Trivial Pursuit et quiz sur Harry Potter : comment s'amuser dans une prison de haute sécurité
Illustration de Matt Rota

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Trivial Pursuit et quiz sur Harry Potter : comment s'amuser dans une prison de haute sécurité

Mon quotidien avec Unabomber et d'autres types pas très recommandables, mais qui aiment les jeux.

J'ai tout de suite été frappé par le silence.

Depuis douze mois, je partageais le quotidien de 400 autres détenus de la prison fédérale de Florence, dans le Colorado. Je m'étais habitué à un niveau de bruit assourdissant : les radios étaient tout le temps allumées, les prisonniers s'exprimaient haut et fort et l'on jouait souvent aux cartes. La pièce vrombissait de l'ardeur de la vie – une vie certes peu enviable, mais une vie quand même.

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Un jour, on m'a conduit dans un complexe pénitentiaire avoisinant – le fameux supermax [terme américain pour désigner les prisons de très haute sécurité, ndlr]. Il y régnait un silence de mort.

J'avais réussi à dégoter un job pour tuer le temps. De fait, trois jours par semaine, je me transformais en employé d'un établissement pénitentiaire déroutant.

Lors de mon premier jour, j'ai grimpé dans un bus qui m'a conduit trois kilomètres plus loin. L'établissement en question était bâti sur deux étages. L'étage supérieur renfermait les bureaux administratifs et les chambres de repos des gardiens tandis que l'étage inférieur était réservé aux détenus, enfermés dans un dédale de portes électroniques et de rampes d'acier.

Afin de rentrer à l'intérieur de ce bâtiment, cinq prisonniers et moi-même devions nous soumettre à un contrôle d'identité, deux fouilles corporelles et un détecteur de métaux.

« J'ai six prisonniers de l'autre enceinte avec moi », a braillé le garde dans sa radio.

« Vas-y, c'est bon », lui a simplement répondu un type dont le travail consistait à coordonner les mouvements des détenus issus de la prison adjacente.

La porte s'est alors ouverte et nous nous sommes dirigés vers un immense couloir. Au-dessus de nous, de larges lampes halogènes émettaient une lumière crue. Les murs, nus, étaient recouverts d'une peinture blanche criarde. Tout le bâtiment était soumis à la cruauté de la lumière. Aucune ombre ne pouvait s'y faufiler.

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Alors que nous marchions dans l'enceinte, un responsable est venu à notre rencontre. Comme je me trouvais au début de la file, je n'ai pas remarqué que les autres détenus s'étaient arrêtés pour se coller contre un mur.

« Williams, stop ! », a hurlé le garde.

J'étais pétrifié. J'ai rapidement compris que j'avais mal agi car ce type utilisait sa voix de « cérémonie », réservée aux instants où la direction observe ce qui se produit dans l'enceinte de la prison.

« On est dans une putain d'enceinte sécurisée ici, a-t-il poursuivi. Si quelqu'un qui débarque devant toi n'est pas vêtu de vert, tu t'arrêtes et tu t'appuies contre le mur. »

« Bien compris, chef », lui ai-je docilement répondu.

Après quelques portes traversées sans encombre, un gardien que l'on connaissait de l'autre enceinte nous a accueillis pour nous expliquer la nature de notre nouveau job.

« Tous les mardis, votre équipe de six détenus devra remettre en rayon les livres rendus par les détenus du quartier de haute sécurité, nous a-t-il expliqué. Vous devrez rédiger un questionnaire de dix questions portant sur des romans ou des films connus de tout le monde, ferez des photocopies pour l'ensemble des détenus et les placerez dans les casiers appropriés. Le mercredi, vous donnerez les nouveaux livres demandés par les détenus, évaluerez les quiz rendus et déposerez des barres chocolatées dans les casiers des gagnants. Les récompenses seront distribuées le jeudi. »

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Un détenu ayant bossé pas mal de temps dans le quartier de haute sécurité m'avait expliqué qu'il y avait beaucoup de gagnants au quiz car les prisonniers se chuchotaient les réponses. De cette façon, tous les gars obtenaient un score maximal et gagnaient une barre chocolatée.

Peu de temps après cette confidence, je me suis retrouvé face à une vieille machine à écrire, tentant de coucher sur papier une série de questions intéressantes. Apparemment, les détenus avaient récemment vu tous les films de la saga Harry Potter. J'ai donc puisé dans mes souvenirs pour rédiger un quiz décent.

Dans cette liste de questions adressées à de dangereux criminels, je demandais des choses assez absurdes, du genre : « Comment peut-on affranchir un elfe domestique ? »

Le lendemain, je prenais place pour évaluer les réponses. La grande majorité des prisonniers avaient obtenu un 5/10. Alors que j'avais déjà entamé la distribution des récompenses dans les casiers, on m'avait rapporté la feuille de réponses d'un autre détenu. Celui-ci avait presque tout juste : 8/10.

En haut de la feuille, en lettres capitales parfaitement calligraphiées, figurait son nom : THEODORE JOHN KACZYNSKI [plus connu sous le nom d'Unabomber, un terroriste condamné à perpétuité pour de multiples attentats ayant fait trois morts, ndlr].

J'ai entouré son score et ai placé la feuille et la barre chocolatée dans le panier qui lui était réservé. Il n'y avait qu'un gagnant ce jour-là, et j'ai tenu à récupérer les barres chocolatées que j'avais déjà déposées.

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Après le déjeuner, un gardien m'a interpellé.

« Qu'est-ce qui se passe ? », m'a-t-il demandé. « Il n'y a qu'une seule barre. »

« Kaczynski a eu un huit, lui ai-je expliqué. Tous les autres ont eu cinq. »

« Putain ! Ils vont péter un câble. Donne-moi un carton de ces merdes, je n'ai pas envie de passer toute une journée à les écouter se plaindre. Tu as déjà bien foutu la merde avec ton quiz sur Harry Potter. »

« Je pensais qu'ils allaient aimer ça. Ils venaient juste de voir les films… »

« Eh bien, ils n'ont pas aimé. Je les ai entendus se plaindre toute la matinée. »

Mes échanges avec les détenus du quartier de haute sécurité sont devenus plus cordiaux quelques semaines après ce couac. J'ai poursuivi l'écriture de quiz – étrangement, l'astronomie a remporté un franc succès. J'ai même puisé quelques questions dans un vieux Trivial Pursuit.

Un jour, j'ai ouvert une lettre rédigée par Unabomber. Comme toutes ses autres missives, il avait rédigé sa demande en lettres majuscules et mentionnait systématiquement son nom : THEODORE JOHN KACZYNSKI. Je m'attendais à une énième diatribe de sa part mais, au lieu de ça, il m'adressait poliment une requête pour emprunter de nouveaux livres.

J'ai reconnu l'un des titres : Le Nom du vent de Patrick Rothfuss.

À mon humble avis, les livres de fantasy sont populaires dans les milieux carcéraux parce qu'ils permettent aux détenus de s'évader de leur environnement pendant un temps. Après, on peut également avancer une raison beaucoup plus pragmatique : les prisonniers ont droit à un nombre de livres limité et les livres de fantasy ont tendance à être beaucoup plus longs que les livres dits « classiques ».

Si vous n'avez droit qu'à trois livres dans votre piaule, mieux vaut choisir un bouquin de 1 000 pages.

Blake Williams, 34 ans, était incarcéré dans la prison fédérale de Florence au Colorado pour fraude et tentative de fraude.