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Rassurez-vous, il y a très peu de chances pour que vous croisiez le leader de Killing Joke sur Internet

C’était la pleine lune à Prague lorsqu’on a eu cette conversation avec Jaz Coleman. On le sait parce que le leader légendaire de Killing Joke nous l’a aussitôt annoncé quand il a décroché le téléphone, que quelqu’un lui avait prêté pour l’interview. Car Jaz n’a pas de téléphone portable. Ni d’ordinateur d’ailleurs. « Evidemment, ça génère beaucoup de problèmes parce que des gens arrêtent net de communiquer avec toi quand tu n’as pas d’ordinateur » observe t-il. « Je veux dire, je préfère entendre une voix, autrement ça ne veut rien dire pour moi – ces gens qui s’envoient des notes par ordinateur ou quoique ce soit d’autre. »

La dernière missive de Coleman au monde n’est pas arrivée par email ou par un réseau social mais sous la forme d’un disque, l’excellent Pylon, quinzième (!) album de Killing Joke et le troisième depuis que le line-up d’origine Coleman, le guitariste Kevin « Geordie » Walker, le batteur Big Paul Ferguson et le bassiste Martin « Youth » Glover— s’est reformé pour poursuivre sa croisade post-punk politico-industrielle qui a marqué à vie des groupes aussi divers que Nine Inch Nails, Nirvana, Ministry et Metallica.

Mesdames et messieurs, le seul et unique : Jaz Coleman.

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Noisey : Pourquoi tu refuses d’utiliser des téléphones portables et des ordinateurs ?
​Jaz Coleman :
En fait, j’ai un téléphone portable aujourd’hui, mais généralement, je ne les approche pas. Les machines à écrire, les ordinateurs ou peu importe comment tu les appelles, ne m’intéressent pas. Je ne crois pas que ces objets améliorent nos vies. Pour te dire franchement, je crois au contraire que ces trucs ont rendu nos vies encore pires. Je ne vois pas le bénéfice qu’on peut en tirer en fait. Il y a certaines personnes dont je n’ai plus de nouvelles du coup, mais je m’en fous. S’ils veulent vraiment parler avec moi, ils vont devoir se faire à l’idée d’accepter de me parler de vive voix.

Tu as perdu de vues des gens auxquels tu tenais à cause de ça ou ça t’a justement permis de faire le tri dans tes relations ?
En temps normal, ça concerne surtout des gens types bookers, managers [rires]… Donc pas de soucis à se faire – ils entendront parler de moi et me verront bien assez vite ! On est sur le point de partir en tournée pour une année entière.

Les membres du groupe n’essaient jamais de te convaincre de choper un portable ?
Non. Ils sont d’ailleurs impressionnés de voir que personne n’est capable de vivre sans cette merde.

Ils sont probablement jaloux. Perso, je le suis un peu.
Youth passe énormément de temps sur Internet. Il est tout le temps dessus. Sérieux, je trouve ça irritant. Tu sors avec des potes et ils ont tous les yeux rivés sur leurs iPhones et leurs iPads. Tu vois, le contact humain a vraiment pris cher. Sans même parler la capacité de concentration… Quand j’ai commencé à faire des lectures dans les années 80, tu pouvais généralement tenir 20 minutes avant de faire un break avec des visuels ou de la musique. Aujourd’hui, tu ne peux pas dépasser 4 minutes [rires]. Donc je ne sais pas si tout ça a augmenté notre qualité de vie. À vrai dire, je vois plutôt des gens aui ressemblent à des zombies déambuler dans les rues. Mais bon, on est tellement à un point de non-retour que tout ce que je dis n’a aucune importance. Je ne veux juste pas faire partie de ça.

De ce que j’ai compris, tu n’as pas des tas de possessions non plus.
Non, je n’ai quasiment rien. J’ai quelques paires de bottes, trois pantalons, deux ou trois vestes et c’est tout, vraiment. Mais j’ai des livres partout dans le monde. J’ai probablement accumulé 15 000 livres à différents endroits de la planète. Mais en général, je ne suis propriétaire de rien. La plupart du temps, je vis avec mon baluchon parce que je suis en tournée en Europe ou dans le reste du monde. Je bouge tout le temps.

Ca a toujours été comme ça ?
Ouais. Certaines personnes voient de la valeur dans le fait de posséder des choses. J’ai toujours préféré investir le peu d’argent que j’avais dans les epxériences humaines – dans l’aventure et plus. J’adore l’idée du mouvement perpétuel.

Tu vis en Nouvelle-Zélanbde mais à chaque fois que je t’ai écrit tu étais à Prague. Tu as un pied-à-terre là-bas ?
En fait, j’ai un spot différent à chaque fois que je viens ici. Et je squatte aussi chez ma fille en Suisse parfois. Ensuite, je choisis un nouvel endroit et je continue à errer.

Tu hantes Prague depuis un paquet d’années maintenant.
Prague est l’un des derniers grands mystères. C’est un lieu où la magie opère. C’est une ville magnifique. C’est la ville de toutes les villes pour moi. Je ne connais pas de ville plus superbe que Prague.

