On évoque beaucoup les musulmans et la place qu’ils occupent en Grande-Bretagne. Tapez « musulmans britanniques » dans Google et vous serez inondé d’articles concernant les musulmans qui fraudent les allocations ou qui hébergent – et cautionnent – des gangs de prédateurs sexuels. Certains grands journaux britanniques sont même allés jusqu’à accuser les musulmans d’appuyer tacitement l’État islamique – un fait rapidement démenti, mais fréquemment relayé par les sites d’extrême droite. Il n’y a toutefois pas que l’homophobie flagrante qui agace les jeunes musulmans de Grande-Bretagne. Beaucoup d’entre eux ont l’impression que les médias, même lorsqu’ils prennent leur défense, mentionnent toujours les mêmes figures et personnalités, pas vraiment représentatives des musulmans britanniques.
Il s’agit là de l’éternelle question : qui représente l’Islam aujourd’hui ? Les fondateurs du fanzine Khidr ne prétendent pas répondre à cette question mais estiment que leur publication, nommée d’après la figure historique d’Al-Khidr – un homme qui, selon le Coran, a porté conseil à Moïse dans un moment difficile –, peut servir de plateforme d’expression pour la grande variété de musulmans en Grande-Bretagne. Le numéro de 55 pages comprend des essais, des poèmes, des illustrations et des photos. Le tout explore les nuances de l’existence d’un musulman britannique d’aujourd’hui, et aborde des sujets tels que la race, le genre et la sexualité afin d’examiner les problèmes qui sont souvent considérés comme tabous, et ce, même au sein des communautés musulmanes.
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L’équipe, connue sous le nom de « Khidr Collective », a inauguré le fanzine le mois dernier devant une salle comble au centre Rich Mix, dans l’est de Londres. J’ai rencontré les fondateurs du fanzine, Hadi Abbas et Mohamed Zain Dada, afin d’en savoir plus.
VICE : Salut les gars. Dites-m’en un peu plus sur les origines du fanzine et les raisons pour lesquelles vous l’avez créé.
Hadi Abbas : Nous sommes sept à travailler sur le projet, mais à la base, nous faisons chacun quelque chose de différent. Certains d’entre nous font de la poésie, d’autres écrivent. Nous nous sommes rencontrés car nous participions à des événements similaires et nous nous intéressions à des problèmes similaires. Ça a facilité la mise en place du fanzine. Nous avons fait deux ou trois appels en ligne, mais la plupart des articles ont été commandés à des personnes que nous connaissions grâce à nos réseaux respectifs.
Zain Dada : L’idée du fanzine nous est venue intuitivement. Nous avons un sentiment de frustration depuis notre adolescence. Pas seulement à cause de la représentation des musulmans dans les médias, mais aussi des actes réels de violence infligés aux communautés musulmanes en Grande-Bretagne, que ce soit par les groupes d’extrême droite ou l’État lui-même. J’ai ressenti ça très jeune, mais je n’en ai compris l’ampleur qu’après avoir lu l’autobiographie de Moazzam Begg au sujet de son temps passé au camp de Guantánamo – je me suis rendu compte qu’un espace était nécessaire pour traiter de ces questions, car il n’en existait aucun à l’époque.
En quoi Khidr est-il différent des autres médias islamiques – je pense notamment à Islam Channel ?
Hadi Abbas : Je pense que, parce que nous sommes jeunes et d’une autre génération, nous examinons différemment les questions qui touchent les communautés musulmanes britanniques. Lorsque nous avons commencé en janvier dernier, nous voulions avoir autant de voix que possible – représentatives de tous les segments de la population musulmane britannique – dans le fanzine. Nous opérons également dans un espace différent des chaînes de télévision islamiques. Nous sommes des créatifs et travaillons dans des espaces créatifs, donc nous abordons les choses différemment. Par exemple, alors que les médias se contentent de voir l’islamophobie comme un problème, nous allons plus loin en interrogeant notre sentiment d’appartenance. Nous ne pouvons pas le faire à moins d’analyser nos propres histoires religieuses et culturelles. L’histoire est très importante pour nous – c’est pourquoi nous avons intitulé le fanzine Khidr.
Quelles sont les choses dans le fanzine qui, selon vous, capturent les expériences du jeune musulman vivant en Grande-Bretagne aujourd’hui ?
Zain Dada : Nous voulions montrer que les musulmans sont confrontés aux mêmes problèmes que tout le monde. Par exemple, nous avons des articles dans le fanzine qui traitent de la crise du logement, du chômage, des expériences des musulmans de la classe ouvrière, des musulmans noirs. Ce sont des questions qui ne sont pas examinées par nos communautés autant qu’elles devraient l’être. Parallèlement, certaines parties de l’histoire ne sont pas vraiment étudiées quand on parle des musulmans dans le sens contemporain du terme, de sorte que même les jeunes musulmans ne savent pas grand-chose à leur sujet. Le fanzine est aussi là pour exposer les musulmans à des événements dont ils n’avaient peut-être même pas conscience.
Selon vous, que signifie être musulman en Grande-Bretagne aujourd’hui ?
Hadi Abbas : C’est difficile à définir ! Et plus important encore, nous ne sommes pas vraiment en mesure de le définir. Certains vous diront que les vrais musulmans doivent agir d’une certaine façon, et certaines organisations vous diront que vous ne pouvez pas être un « musulman britannique » si vous priez trop ou que vous respectez certaines pratiques religieuses. Nous voulons créer un espace où tous les musulmans peuvent raconter leur propre histoire et être eux-mêmes. Nous voulons créer un espace où chaque musulman est tout aussi précieux et important qu’un autre – qu’il soit riche ou pauvre, ou qu’il ait des croyances [théologiques] différentes.
Certaines parties du fanzine relèvent du domaine culturel, d’autres du domaine religieux – pensez-vous qu’il existe une distinction entre les deux ?
Zain Dada : La chose intéressante à propos de notre génération est que nous devons beaucoup penser à nos parents et leurs origines – nous devons réfléchir à notre culture et à ce qu’est une diaspora. Dans le fanzine, cela se ressent à travers la poésie. Par exemple, il y a une histoire culturelle riche dans la culture pakistanaise autour de la poésie, de sorte que nombre de jeunes de la diaspora explorent leur identité à l’aide de ce format. Il y a quelque chose qui transparaît dans la poésie et le slam et qui attire les jeunes musulmans en tant que support écrit. C’est très accessible et ça permet aussi aux gens de dire la vérité au pouvoir.
Le fanzine est, selon moi, à la croisée entre religion et culture. Chaque contributeur possède sa propre identité, qui provient d’une diaspora, et ses propres chemins et traditions islamiques. Personne n’est vraiment religieux ou culturel. En réalité, les deux se nourrissent mutuellement.
Comment espérez-vous que les jeunes musulmans répondent au fanzine ?
Hadi Abbas : Beaucoup de musulmans vont pouvoir s’identifier – les musulmans qui se sont vu attribuer une identité, une étiquette par les individus et les institutions. Nous espérons que ce fanzine fournira un espace où les musulmans pourront être plus à l’aise avec eux-mêmes – que vous pratiquiez ou non ; que vous veniez d’un groupe minoritaire ou non. C’est un fanzine pour tout le monde, vraiment.