Dans le Chicago des gangsters

FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

Dans le Chicago des gangsters

Durant la première moitié du XXe siècle, les photographes du Chicago Tribune n'ont cessé de traquer faits divers macabres et règlements de comptes sanglants.

19 août 1940. Suite à la mort de son beau-frère, Carroll Corcoran, 35 ans, père de deux filles, devient propriétaire de plusieurs tripots clandestins. Sa carrière dans le milieu du crime organisée sera de courte durée : trois ans après y avoir mis les pieds, cet ancien maçon se fera tuer par balles durant la guerre des gangs du South Side. Photos publiées avec l'aimable autorisation du Chicago Tribune et de la Manufacture de livres

Chicago a toujours eu cette réputation de ville sans foi ni loi. Si le début du XXe siècle avait déjà été marqué par de nombreux faits divers macabres et règlements de comptes sanglants, la Prohibition et les activités des gangs de l'Outfit et du North Side Mob feront définitivement de la troisième métropole des États-Unis la terre des gangsters et de la violence.

Autour des figures des célèbres ennemis Al Capone (le « Balafré ») et Bugs Moran (le « Branque »), les deux gangs se partagent la très lucrative contrebande d'alcool, les escroqueries, les vols et rackets, l'industrie des paris clandestins et autres crimes en tout genre. Grâce à la corruption de politiciens, de juges et de policiers, l'Outfit d'Al Capone, à prédominance italienne, contrôle alors de facto la ville entière – mis à part les quartiers nord, gérés par le North Side Gang, branche de la mafia irlandaise, de Bugs Moran.

Publicité

En 1929, plus puissant que jamais, alors qu'il empoche chaque année plus de 100 millions de dollars – l'équivalent de plus d'un milliard aujourd'hui –, Al Capone commandite le massacre de la Saint-Valentin. Considéré comme le dernier grand épisode sanglant de la guerre que se mènent les deux principaux gangs de la ville, l'assaut conduira à la mort de sept membres ou proches du North Side Mob.

14 février 1929. Le massacre de la Saint-Valentin commandité par Al Capone, qui souhaite à la fois se venger des tentatives de meurtre dont il a été victime de la part du North Side Gang, mais aussi étendre son pouvoir dans les quartiers nord de Chicago. Si Bugs Moran était le premier visé dans l'attaque, il sera confondu avec l'un de ses hommes de main. Bien que désormais habituée à la violence des gangs, le crime provoquera un certain choc pour une partie de la population. En 1936, alors en déclin et dans un dernier coup d'éclat, Bugs Moran vengera les siens en assassinant Jack McGurn, le présumé responsable de la tuerie.

La fin de la Prohibition, en 1933, entraînera finalement le déclin des clans mafieux de l'Illinois. Les principaux criminels de l'époque se retrouveront pour la plupart en prison, avant de connaître une fin misérable. Al Capone sera inculpé dès 1931 sous le seul motif d'évasion fiscale, tandis que Moran se fera cueillir en 1946 pour avoir volé 10 000 dollars à un garçon de courses – un butin ridicule comparé aux sommes qu'il brassait vingt ans plus tôt. Une fois sortis de prison, alors que le « Balafré », retiré des affaires, s'éteindra dans sa villa de Miami Beach en 1947 sans jamais être inquiété pour ses autres crimes et ses centaines – voire milliers – de meurtres, le « Branque » commettra un dernier braquage qui le conduira de nouveau en cellule, où il mourra d'un cancer et oublié de tous en 1957.

Néanmoins, outre Al Capone, Bugs Moran et leurs hommes de main, Chicago héberge à l'époque de nombreux autres bandits de haut vol. Parmi eux, John Dillinger, célèbre braqueur de banques durant la Grande Dépression, et son acolyte Baby Face Nelson, ou encore Nathan Leopold et Richard Loeb, deux étudiants américains, arrêtés et condamnés pour l'enlèvement et le meurtre d'un adolescent de 14 ans. Près de cent plus tard, « Windy City » comme elle est surnommée est toujours considérée comme la ville américaine la plus gangrénée par les gangs – on compterait aujourd'hui 100 000 criminels répartis dans une soixante de factions différentes.

