Dans les archives du Wu-Tang

FYI.

This story is over 5 years old.

Musique

Dans les archives du Wu-Tang

RZA déguisé et Method Man les yeux révulsés : backstage avec le plus grand groupe de rap de tous les temps.

Masta Killah, Raekwon, Inspectah Deck, le frère de RZA Divine, U-God. Toutes les photos sont d'Eddie Otchere.

Il est difficile d'évaluer précisément à quel point le Wu-Tang Clan a marqué l'histoire du rap new-yorkais et celle du hip-hop en général. En 2008, le site About.com a parlé du Wu comme du « meilleur groupe hip-hop de tous les temps », pendant que Kris Ex, journaliste au Rolling Stone, revenait sur la carrière des dix membres du Wu-Tang en des termes passablement similaires : « le plus grand groupe de rap jamais créé ». Ce qui est vague – mais se défend.

Publicité

Sorti en 1993, Enter the Wu-Tang (36 th Chamber), le premier album du groupe et classique absolu, a donné à des millions de kids de par le monde l'envie de regarder des films de sabre super chiants, et de rapper sur de langoureux samples de soul étirés sur 25 secondes. De même, les albums solos de Method Man, Raekwon, Ghostface ou ODB, et leur deuxième album commun intitulé Forever, sorti en 1996, ont laissé une empreinte indélébile sur le segment hip-hop, contribuant à créer, affirmer et solidifier leur légende, aujourd'hui inaltérable. Si vous êtes nés entre 1980 et 1990, il y a en effet fort à parier que vous avez aussi passé votre adolescence perturbée en écoutant les tubes mystico-caillera du Wu-Tang.

Raekwon.

Entre 1993 et 2002, le photographe britannique Eddie Otchere a passé de longues heures en compagnie des dix membres du Wu. Sur ses photos, on croise Method Man les yeux révulsés, RZA déguisé en superhéros ou un Cappadonna mécontent muni d'un masque de ski. Il s'agit du plus beau document photographique jamais paru sur le Wu, capturé à un moment où le groupe était à son sommet. Je me suis entretenu avec Eddie à propos de la création de ces archives inestimables.

VICE : Salut Eddie. Où et quand as-tu pris ces photos du Wu-Tang ?
Eddie Otchere : J'ai commencé à les photographier au début des années 1990 et ai achevé mes travaux au début des années 2000. La première session remonte à 1993, peut-être 94. Dans tous les cas, il s'agissait de leur premier concert en Grande-Bretagne, un peu après la sortie de leur album Enter the Wu-Tang (36 th Chamber) . J'avais acheté mes tickets à l'avance, et j'avais entendu dire que chacun des membres arrivait dans son propre avion. Du coup, je me suis pointé devant les bureaux de RCA – c'est eux qui s'occupaient du label Loud sur lequel était signé le Wu à l'époque – et j'ai littéralement sauté sur le groupe.

Publicité

Ghostface Killah, Divine.

Cool. J'imagine néanmoins que ça a dû prendre pas mal de temps avant de les convaincre.
Disons que j'ai parlementé avec eux et finalement, j'ai réussi à obtenir le droit de monter dans leur tour-bus et de les suivre jusqu'à la salle de Kentish Town, pour les balances. Sauf qu'en réalité, il n'y a pas eu de balances. Ils sont restés dehors, à jeter des cailloux sur les trains qui passaient, à fumer, glander, tandis que U-God répétait ses moves d'arts martiaux. Toujours est-il que j'ai réussi à presque tous les avoir – sauf RZA et ODB, et je ne crois pas que Cappadonna était déjà un membre du Wu à cette époque. Ce premier concert fut un merveilleux chaos.

De quelle manière t'ont-ils perçu ?
Eh bien, je crois que leurs managers en tout cas me voyaient comme l'un d'eux, un jeune mec vigoureux, mais muni d'un appareil photo. Je me suis senti immédiatement à ma place.

Cappadonna.

Tu as fini par rencontrer Ol' Dirty Bastard, il me semble.
En effet, mais ça s'est passé quelques années plus tard, en 1997. J'en ai d'ailleurs profité pour reprendre en photo Method Man, U-God et leur producteur DJ Mathematics. C'était au moment de la sortie de Forever. Cette semaine-là, ils avaient fait la cover du Time Out de Londres. Sonny Takhar, le responsable presse du groupe à l'époque, avait fait en sorte que l'album se retrouve propulsé numéro un partout, et pour ce faire, il s'était assuré de bien payer toutes les personnes susceptibles de parler du groupe d'une façon ou d'une autre. C'est au cours de ce shoot que j'espérais avoir RZA ; mais évidemment, il ne s'est pas pointé. Et il m'était impossible de dire que j'avais photographié le Wu-Tang dans son intégralité sans RZA.

Publicité

Sauf qu'en réalité, il n'y a pas eu de balances. Ils sont restés dehors, à jeter des cailloux sur les trains qui passaient, à fumer, glander, tandis que U-God répétait ses moves d'arts martiaux.

