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Vice Blog

Un long entretien avec Paul Virilio

On a posé un tas de questions au plus grand penseur français de la modernité.

Ça fait plus de trente ans que Paul Virilio répète peu ou prou la même chose, il serait peut-être temps de l'écouter. Cet homme est dans la révélation. Un peu comme un prophète de l'apocalypse. Y'a pas de morale dans son discours – même si c'est un catho convaincu (mais vous connaissez comme moi la différence entre le croyant intelligent et le croyant con, c'est la même que celle entre l'athée intelligent et l'athée con) –, juste de la « banalité », comme il dit, des évidences. Oui, c'est évident : quand on invente le grille-pain on invente la panne de grille-pain, quand on invente le bateau on invente le naufrage. Toute invention technologique porte en elle sa panne spécifique, et le culte de la vitesse, de l'accélération, nous mène à notre perte.

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Ce type-là connaît ou a connu tout le monde : sa formation de maître verrier après la Seconde guerre mondiale lui a permis de travailler avec Matisse et Braque ; en 1963, il lance Architecture Principe, avec Claude Parent, et ils provoquent une révolution avec le concept de l'architecture oblique ; dans les années 1970, au sein de Semiotext(e), il côtoie intimement les philosophes de la French Theory, Deleuze, Guattari, Foucault ; en 1977, son ouvrage, Vitesse et Politique, connaît un grand retentissement : la dromologie est née. Il a été l'éditeur de Perec et de Baudrillard, est ami avec Chris Marker et Peter Sloterdijk… Et maintenant, il est ami avec nous.

Il est venu nous chercher au Relay de la gare de La Rochelle, et nous a emmenés à l'aquarium de La Rochelle, où on n'était pas allé depuis qu'on avait 12 ans. Au début on a eu du mal à le faire répondre à nos questions, parce qu'il nous a un peu paternalisé, et à la fin à lui faire comprendre qu'on n'était pas canadien, quand il nous a demandé des nouvelles de « notre pays ». Mais dans l'intervalle, il nous a donné de bons outils pour comprendre le monde moderne, et en quoi la catastrophe était inéluctable. Jugez-en par vous-mêmes.

On vous connait beaucoup comme étant le théoricien de la catastrophe. Est-ce que vous vous définiriez comme obsédé par ça ?

Pas du tout. Je vais vous donner une réponse très précise. J'étais ami de Georges Perec, un enfant de la Shoah, ses parents sont morts dans les camps. Avec lui, on s'est dit : « Moi je suis pas un enfant de la Shoah, mes parents sont pas morts, je suis pas juif, mais je suis un enfant de la guerre totale. Elle m'habite. Comme toi la Shoah tu peux pas l'oublier. On est des enfants de la même guerre. On va pas faire du racisme. On va pas dire : toi t'es un enfant de la Shoah, t'as le droit d'être hanté, et d'un autre côté ce gosse il est obstiné, pessimiste, il en a pas le droit. »

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Oui, vous avez vécu les bombardements à Nantes.

Tous les bombardements.

Comment ça se passait ?

Les bombardements ont été un phénomène d'une complexité, d'une perversité extraordinaire. On peut pas comprendre collaboration et résistance si on n'a pas compris l'occupation. Être occupé, c'est être dans une situation de perversité absolue, c'est-à-dire qu'on cohabite avec les ennemis et les alliés vous tuent. Pour un môme de 10 ans – je suis né en 1932 –, il faut assimiler ça, que la proximité est ennemie et que ceux qui nous bombardent sont nos amis. Je suis un enfant de la guerre totale, de la guerre éclair, de la guerre rapide : la Blitzkrieg.

Et pendant les bombardements, vous alliez vous cacher en sous-sol, dans les caves ?

Non, jamais, au contraire. Y'avait des jardins derrière, on y allait. On avait peur d'être ensevelis. On entendait les gens hurler dans les caves, noyés par les conduits d'eau. Alors mon père avait dit : nous on y va pas. Donc on allait dans les jardins, on s'allongeait par terre.

Vous étiez déjà claustrophobe ?

