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LE NUMÉRO « LE MONDE VOUS HAIT »

Salut, les petits chameaux

Jodi Hilton, photo-reporter américaine basée à Istanbul, est allée prendre des photos lors de l’un de ces tournois au cours de l’hiver dernier. Apparemment, il n’y a pas de gagnants et les chameaux finissent tous en chair à saucisse.

Photos : Jodi Hilton/Transterra Média

Chaque saison, les combats de chameaux génèrent des sommes d’argent colossales. Lors des affrontements, les chameaux crachent l’équivalent d’un litre de salive. Celle-ci provient de l’excitation des animaux ; ils se battent seulement lorsque qu’ils sont en rut. Du mois de novembre à mars, le long des côtes de la mer Égée en Turquie, se déroule la saison de la lutte entre chameaux. Tous les week-ends, des centaines de chameaux (turcs ou importés d’Iran) et leurs propriétaires se réunissent dans d’immenses arènes devant 1 500 à 4 000 spectateurs ; ici, les pauvres bêtes, guidées par leurs hormones – c’est la saison des amours – se crachent dessus avant de se donner de grands coups de museau jusqu’à ce que l’une des deux s’écroule. Jodi Hilton, photo-reporter américaine basée à Istanbul, est allée prendre des photos lors de l’un de ces tournois au cours de l’hiver dernier. Apparemment, il n’y a pas de gagnants et les chameaux finissent tous en chair à saucisse. VICE : Comment avez-vous découvert cette ligue de lutte entre chameaux ?
Jodi Hilton : Je crois que c’était dans un guide touristique sur la Turquie. Bizarrement, je tombe souvent sur de bonnes idées de photo-reportages dans les guides touristiques. Puis quelques amis ont évoqué la saison des tournois qui approchait. Alors on est montés dans leur camping-car Volkswagen et on est descendus le long de la mer Égée jusqu’à Burhaniye – à 240 kilomètres d’Istanbul – mais la première fois a été un fiasco à cause de la pluie. Les chameaux ne sont pas imperméables ; ils peuvent tomber malades s’ils sont mouillés. Malgré la crainte des éleveurs et la violence apparente des combats, les chameaux se blessent rarement à l’issue des tournois. Tout ce qu’ils risquent, ce sont de légers saignements de nez. Oh, non. J’ai lu que ces chameaux provenaient d’une longue lignée de chameaux de lutte et qu’ils étaient censés se battre depuis leur naissance.
En effet, ils ont un instinct naturel pour la lutte. Ils le font à l’état sauvage – ça fait partie du processus d’accouplement. Ils crachent beaucoup dans un premier temps, puis ils se battent. Aussi, ils sont métis ; dans la région, on les appelle les Tulus ou les hybrides F1. La ligue arrive-t-elle à tirer de l’argent de ce sport ?
Eh bien, il est très populaire dans les villages proches de la mer Égée – mais nulle part ailleurs en Turquie. Quand je suis allée au festival de Pelitköy, un village minuscule, il s’agissait clairement de l’événement de l’année. Environ 2 000 personnes étaient présentes : hommes, femmes et enfants, musiciens, commerçants. Mais bizarrement, ça ne génère pas d’argent. C’est un sport de riche – acheter et s’occuper d’un chameau coûte cher et n’est pas rentable. Vous savez qu’un bon chameau coûte autour de 15 250 euros ? C’est beaucoup.
L’entrée est peu chère en revanche. Un gars que j’ai rencontré là m’a dit : « Certains achètent une Mercedes mais ici, personne n’a besoin de voiture – on veut des chameaux. » C’est un sport upper-class, non ?
Pas forcément, non. D’une manière ou d’une autre, ces gens ont réussi à se procurer un chameau. Si je devais décrire le propriétaire typique, je dirais qu’il me rappelle beaucoup les anciens fermiers ou les pêcheurs.

Combien de temps dure un combat entre chameaux ?
Chaque match dure cinq minutes – il y a plusieurs matchs par jour mais chaque chameau ne se bat qu’une fois. Derrière l’arène, on peut en voir une centaine en train d’attendre leur tour. Ça commence à 10 heures du matin et ça finit vers 18 heures. Et qu’en est-il du combat en lui-même ? Les chameaux ont l’air d’être les animaux les plus doux de l’univers.
Les chameaux sont dociles de nature, sauf lors de la saison des amours. Là, ils se battent pour les femelles et ça peut devenir assez violent. Les chameaux frappent leurs adversaires au niveau du cou ; ils crachent beaucoup aussi. C’est assez dégoûtant. Pour éviter les effusions de sang, les éleveurs musellent les gueules des chameaux avant chaque match. Les pires blessures que j’aie vues, c’étaient des saignements de nez. Aussi, il n’y a jamais de vrai vainqueur. Tout le monde perd à ce jeu. Pourtant, il me semble que l’on trouve des champions çà et là.
Ouais, c’est d’ailleurs pour ça qu’il est si irritant d’interviewer des locaux sur ce sport. J’ai l’impression qu’il y a une sorte de secret que les propriétaires et les participants refusent de dévoiler. Ils disent toujours qu’il n’y a « pas de vainqueurs ». C’est comme une société secrète ; ils ne veulent pas vendre la mèche. Les arènes où sont organisés les combats peuvent accueillir jusqu’à 4 000 spectateurs. À la fin du tournoi, ceux-ci se livrent à un festin de soujuks – des saucisses de chameaux épicées. Pourquoi font-ils ça, selon vous ?
Je pense qu’il y a un business autour des paris – un ami à moi a vu beaucoup de liquide passer de main en main. Je ne sais pas quelle quantité, mais beaucoup. OK. D’ailleurs, ce sport est-il autorisé par le Coran ?
Je ne pense pas que les participants soient particulièrement religieux. Un propriétaire m’a expliqué que ce sport avait connu un nouveau souffle au début du XXe siècle, sous le règne ­d’Atatürk – une période très laïque. J’ai remarqué que les participants aimaient tous bien s’amuser. La plupart des hommes mangeaient de la viande grillée en buvant du raki, une liqueur turque qui vous rend très saoul très vite. J’ai également été impressionné par les habits avec lesquels ils parent leurs chameaux.

Ont-ils une signification quelconque ?
Les propriétaires de chameaux adorent décorer leurs animaux. Ceux-ci trimballent des selles super-lourdes même si personne ne les monte – leurs noms et surnoms sont brodés sur ces selles. Ils portent aussi des pompons et des cloches. Je ne sais pas s’ils arborent un élément distinctif selon le nombre de tournois qu’ils ont remportés. Mais je sais que lorsqu’ils deviennent trop vieux, on les transforme en soujuk. Comment ça ?
Ce sont des saucisses. Ils les vendent aussi au festival. C’est horrible.
C’est triste, en effet. C’est surtout ironique que les propriétaires de chameaux et les fans apprécient à ce point le soujuk de chameau. Des bouchers le préparent juste à côté du salon de thé où traînent les propriétaires et les entraîneurs. Ils mélangent la viande de chameau avec des épices et des fois, avec du bœuf. Ça a le goût d’une saucisse sèche fumée. Vous avez goûté ?
Oui. C’est pas mauvais.