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L'horreur en lettres de Peter Sotos

C'est toujours assez compliqué de mettre la main sur les boulots de Peter Sotos. De toute façon, la plupart de gens n'en ont pas envie.

C'est toujours assez compliqué de mettre la main sur les boulots de Peter Sotos. De toute façon, la plupart de gens n'en ont pas envie. Il s’intéresse à des sujets que la majorité des lecteurs – même ceux qui pensent avoir des goûts

transgressifs

– trouvent viscéralement repoussant : un mélange de violence extrême et de pornographie sans limite.

Dans ses récits, le narrateur peut être un tueur en série, un violeur, un pédophile, un bourreau et encore tout un tas d'autres monstres humains. Sotos prend aussi pour sujet de vrais criminels ou de vraies victimes – il explore par exemple l’assassinat de Lesley Ann Downey dans son documentaire

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Selfish, Little

. Quoiqu'il en soit, il nous amène aux frontières des plus grotesques extensions de l’exploration et de l’horreur.

Quelque chose de plus concret au sujet de Sotos : il était membre de Whitehouse, groupe bruitiste précurseur de la musique électronique. Il a 62 ans et vit à Chicago, où il a été arrêté pour possession de contenu pédophile, après avoir publié sur la couverture de son magazine, Pure, la photo d’un mineur en train de jouir. Ses livres sont imprimés en nombre limité et sont en conséquence assez chers. Généralement, Sotos ne cache pas son engouement pour les sujets extrêmes. Il est très ouvert sur ses goûts en terme de porno et de snuffs, et il en parle à qui veut l'entendre.

Il n’est pas impitoyable, bien qu’il ait du plaisir à regarder ces choses et qu'il n’ait pas peur d’être complice des actes qu’il décrit. Tout ça fait de la lecture de ses récits, ou ne serait-ce que la pensée découlant de cette lecture, une analyse de la culture occidentale contemporaine – pensez à

Dexter

, à des films comme

Seven

ou

Le Silence des Agneaux

mais à un niveau d’obscénité totalement réel. En tant que lecteur, je me suis senti plusieurs fois honteux et complice de tenir ce bouquin entre mes mains.

Alors que le travail le plus récent de Sotos,

Pure Filth

, semble soft comparé à son précédent, il offre tout de même un aperçu des trucs qui lui tiennent à cœur.

Pure Filth

a pour sujet les films gonzo de la pornstar Jamie Gills, dont l'œuvre a été adaptée à l'écran dans

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Boogie Nights

. Il s’avère que la version de P.T. Anderson de la série de films de Gillis

On The Prowl

est très éloignée de la réalité. Les films originaux mettaient en scène Gillis avec son groupe d’escort girls, s'aventurant dans des chambres d’hôtel pour prendre part aux pires actes de débauche. Les films de Gillis montrent des golden showers, des anulingus, des violences physiques et une dégradation générale des femmes – même si elles jouent volontiers ce rôle. Lorsqu'il les dirigeait, Gillis n'était pas avare en insultes non plus.

Pure Filth

est, tout simplement, la transcription par Sotos des dialogues de certains passages des films de Gillis. Le texte fournit des indications sur ce qu’il se passe dans la vidéo ; quelquefois, on retrouve des notes entre parenthèse telles que : [cul à cul] ou [pisse].

En dépouillant le langage, Sotos laisse le lecteur supporter le poids des images, restituant dans l’espace blanc du papier ce que je décrirais comme un

bruit ambiant

. Il n'est pas rare de retrouver des transcriptions littérales du docu original. Ça donne des « Oh. Oui. Oui. Oh, bébé, où as-tu acheté cette culotte ? Où as-tu acheté cette culotte ? Oh. Oh. Je veux voir tes culottes – celles-ci oui, où les as-tu achetées ? Mon Dieu. C'est magnifique. » Au fil du livre et de l’entreprise de Gillis, tout devient encore plus troublant : « C’est de la merde ? De la merde de chien ? C’est de la merde de chien ? Regarde-toi. Allez, tu sais ce que tu es. Qui est une putain de pute, à ton avis ? » Plus le livre avance, plus il devient bascule vers une forme de violence stérilisée et tous azimuts, encore plus impressionnante en 2D, car tout y est conservé.

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Chaque scène contient des présentations écrites par Gillis lui-même, dont Sotos se sert à son tour. Celles-ci permettent à Gillis de se révéler d’une façon que même les multiples scènes de masturbation et de hurlements ne permettaient pas. On le voit parler avec le sarcasme d’un homme d’affaires, d’un grand patron, d’un fanatique, d’un salaud qui sait qu’il est un salaud, avec une honnêteté monstrueuse qui donne un aspect absurde à ce que l'on est en train lire. On en oublie que tout est réel.

Plus la profondeur des dialogues augmente, imperturbablement, plus le lecteur a l’impression que le début du livre est relié à sa fin, comme une machine en train de s'autodétruire. Je ne sais pas comment exprimer ça, mais à la fin du livre, on ne se sent pas vraiment désensibilisé, mais plutôt recouvert par des centaines d'épaisses couches d'horreur.

Je suis sûr qu’une grande partie d’entre vous se demande « Pourquoi quelqu’un voudrait entendre parler de ça ? Comment quelqu’un d'autre qu'un pédophile pourrait avoir envie de lire ce truc ? » Je ne suis pas le genre d'enculé qui regarde, impassible, les corps inertes allongés sur le sol après les accidents, mais je dois reconnaître ceci : lire Peter Sotos m'a aidé. Il y a vraiment beaucoup de gens dans le monde. J’ai une mère, un père, des amis et des proches, et ils existent dans le même monde que ces trucs. Il y a quelque chose dans le fait d’ouvrir une fenêtre sur un sujet que l’on ne touchera jamais qui peut donner l’impression d’être écrasé par une masse très lourde et très sombre. Je crois que penser à ces choses n'enlève rien à notre humanité ; elles nous aident à sentir ces choses qui ne sont pas en nous, mais

autour

de nous.