Ah oui oui. Peut-être même que ça a commencé là j'en sais rien. On allait là, on voyait les bombes qui tombaient, qui nous recouvraient de sable, de graviers, mais on préférait mourir au soleil que de crever dans une cave. Pour en revenir aux bombardements, c'est un phénomène cosmique. On n'a pas le sentiment que c'est un adversaire, c'est comme l'apocalypse ou une grande tempête, ou l'éruption du Vésuve à Naples. L'enfant que j'étais a appris la peur collective. Parce que la peur individuelle, un petit garçon, il se débrouille avec. Il tape le premier ou il fout le camp, face à un grand costaud il se débrouille. La peur individuelle demande un courage individuel. Là, quand les parents crèvent de trouille, quand les grands-mères pleurent, quand les gens hurlent à la mort, ouh, on peut pas être courageux.

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Quand je vous demandais si vous étiez « obsédé » par la catastrophe, c'était parce qu'on voit souvent le côté négatif de votre discours, mais j'ai été surprise de lire quelque chose de très positif, comme quoi vous étiez attiré par l'accident parce que c'était l'absolu de la surprise.

Absolument. Il y a des accidents heureux : le coup de foudre, gagner à la loterie… Il faut revenir à Aristote : le temps est l'accident des accidents. Le temps c'est ce qui est, l'accident ce qui arrive. La substance, ce qui est : la montagne. Et ce qui arrive à la substance : l'écroulement, le tremblement de terre. J'ai pas travaillé sur la catastrophe mais sur l'accident, la rupture. Vous connaissez là encore un minimum de langage philosophique : la substance est nécessaire et absolue, l'accident est relatif et contingent. Important cette phrase : comment peut-on analyser le progrès depuis deux siècles en gros, le progrès technique, le progrès de la société occidentale, sans analyser son accident ?

Est-ce qu'on peut entendre l'accident comme on entendrait chez d'autres le mot événement ?

Oui, sauf que pour moi l'accident est l'événement de la rapidité. Nos accidents à nous sont liés à l'accélération de l'histoire et à l'accélération de la réalité. Les Français ont été occupés par surprise, ils se sont mal débrouillés, ils n'ont pas compris la vitesse, malgré le général de Gaulle, qui était tankiste et qu'on n'a pas écouté. Les Français ont été « pris de vitesse ». Les événements contemporains sont des accidents, par exemple le krach de la bourse, c'est un accident de vitesse. Je l'appelle un accident intégral parce qu'il enclenche d'autres accidents. On appelle ça maintenant un accident systémique, c'est-à-dire qu'il n'est plus tellement un accident qu'un système accidentel qui se prolonge. Le krach en est un élément mais la cybercriminalité aussi – jusqu'où ça peut aller ? Il y a une amplification de l'événement pur, de l'histoire événementielle. Il y a deux grandes histoires : l'histoire générale, et l'histoire événementielle, la révolution de 1789, la découverte de l'Amérique, la guerre de 14. Du fait de l'accélération du réel, maintenant, on a une histoire uniquement accidentelle, qui n'est que surprises. On en a eu un exemple avec le World Trade Center : c'est pas un événement, c'est un accident qui a la valeur d'un événement de jadis. C'est comme une déclaration de guerre mais sans guerre. Douze personnes, ce n'est rien.

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Pour introduire votre pensée, je vais reprendre une autre phrase de Hannah Arendt que vous citez à l'envi : « Le progrès et la catastrophe sont l'avers et le revers d'une même médaille. »

On va parler de Bossuet : la grandeur de puissance du progrès a pour envers la grandeur du désastre. Plus la grandeur de puissance se développe, plus le risque est inouï. Je ne peux pas être contre le progrès, c'est aberrant, je n'ai jamais prôné le retour à l'origine, mais comment se fait-il qu'on ait remplacé l'idée éminemment positive et bénéfique du progrès par sa propagande, son prosélytisme ? La propagande, ça a été l'apanage du nazisme mais aussi du futurisme, je vous rappelle que les futuristes italiens vont être les alliés des fascistes, Marinetti lui-même. Je combats la propagande du progrès, et cette propagande a pour nom l'accélération infinie.