C’est là-bas que tu écris le plus ?
Oui, tout. J’adore écrire ici. Tu comprends vite pourquoi c’était un lieu de pélerinage pour Mozart et Beethoven. On est en état d’émerveillement perpétuel dans cette ville.

Tu y allais déjà au temps du Bloc Soviétique ?
Non, la première fois que j’y suis allé, c’était six ou sept mois après la Révolution de velours. On y avait joué avec Killing Joke. C’était vraiment différent par rapport à maintenant. La vie est bien meilleure aujourd’hui qu’elle l’était à l’époque, je peux te le dire. Il y a certaines tendances qui peuvent agacer, mais c’est clairement plus agréable que ça l’était avant.

Ca a été le coup de foudre ?
J’ai commencé à travailler avec des orchestres à Prague dans les années 90. Je voulais venir ici pour deux raisons – 1/ c’est une mecque pour les compositeurs, historiquement, et 2/ je voue un amour profond pour le symbolisme. J’ai étudié l’histoire du mouvement rosicrucien, et cette ville joue un rôle central là-dedans. À Prague, tu peux voir des arcanes sculptés peu importe où tu te promènes. C’est une ville aussi magnifique que mystérieuse.

Un autre amoureux d’ésotérisme, Jimmy Page, apparaît régulièrement dans le documentaire sur Killing Joke sorti en 2013, The Death and Resurrection Show. Comment tu l’as rencontré ?
Je ne peux pas te répondre. Je peux te dire que c’était en 1983, mais je ne peux pas revenir sur les circonstances. C’est impossible .

Merde, ça m’intrigue encore plus maintenant… Bon, autre chose alors : KIlling Joke tournera en Amérique du Nord l’année prochaine. La dernière fois que vous êtes venus, vous vous êtes faits braquer, c’est ça ?
Ouais, à Vancouver ! On a une sorte de politique assez libre en backstage, et j’ai fait l’erreur d’inviter quelques personnes dans notre bus après le concert et ils ont piqué le sac de Youth. C’était amusant en même temps parce que le mec avait l’air un peu louche quand il est parti et j’ai pensé « je devrais peut-être le suivre ». Je ne l’ai pas fait mais j’aurais dû. Il était pas reparti les mains vides. C’est dommage parce qu’on a l’habitude de faire confiance aux gens. Et voilà ce qui arrive.

Un ami à moi t’a interviewé à San Francisco quelques jours après le vol, tu lui avais dit que t’avais l’impression que la rébellion n’existait plus en Amérique.
Pour être honnête : j’ai arrêté d’écouter les infos. J’ai arrêté de donner de l’attention à ce qui passait en géopolitique parce qu’autrement, je deviendrais taré. Je ne peux pas changer ce qui se passe à l’échelle globale et donc je me dis qu’il faut plutôt que je me concentre sur ce que je peux changer dans mon environnement immédiat. Donc maintenant, je me focalise sur ces choses.

Ton dernier livre, Letters From Cythera, est déjà impossible à trouver. Tu vas en faire un deuxième tirage ?
J’en ai sorti que 1000 copies. Si je veux en imprimer d’autres, il faut que je mette la main à la poche. Finalement, je l’ai mis à jour si on veut, et je suis content de t’apprendre qu’une seconde édition est en cours d’impression, tu pourras le trouver bientôt. Et ce sera une belle édition, j’ai modifié quelques trucs, je l’ai élargi, et j’ai ajouté quelques photos rares en plus. La couverture bleue est superbe et ce sera à nouveau une version limitée, « l’édition cobalt ». Il y en aura 1000, et il sera dispo après notre tournée britannique, d’ici cet hiver.

En parlant de cette tournée britannique, tu as évoqué le groupe de Jah Wobble, Invaders Of The Heart, en guise de première partie..
Ca tue, non ? J’espère que je pourrais voir le concert moi aussi. J’adorerais voir Killing Joke et Jah Wobble ensemble, mais je suis du mauvais côté de la barrière ! [Rires]

Tu le connais depuis l’époque où il jouait dans Public Image Limited ?
Quand on a sorti notre premier EP [en 1979], avec nos trois premiers morceaux, c’est ma copine qui avait quasi réuni l’argent pour qu’on puisse aller en studio. Je n’oublierai jamais cette session au Gooseberry Studios à Londres, avec Public Image Limited qui enregistrait en même temps. Quand on est arrivés, Wobble était là avec un pote à lui tellement bourré, qu’il dormait assis sur une chaise à l’intérieur du studio. Quelques minutes plus tard, Wobble l’a aspergé d’essence de briquet avant de lui mettre le feu ! Le mec s’est relevé aussitôt, évidemment. On a tous dû sortir et arroser l’autre connard avec l’extincteur. Voilà ma première rencontre avec Jah Wobble. [Rires] Je ne l’ai jamais vraiment revu depuis, donc ce sera une bonne raison de se retrouver.

Il est devenu quoi le mec bourré ?
Oh, on l’a juste jeté dans la rue après. Il était bien carbonisé mon pote. Tout ça c’était avant que Jah Wobble ne devienne spirituel, bien sûr.


J. Bennett a réalisé cette interview avec l’aide d’un téléphone et d’un ordinateur. Sans l’usage de Twitter.