Publicité

22 juillet 1934. John Dillinger, l'ennemi public numéro un, célèbre pour ses nombreux braquages de banques, est abattu par des agents du FBI après s'être de nouveau évadé de prison grâce à un revolver en bois quelques mois plus tôt. Des foules de badauds se rendront à la morgue du Cook County pour voir sa dépouille, exposée à la population.

« Aucune ville au monde ne peut se targuer d'avoir abrité plus de mauvais garçons et de crimes sanglants que Chicago et – d'une façon un peu malsaine – nous en sommes fiers », explique Rick Kogan, rédacteur en chef du Chicago Tribune, l'un des plus grands journaux du monde au début du XXe siècle.

Alors qu'ils fouillaient parmi les archives du Trib et ses 300 000 négatifs, les photo editors du quotidien sont tombés sur quelques-unes des images les plus marquantes de l'histoire de la criminalité dans leur région. Après les avoir triées et retracé leur origine, ils en ont publié un livre intitulé Chicago Crimes, traduit et distribué en France par la Manufacture de livres. Ces photographies – des plaques de verre en 4x5 et des négatifs en acétate –, prises entre les années 1900 et les années 1950, sont pour la plupart inédites et offrent un formidable témoignage sur le photojournalisme de l'époque, quand journalistes et badauds pouvaient aller et venir comme bon leur semblaient sur des scènes de crime, dans les morgues et les tribunaux. « L'accès dont bénéficiaient alors les photographes est vraiment incroyable et si éloigné de ce à quoi nous sommes habitués aujourd'hui, expliquait Erin Mystkowski, photo editor du Chicago Tribune, à Smithsonian.com lors de la parution originale de l'ouvrage. Le concept d'éthique a énormément évolué, tant du côté de la police que de la presse. Dans le livre, on peut voir des officiers soulever un drap sur une scène de crime de sorte à montrer le corps qui se trouve en dessous. C'est une photo que nous ne pourrions plus prendre aujourd'hui et que jamais nous publierions. À l'époque, le journalisme n'avait pas la même signification. »

Publicité

Al Capone au tribunal de Chicago, en compagnie du procureur adjoint Harry Ditchburne, à gauche, sur une photo non datée.

En plus de remonter le temps dans la « capitale du crime », les images apportent un point de vue sans précédent sur sa violence, que seuls pouvaient vraiment connaître ses acteurs et principaux protagonistes. Si on y retrouve de nombreux clichés de cadavres et de criminels de tous âges, l'ouvrage illustre aussi les pratiques judiciaires et policières de l'époque. Ainsi, on peut y voir des criminologistes utiliser l'une des toutes premières machines à rayons X – le fluoroscope –, des lieutenants tester de façon totalement suicidaire un nouveau bouclier pare-balles, Leonarde Keeler effectuer une démonstration de son détecteur de mensonges, ou encore un scaphandrier draguer un canal à la recherche d'une arme.

« Nous avons parcouru un long chemin depuis cette époque et vivons maintenant dans un monde normé, réputé sûr, dans lequel tous les crimes sont résolus en moins d'une heure de télévision, conclut Kogan en préface de l'ouvrage. Mais le monde réel est, et a toujours été, beaucoup plus sale. » Alors que sa ville connaît une flambée de meurtres et de fusillades, on ne peut que plus que jamais lui donner raison.

@GlennCloarec

Chicago Crimes, la Manufacture de livres, 160 pages, 35 euros

18 mars 1930. Une mutinerie impliquant 1 500 détenus éclate à la prison de Stateville, à Joliet, dans la banlieue de Chicago. Plusieurs bâtiments sont incendiés et trois détenus sont tués. Un autre est grièvement blessé par balles. Des policiers fédéraux sont appelés en renfort pour le maintien de l'ordre.

15 août 1955. Avant de tuer William J. Murphy, détective à la police de Chicago, Richard Carpenter avait commis plus d'une centaine de vols. Alors en cavale pour le meurtre de Murphy, le jeune policier Clarence Kerr, accompagné de sa femme, le remarque au fond d'une salle de cinéma, endormi. S'ensuit alors une fusillade entre les deux hommes. Bien que touché à la potine, Kerr survivra. Après un assaut qui nécessitera 30 policiers, des bombes lacrymogènes et des fusils à pompe, Carpenter se fera attraper. Il se fera tabasser avant d'être emmené au poste de police de North Avenue (ci-dessus). Quelques mois plus tard, il sera condamné à la chaise électrique.