À vrai dire, c'était une question un peu traître, je voulais entendre votre exemple du bateau et du naufrage.

Oui bien sûr, mais ça je l'ai tellement répété. Inventer le jet, c'est inventer non seulement le crash, mais c'est aussi inventer la panne puisque l'air est rempli de poussières qui peuvent corroder le réacteur. C'est merveilleux, un réacteur, mais en même temps c'est sensible, aux oiseaux, aux sables des volcans en fusion. C'est la dialectique grandeur de puissance/grandeur de pauvreté. On passe de l'un, l'avion qui permet d'aller vite, à l'autre, l'impuissance : l'avion ne peut pas voler. Que ce soit du fait du terrorisme – on a peur de voler  –, ou de la cendre volcanique – c'est trop risqué de décoller –, et demain peut-être autre chose. On peut pas innover sans innover en même temps un dégât. C'est tellement évident qu'être obligé de le répéter montre à quel point nous sommes aliénés par la propagande du progrès. Vous voyez, comme Perec, je suis un enfant de la guerre totale, de la propagande. On me bluffe pas sur le réel. Quand j'étais gamin j'ai appris à faire la différence.

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J'imagine qu'on vous répète tout le temps : « Mais monsieur Virilio, c'est quand même bien le progrès technique. » Est-ce que ça vous agace ?

Tout à fait, ça m'agace profondément. Ce sont des gens victimes de la propagande, ils ne comprennent pas la liberté de pensée face à la technique. Le progrès a remplacé Dieu. Quand Nietzsche parle de la mort de Dieu, moi je crois qu'il a été remplacé par le progrès. Je dis il faut apprécier la technique comme un amateur d'art. On ne reprochera jamais à un amateur d'art de ne pas aimer l'expressionnisme et de préférer l'actionnisme viennois, l'abstraction ou l'impressionnisme. Aimer c'est choisir. Ça, ça se perd : l'amour n'est plus un choix mais une obligation. Le progrès a tous les défauts du totalitarisme.

Et dans votre vie personnelle, vous utilisez un micro-ondes ?

Dans ma vie, je fais une ascèse des nouvelles technologiques. Je n'ai plus de voiture, je n'ai plus la TV. Internet, j'ai contribué à le lancer, à cette époque héroïque. Mais je n'ai pas d'ordinateur, je n'ai pas de téléphone portable. J'ai un téléphone fixe tout à fait ordinaire. L'eau, le gaz, et l'électricité. Et la radio, que j'écoute rarement. Mais c'est un point de vue terminal. Le progrès technique m'a toujours passionné. Mais on ne fera pas progresser la technique sans la critiquer. Il existe une distinction très claire entre l'objet technique dans sa réalité et la négation de cette réalité par la publicité du progrès. Par exemple, le « plus ça va vite mieux c'est » : c'est totalement faux ! Plus ça va vite, plus la catastrophe est importante. J'ai eu une Jaguar, je le sais quand même. On a roulé à plus de deux cents à l'heure, avec Claude Parent – il avait une type E, moi j'avais la S. On voit bien que la vitesse physique, de déplacement, vous fige. On est inerte, délatéralisé. Et y'a un phénomène d'hypnopie. Plus on va vite plus le regard doit se projeter loin, et on en perd la latéralisation. Autrement dit vous êtes fasciné.

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Ouais, ce que vous me décrivez avec des gestes là, c'est comme des œillères.

Oui, les œillères c'est la vitesse. En ralentissant, vous redonnez du champ. Et pourquoi les animaux ils ont des yeux sur le côté ? Y'en a pas beaucoup qui ont des yeux devant. Parce que le danger vient soit de derrière, soit de côté. S'il vient de face c'est pas une surprise, on peut se débrouiller. Et c'est la latéralisation qui donne du relief à la réalité. La vision projective de l'accélération aplatit le réel, le rend frontal, comme un écran. On perd le relief. Si on a deux yeux c'est pour voir en relief. Exactement comme la stéréophonie donne du relief à ce qu'on entend. Vous voyez, quand je dis ça, je suis en plein dans la science et la technique, je suis pas contre. J'ai deux paires de jumelles…

Ah. Dans L'Accident originel, vous parlez de l'accident relatif aux NTIC, l'accident intégral, simultané. Vous donnez en exemple le krach boursier. Mais en même temps on vous sent comme un peu déçu, comme si vous attendiez une catastrophe de plus grande ampleur. Même dans votre interview sur France Inter, vous avez dit que l'accident d'Internet serait une « belle préfiguration ».

