomplexée, pour mieux inonder leurs estomacs avec des données.

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Dave Asprey, la figure emblématique du mouvement, est quant à lui persuadé que tout le monde observera bientôt le même mode d'alimentation : « Le monde serait bien meilleur si tout le monde se sentait bien. C'est une vérité intemporelle. »

Il est encore trop tôt pour dire s'il a raison mais certains signes semblent dire que l'on va dans son sens. Selon une enquête du Pew Research Center, sept américains sur dix utilisent au moins une application sur leur téléphone pour surveiller leur santé. Le mouvement Quantified Self, est quant à lui de plus en plus populaire et organise des rencontres un peu partout dans le monde : à New-York, à Rio de Janeiro, à Shanghai, à Londres, à Paris, à Lille et dans une centaine d'autres villes.

Alors, est-ce que l'on peut considérer que cette tendance est une réelle avancée pour l'Homme ? En imaginant qu'on arrive à mettre de côté tout le plaisir que la nourriture peut nous procurer et que l'on parvienne à accepter l'emprise des chiffres et des statistiques sur notre corps, est-ce que le fait de vivre dans futur biohacké peut-il être bénéfique pour notre santé ? Quid du risque de finir complètement névrosé ?

Cette idée d'atteindre la perfection – la pierre angulaire de l'ethos des bio-hackers – est une notion que l'on l'associe souvent à l'anxiété, la dépression et des symptômes physiques comme l'asthme. Sigrid Kronsberg, une consultante en marketing de 48 ans, a commencé à « hacker » son régime alimentaire en 2011. Elle a noté les effets de certains compléments alimentaires sur son humeur, testé un régime pauvre en sucres et rempli des feuilles entières de calculs pour surveiller sa prise de micro-nutriments (des vitamines, des oligo-éléments, etc). Mais elle n'a constaté aucun effet positif. Au contraire, elle est devenue parano.

« J'avais des phobies, raconte-t-elle. Chaque ingrédient devait être parfait. Je ne pouvais jamais me faire un resto thaï ou indien parce que je savais qu'ils utilisaient de l'huile végétale. » S'alimenter était devenu une série d'obstacles pour elle. Du coup, en septembre 2013, elle a tout arrêté et a commencer à se sentir mieux : « J'ai enfin pu recommencer à sortir manger sans m'inquiéter. C'est libérateur. »

Être obsédé par les aliments sains au point de refuser tout produit jugé mauvais pour le corps est une pathologie : c'est un trouble du comportement alimentaire que l'on appelle l'orthorexie. Etymologiquement, ça veut dire « l'appétit correct ». Quand on se penche sur les journaux retraçant toutes les lubies alimentaires des biohackers, on a du mal à faire la différence entre le réel bienfondé des différents régime et, justement, des cas d'orthorexie.

D'un point de vue sanitaire, c'est vrai que beaucoup d'entre nous auraient plutôt intérêt à surveiller la façon dont ils s'alimentent, tant la malbouffe peut être la cause de nombreuses maladie. Mais d'un point de vue purement pragmatique, si l'on investit toute notre énergie et notre argent à compter systématiquement toutes les calories, tous les micro-nutriments et à peser toutes nos portions de bouffe, est-ce que l'on ne risque pas, en fin de compte, de remplacer un problème par un autre ?