25 juin 1928. Ralph Weinberg, accompagné de deux complices, tente de braquer la Golden Rod Ice Cream Company. Renseignés par un indic, le sergent Joseph Connolly et ses hommes leur ont tendu une embuscade. Weinberg se fera tuer. Le second sera arrêté et le troisième réussira à s'échapper. Ci-dessus, Connolly examine le corps du gangster.

9 juin 1930. Jake Lingle, journaliste au Chicago Tribune qui couvrait les affaires de la pègre depuis 18 ans, est retrouvé mort. Au départ présenté comme journaliste « martyr », il s'avèrera que son assassinat était plus lié à ses activités criminelles qu'à son métier de reporter : l'homme était impliqué dans une affaire de racket et très proche de la mafia – son ami Al Capone lui aurait même offert une boucle de ceinture couverte de diamants. Un dénommé Leo Vincent Brothers, un jeune gangster de 30 ans qui travaillait pour Capone, sera inculpé pour le meurtre. Néanmoins, selon les historiens, les véritables coupables seraient deux hommes du North Side Gang, rival de l'Outfit d'Al Capone.

Décembre 1936. Le jeune Michael Ruggentaler reconstitue son crime. Alors qu'un homme a volé 400 dollars dans le bar de sa mère, il lui a tiré dessus.

12 décembre 1947. Thomas Daley, Lowell Fentress et James Morelli assassinent John Kuesis, qui les a dénoncés pour vol. Quarte témoins assistent à ce meurtre, avant d'être embarqués par les malfrats qui leur tirent dessus avant de les balancer à divers endroits dans la banlieue de Chicago. Deux des témoins survivent. Ce n'est pas le cas de Théodore J. Callis, ci-dessus, dont le corps se fait emmener par les policiers. La police finira par retrouver les trois assassins. Daley se fera abattre de quatre balles dans la tête alors qu'il tentait de fuir, Morelli sera condamné à la chaise électrique et Fentress avouera et dénoncera ses complices, ce qui lui permettra de garder la vie sauve et d'écoper d'une peine de 199 ans de prison.

11 mai 1945. Avant d'être amis, Morton Stein, 16 ans, et Donald Jay Cook, 15 ans, sont tous les deux cambrioleurs. Quand Cook annonce à son complice qu'il veut se ranger, une bagarre éclate. Cook assomme Stein avec une matraque, le poignarde et cache le corps dans le placard de leur chambre d'hôtel, avant de s'enfuir en Louisiane où il se fait arrêter quelques mois plus tard. Il sera condamné à 14 ans de prison après avoir plaidé coupable d'homicide involontaire.

14 janvier 1937. La police procède à l'identification de Joseph Schuster, 30 ans, au centre de l'image. L'homme est accusé d'avoir abattu le policier Arthur Sullivan, 38 ans, père de famille, après qu'il l'ait arrêté suite au braquage d'un magasin. Alors en état d'arrestation, Schuster déclare : « J'ai rien fait, je suis un honnête citoyen ! » Il tuera l'agent quelques minutes plus tard d'une balle dans la tête, alors qu'ils entraient dans la station de métro de Kedzie Avenue. Shuster, alors en liberté conditionnelle, sera reconnu coupable du meurtre et condamné à la chaise électrique.

8 novembre 1939. Edward O'Hare, avocat réputé chez les bootleggers qui a travaillé pour Al Capone avant de se retourner contre lui lors de son procès pour évasion fiscale, est abattu de deux coups de fusil lors d'une course-poursuite. Sa mort survient une semaine avant la libération du « Balafré » d'Alcatraz. Selon certaines sources, l'ancien parrain de l'Outfit craignait son influence grandissante. D'autres l'accusaient de travailler pour le FBI. Frank Wilson, directeur des services secrets américains célèbre pour avoir poursuivi Al Capone, dira de lui : « Au sein du gang, j'avais l'un des meilleurs types undercover que j'ai pu connaître : Eddie O' Hare. » La balance avait 46 ans. Personne n'a jamais été inculpé pour son meurtre. En 2010, dans son livre Get Capone, Ed Burke, conseiller municipal de Chicago, appelait les enquêteurs du Chicago Police Department Cold Case Squad à reprendre l'enquête. Signe que, même près de 70 ans après sa mort, l'ombre d'Al Capone continue à planer sur la « capitale du crime ».