Je ne suis pas apocalyptique, point final. Je suis révélationnaire – c'est un néologisme. L'accident révèle des choses. Et plus il est important plus il révèle des choses. Je m'intéresse plus au révélé qu'au révolu. Le krach d'abord, y'a eu le krach de 1987. C'est le premier krach informatique. Dans les années 1980, la City de Londres lance le Big Bang, c'est-à-dire l'interconnexion en temps réel des bourses du monde. C'est un événement d'accélération du réel, y'a plus de décalage horaire. Et, en 1987, ça pète. Comme on le dit à l'époque, les systèmes informatiques, les plateformes électroniques en sont la cause, parce qu'on n'a pas su gérer cette instantanéité des bourses interconnectées. En 2000, on a le krach d'Internet. Là-dessus, on a le World Trade Center, un accident de l'histoire. Et puis on vient d'avoir en 2007 le krach financier, un krach systémique, lié à la fois à des problèmes mathématiques, aux algorithmes très élaborés qui servent de base à ces calculs…

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Mais c'est finalement trop rapide pour le cerveau humain.

Voilà, oui ! Et on s'aperçoit qu'on vient de lancer le flash trading, les cotations à haute fréquence. Et la SEC, le gendarme de Wall Street, non seulement attaque Goldman Sachs en ce moment, mais aussi le flash trading, avec comme indication le délit d'initiés, mais un autre délit d'initiés. Je donne un exemple : si on continue comme ça, les grosses banques, trop grosses pour faire faillite, ne vont plus payer des bonus considérables aux traders, mais mettre ce prix-là dans des logiciels qui remplaceront les traders. L'industrie financière sera devenue une machine automatique. C'est une folie. On voit bien le krach que j'annonce, il est déjà là dans les pages de n'importe quel journal économique. Ce que je dis là c'est paru hier. Mais moi j'en parle depuis 15 ans, depuis le « programm trading ». Mais vous voyez le krach parce qu'il est là. Il est inévitable mais personne n'en parle. On sature le réseau, il va péter. C'est comme si on disait : on a inventé une machine qui ne sera jamais en panne. Mais c'est idiot ! Regardez le Concorde, il s'est crashé. Ça n'existe pas un objet technique sans son accident spécifique. On ne peut pas inventer Internet et nier l'accident d'Internet, et imaginez les dégâts. Ce sera bien pire que le krach boursier. On a du mal à imaginer ses limites. Ce que je dis là, c'est une révélation ou c'est une mauvaise pensée ? C'est extraordinaire, ce que je dis là, c'est d'une banalité ! Qu'est-ce qui fait… Sinon la propagande ?

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Ouais, mais vous avez vu Fight Club ?

Non.

Sinon prenez le docteur Mabuse, ouais, ça vous l'avez vu ?

Bien sûr, bien sûr.

Bon, à trop parler de la catastrophe, à l'anticiper, on peut arriver à la souhaiter, voire à la provoquer. Donc vous ne vous reconnaissez pas en Mabuse ?

Non, c'est une manière de me disqualifier.

Bon, j'espère que je vous ai pas choqué.

Non, ça va. J'ai tellement l'habitude. C'est trop facile. D'ailleurs maintenant quand quelqu'un commencera comme ça je lui dirai : « Si vous commencez comme ça on arrête tout de suite. »

Parlons de résistance alors. Dans un entretien accordé à la République des Livres en mars 1995, vous affirmez : « Choisir la résistance, ce qui ne veut pas dire s'opposer aux nouvelles technologies, c'est éviter d'être un collaborateur malgré soi…. »

Oui, c'est évident.