Mais comme ODB, tu as fini par l'avoir.
Oui ça s'est passé un an plus tard, en 1998. Quant à Cappadonna, je l'ai eu en 2002. J'ai réussi à photographier dix MCs en dix ans, donc.

RZA en Bobby Digital.

D'ailleurs, peux-tu m'en dire plus sur la photo avec RZA déguisé en superhéros ?
En fait, il est arrivé habillé comme ça, dans son personnage de Bobby Digital. Pour être franc, j'ai toujours été un énorme fan de Kool Keith, et je trouvais que ce personnage de RZA, Bobby Digital, faisait trop penser à ceux inventés par Keith – je trouve d'ailleurs que sa réponse fut assez géniale avec son personnage de Robbie Analogue. Enfin bref, RZA, avec un simple costume, s'est créé un personnage de superhéros de type samouraï afro, repris plus tard dans le film Ghost Dog de Jim Jarmusch – qui fut important dans l'expansion du hip-hop hors de son territoire originel.

À quel degré situerais-tu ton niveau de fanatisme du Wu-Tang ?
Je suis un collectionneur de musique. J'ai consacré la moitié de ma vie à ma collection de morceaux contemporains, et l'autre à ma collection de classiques. Dans les années 1990, j'étais totalement immergé dans la culture hip-hop. J'écoutais du rap, j'étais DJ, je breakais et je graffais, tout à la fois. Je me souviens que le jour où le premier Wu est sorti, dans une veine totalement différente l'album Midnigt Marauders de A Tribe Called Quest sortait également. C'est intéressant, parce qu'à la fin de sa carrière, les beats de J-Dilla ressemblaient plus à du Wu-Tang qu'à ses propres productions sur l'album de Tribe. C'est dire si le Wu a été influent. Ce que l'on appelle le golden age du rap rassemblait plein de variétés de rap différentes sous une seule et même bannière : celle du hip-hop.

Publicité

Method Man.

Parle-moi de cette photo de Method Man avec la paupière à l'envers.
Meth a toujours une connerie à faire. Je crois que ce sont toutes ces idées débiles qui ont défini son personnage. Ce jour-là donc, il était totalement hystérique et il est arrivé avec cette idée fixe, celle de se retourner la paupière. Il me semble qu'il l'a développée plus avant dans le clip de son morceau « Bring the Pain », d'ailleurs.

Au cours des différents shoots, avec quels membres du groupe t'es-tu le mieux entendu ?
Method Man est celui qui se donne le plus, je dirais. C'est un personnage. Et même dans un mauvais jour, ce personnage parle pour lui. Ol' Dirty était le plus drôle, quoique son humour ait toujours été mêlé à une forme de tragique. Et Ghost était génial aussi, une sorte de croisement entre Meth et ODB. De fait, tous sont des êtres humains à part, exemplaires. Quand je pense à eux aujourd'hui, je les vois toujours comme des DIEUX.

Ol' Dirty Bastard.

Qu'est-ce que tu te dis en regardant ces photos presque deux décennies plus tard ?
Elles m'évoquent tout d'abord ce que je cherchais à faire à l'époque : trouver un nouveau chemin dans ce grand chantier qu'était la photographie hip-hop. Aussi, elles évoquent toutes les nuances possibles de nos sociétés ; comment ces hommes ont pu être à la fois considérés comme des menaces par certains, et comme des héros par d'autres. C'est un miroir inversé de nos sociétés, un peu : des hommes dont la créativité a été criminalisée, diabolisée, et en même temps considérée comme une énorme source d'inspiration par des générations entières.

Publicité

Le truc que je trouve impressionnant dans cette série, c'est la qualité objective de ces photos, surtout dans un segment – le rap –, où l'esthétique est souvent assez laide. Qu'est-ce que tu voulais faire avec cette série ?
À l'époque, il me semblait comme évident de sortir la meilleure série de photos de rap jamais conçue avec le meilleur groupe de rap ayant jamais existé. C'était mon défi. Aussi, j'avais dans l'idée de faire la cover de leur futur album [ la suite de Forever, N.D.L.R.]. L'idée, c'était de créer un ensemble de photos cohérent, un truc qui définisse précisément le groupe. Et, je n'ai jamais pu faire autrement que les envisager comme des figures religieuses, ce qu'ils étaient pour moi. Je me suis donc aidé de l'iconographie des livres de prières, afin de les canoniser définitivement en tant que saints du hip-hop. 20 ans plus tard, l'histoire a prouvé que le Wu-Tang vivra forever.

Le projet d'Eddie Otchere, « The Icons of Wu-Tang », a été exposé début mars à la galerie 87s & Co. à Brixton, Londres. Pour plus d'informations, allez voir le site d' Eddie.

U-God.

Tirages d'une session avec le Wu-Tang.

Inspectah Deck, Masta Killah, Method Man.