Vous concluez en disant : « C'est une forme de pétainisme aussi grave que pendant la guerre. » Et en même temps vous dites : « Le propre de l'homme est de résister. » Donc comment je fais ? Je jette ma Freebox par la fenêtre ?

Cette question ne se pose pas au niveau individuel, elle se pose au niveau du développement politique, économique, écologique. Je pense à la phrase de Churchill : « Un optimiste, c'est un homme qui voit une chance derrière chaque calamité. »

Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait se poser en critique d'art des technologies. Dans cette optique, vous pensez quoi de la déclaration de Karlheinz Stockhausen sur les attentats de septembre 2001, où il dit que c'est « la plus grande œuvre d'art qu'il y ait jamais eu dans le cosmos. » Au-delà de la dialectique création/destruction, ça m'a paru abonder dans votre sens, dans la mesure où c'était un moyen de résister à cette émotion collective dégueulasse qui nous fait perdre la mesure des choses, des événements.

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Je suis ami avec Peter Sloterdijk, qui est allemand, et il m'a dit que Stockhausen s'était récusé. Ceci dit, il est possible qu'il ait été mal interprété. J'en sais rien. Moi je considère pas la catastrophe comme un art. Ce qui est artistique c'est la technique.

Ouais, étymologiquement « ars » en latin c'est l'équivalent de « technê » en grec.

On est d'accord. Il y a des armes par destination. Si je prends cette bouteille en verre et que je vous tue avec [prenant la bouteille], c'est une arme par destination. Par contre si j'ai un revolver et que je vous tue, c'est une arme de fonction. Donc quelque part, ce qui s'est passé au World Trade, c'est un détournement du progrès technique, utiliser un avion civil pour en faire une bombe – en se tuant en même temps –, c'est une arme par destination. Et ça c'est d'une perversité inouïe. Dans le cas de cette bouteille, bon c'est moins pervers quand même, mais c'est un crime sans arme. Y'a pas d'arme du crime. La bouteille restera une bouteille, même si elle vous a tuée. Et l'avion de ligne reste un avion même s'il a tué plus de 3 000 personnes. Moi je ne pourrais pas utiliser cette phrase, c'est plus sophistiqué. Mais bon c'est un grand musicien, mais je crois pas qu'il soit assez philosophique dans cette phrase-là. Ça peut se discuter.

Ben c'est justement votre opinion que j'aimerais entendre.

Moi, cette phrase me choque profondément. Le détournement de la technique pour faire le mal, c'est pas ça que je dénonce. Moi, c'est à quel point la technique, sans être détournée, provoque des catastrophes masquées par sa publicité. Alors que là il s'agit d'un détournement criminel. Alors à la limite on pourrait interdire les avions parce que ça peut devenir des armes. Les bouteilles [touchant encore la bouteille] aussi. Les talons hauts comme les vôtres aussi.

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Dans L'Accident originel, vous relatez l'action courageuse de Sœur Carol Gilbert, qui a pénétré une base de missiles nucléaires au Colorado. Mais, au-delà de ces histoires de bonnes sœurs, toujours très réjouissantes, est-ce que vous pensez que l'Église catholique est plus encline à résister que d'autres religions ? J'entends par là qu'on critique souvent le Vatican parce que ça marche au ralenti, parce que c'est pas assez réactif par rapport à l'actualité, mais est-ce que c'est pas une forme de résistance à l'accélération du temps ?

C'est la religion de la mémoire même – à travers le judéo-christianisme. C'est la mémoire du livre. C'est pas une religion du passé, c'est une religion de la mémoire : donc son rythme n'est pas celui du progrès et de sa propagande, mais celui de son histoire. On peut dire que les différents conciles ne sont pas des révolutions, mais des révélations, des révélations du temps. Y compris Vatican II. Ça n'a rien à voir avec une révolution, et donc une accélération de l'histoire, comme ça a été le cas en 1989, à la révolution de 1917… Apocalypse ça veut dire révélation. Ça veut pas dire que je crois que la fin du monde c'est demain. Quand on me dit ça je dis : arrêtez, vous m'emmerdez. Moi je crois pas du tout à la fin de l'histoire ! Moi je dis : c'est la fin de la géographie ; le monde est trop petit pour l'accélération.

Oui, euh, vous parlez de « forclusion poliorcétique ».

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Absolument. La science de l'enfermement, des sièges. Avec la fièvre obsidionale, la fièvre qui se développait dans les villes en état de siège. Moi j'ai vécu dans la forteresse Europe. Je vais vous donner l'exemple du ghetto de Varsovie : il y a un journaliste américain, avant que l'Amérique entre en guerre, qui arrive à s'introduire dans le ghetto de Varsovie. Et il s'aperçoit que l'hiver, les fenêtres sont ouvertes, alors qu'ils brûlent des meubles pour se chauffer. Alors il s'en étonne, et il s'entend répondre : « Parce qu'en plus vous voudriez qu'on ferme les fenêtres ? » Aujourd'hui, le monde est frappé de la fièvre obsidionale. On peut dire qu'avec cet accident qui vient d'arriver, le volcan en éruption qui empêche les avions de décoller, on commence à comprendre que le monde peut être inerte, paralysé. Aujourd'hui on a des réfugiés touristiques.

Il me reste encore quelques questions, mais vous voulez qu'on fasse une petite pause ?

Oh oui ! On va aller prendre l'air.

…En fait ça m'intéresse ce dont on parle : je peux remettre mon enregistreur ? Donc on parlait d'Architecture Principe, que vous avez créé avec Claude Parent, et de l'église Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers, que vous avez construite au début des années 1960, et qui illustre bien ce que vous avez appelé « l'architecture répulsive ». Je discutais de cette cathédrale avec un ami architecte, et il me disait : « Ils ont tendance à considérer que le bunker c'est la forme achevée de la modernité en architecture. »

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Non, non non. La référence au bunker, c'est plus la protection de la vie. Et il faut voir surtout la fonction oblique, qui elle, est l'avenir, il suffit de voir l'architecture maintenant.

Oui, tout le monde s'y est mis. Y'a qu'à voir les rampes dans les musées… En fait c'était d'une rare évidence.

Ben oui. Comme toujours. À l'époque, en 1962, quand on a gagné le concours pour faire cette église… 1962, c'est Vatican II. L'église va s'ouvrir à la parole natale, on délaisse le latin, et le prêtre arrête de tourner le dos à ses ouailles pendant la messe. Et en même temps, 1962, c'est la crise des missiles de Cuba. On est au bord de la guerre nucléaire entre Khrouchtchev et Kennedy. Et Kissinger, le conseiller de Kennedy, écrit dans ses mémoires : c'est le moment le plus dangereux non seulement de la Guerre froide, mais aussi de l'histoire de l'humanité. Les Américains pouvaient pas accepter que les Russes mettent des fusées nucléaires à côté de leur côte, c'était pas possible. D'ailleurs, au niveau des Russes, c'était aberrant. C'était forcé, ça allait péter.

Ouais j'ai lu des trucs là-dessus qui expliquent ça par le concept de « routine organisationnelle » : c'est-à-dire qu'en Russie, ils ne cachaient pas leurs missiles, alors ils les ont pas cachés non plus à Cuba. Y'a une autre histoire marrante, d'ailleurs, c'est que les militaires russes qui allaient vers Cuba avaient emmené des skis de fond.

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C'était pour tromper tout le monde.

Ben non même pas. C'est qu'ils avaient l'habitude de prendre leurs skis de fond en Russie. Ce que je veux dire, c'est qu'une série d'approximations causées par des comportements routiniers nous ont menés au bord de l'apocalypse. C'est fou quand même.

C'est l'époque décrite par Atomic Cafe, La Bombe, le film de Watkins, l'époque de l'équilibre de la terreur, de la peur globale. On est au bord de l'apocalypse. Celle de l'hiver nucléaire. Parce que vous savez que le grand danger, on le voit avec ce malheureux pétard du volcan islandais, c'est celui de l'hiver nucléaire. C'est-à-dire que les explosions de bombe interdisent pendant très longtemps les rayons du soleil, donc ça fait crever tout. L'hiver nucléaire ça s'appelle. On voulait témoigner de ça avec cette église, ce bunker spirituel.

Bon on rentre à l'intérieur et on s'y remet ? J'ai une question, je pense à Hans Jonas : aujourd'hui, y'a un changement d'échelle : l'homme est capable de provoquer l'extinction de l'humanité. Jonas appelle de ses vœux, dans Le principe responsabilité, un changement d'éthique. Bon, je suppose que vous êtes parfaitement d'accord avec ça.

Oui je suis d'accord, par contre le principe de précaution je suis pas d'accord. Le principe de précaution est le cache-sexe du principe de responsabilité. Le principe de précaution c'est une astuce, un masque, qui aide à la propagande du progrès. « On va prendre des précautions. » Le problème n'est pas là. Il est dans la responsabilité, au plus haut niveau. C'est tellement énorme, c'est pas de la précaution, à ce niveau-là.

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Mais moi ce que je me demandais c'est : l'homme a déjà du mal à envisager sa propre mort. Vous pensez vraiment qu'il est capable de concevoir autrement que dans un monde de fantasmes hollywoodiens la mort de l'humanité ? Est-ce que c'est pas là une vraie pierre d'achoppement pour cette université du désastre que vous voulez mettre en place ?

En tant que chrétien, et là je suis obligé de le dire, je participe à ce que Saint Paul appelait une espérance contre toute espérance. C'est-à-dire que d'une certaine façon, je vois une chance derrière la menace de l'apocalypse. Elle est une singularité inouïe mais elle n'est pas terminale. Elle ne met pas fin à l'humanité. Elle est possible mais elle n'est pas forcée. Il n'y a d'espérance qu'au bord du gouffre. On peut avoir de l'espérance en rase campagne, mais ce qu'on risque, c'est un coup de soleil. Tandis qu'au bord d'une falaise, là, c'est autre chose. On approche le gouffre de l'inconnaissance. En ce moment je crains le troisième accident, l'accident des connaissances. Un, des substances, la faune la flore l'écologie. Deux, des distances : l'écologie grise, le monde trop petit. Ces accidents sont liés. Le troisième risque, énorme, c'est celui du nihilisme, des connaissances, perdre connaissance, le coma de la science, parce qu'on a heurté le mur du temps. C'est même au-dessus du nihilisme.

C'est ce que vous entendez quand vous parlez de l'accident de la pensée, c'est ça ?

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Oui, l'ubiquité, l'instantanéité. C'est de la démiurgie. Comme vient de le dire le patron de Goldman Sachs : « Je fais le travail de Dieu. » C'est une forme supérieure de nihilisme.

D'accord. Dans les années 1970, on voit débarquer tous ces films catastrophe américains. Aujourd'hui, on serait plus dans les films apocalyptiques.

Ouais, c'est gothique. Ça relance la Grande Peur du Moyen Âge.

Donc dans les années 1970, on est dans la catastrophe mais qui est encore locale. C'est révélateur de quoi ?

D'une certaine façon, l'effet spécial catastrophique, que ce soit dans Le Poséidon, La Tour infernale ou le Titanic – je les ai tous vus – introduit à une inquiétude sur le progrès. Comme par hasard, le progrès des techniques modernes. Le Titanic est l'emblème, mais on a eu avant Le Poséidon.

Ah je connais pas celui-là.

Le Poséidon, c'est un bateau qui se fait retourner par une lame de fond. C'est intéressant pour la fonction oblique : c'est comment les gens vont remonter à la surface jusqu'à la coque pour se sauver. Et donc c'est le moyen de transport qui s'inverse et devient une espèce de paysage incliné où il faut retrouver des manières de se déplacer. Et arrivés en haut ils tapent, ils tapent, et on fait un trou dans la coque pour les faire sortir. C'est un film intéressant à la fois pour la fonction oblique et pour la notion de catastrophe. Ce sont les véhicules qui sont mis en cause. Y'a aussi Airport. Donc quelque part, le navire, la tour et les ascenseurs, les hélicoptères, les avions. Il y a là une inquiétude sur des objets techniques qui sont déjà dépassés par l'informatique, le virtuel. On présente la menace des objets techniques anciens, parce que c'est banal maintenant, au moment où se développent l'informatique et la virtualisation, l'espace virtuel où l'on ne craint rien sinon d'être addict, d'être bloqué devant son écran. À mon avis, ils le font parce que c'est une époque qui se termine au profit du virtuel. D'où Titanic, qu'on ramène aujourd'hui avec une histoire d'amour un peu gadget.

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Et aujourd'hui, avec tous ces blockbusters apocalyptiques, Le Jour d'après, 2012… Qu'est-ce que vous voyez là-dedans ?

Euh… J'avais une réponse mais elle m'a échappé. Ah si, ça y est. Je crois que profondément, aujourd'hui, l'Amérique n'est plus le Nouveau Monde, elle ne le sera plus jamais parce que le monde est mondialisé. Le monde est devenu une planète qu'on peut parcourir instantanément. L'Amérique fait partie du globe, point final. D'où une sorte de timidité qu'Obama traduit. Vous avez vu qu'il remet en cause la conquête spatiale. C'est énorme. On a un flottement de l'impérialisme américain, du mode de vie, et même militaire. On le voit bien quand il propose de désarmer nucléairement, d'arrêter la conquête spatiale… L'Amérique a perdu le « Go West » du western. Standby. Stop, eject. Et d'une certaine façon, ces films en ont été l'annonce. C'est comme ça que je l'interprète.

Dans les médias, on a une autre forme de catastrophisme, on est toujours en train d'attendre, finalement, le grand bug de l'an 2000 ou la fin du calendrier maya en 2012, par exemple. C'est jouer à se faire peur, selon vous ?

Non, non. Là on rejoint mon livre qui vient de sortir, L'Administration de la peur. « La terreur est l'accomplissement de la loi du mouvement » – c'est de Hannah Arendt. On peut pas séparer la terreur, le terrorisme au sens large, l'effroi, et l'accomplissement de l'accélération maximum. Quelque part on entre dans l'âge de la Grande Peur, qui rappelle celle du Moyen Âge. La peur est administrée par des événements qui nous dépassent. Et on ne peut pas être courageux individuellement quand on est face à la peur collective, à la panique.

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Et tous les médias se sont emparés du sujet du Grand Collisionneur de hadrons. Vous en pensez quoi, vous ?

D'abord y'a eu deux procès qui leur ont été faits, par deux physiciens américains, et par le professeur Otto Rössler, le théoricien du chaos. Et c'est pas un rigolo. En gros, ils ont fait un procès en disant : qui vous a autorisés à prendre le risque d'un trou noir ? Le débat, c'est une question scientifique qui pose une question scientifique : la limite de l'expérimentation. C'est très simple. Si les sciences ne sont pas de la pensée magique, c'est qu'elles sont expérimentales. Mais quand, au XIXème siècle, on ratait une expérience, le labo sautait, la cornue et le laborantin étaient tout noirs, et la femme du laborantin disait « ah, t'as encore raté ton expérience ». C'était pas très grave. Quand Oppenheimer et les physiciens atomiques ont appuyé sur le bouton de Trinity 6, ils savaient pas jusqu'où s'arrêterait la désintégration. Ils ne savaient pas si l'espace lui-même ne se désintégrerait pas. Oppenheimer a dit lui-même : peut-être qu'on a commis un péché scientifique, on a pris un risque qui nous dépassait complètement. En plus ils l'ont nommée Trinité, la bombe, on voit le côté sacré. La question se repose aujourd'hui. Dans mon livre que je prépare sur le LHC, je les attaque. En particulier comme des adeptes du culte solaire. Une des grandes religions de l'histoire, chez les pharaons et les mayas, c'est le culte du soleil. Or nous, c'est le culte de la vitesse de la lumière.

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En fait j'aurais dû connaître votre réponse à l'avance, sachant que c'est une machine qui a pour particularité de faire accélérer au maximum des particules pour les faire rentrer en collision. Mais vous pensez que le risque – ça a été comique d'ailleurs, parce qu'ils ont pas pu la faire démarrer leur machine – existe vraiment ?

Le Grand collisionneur pose la question du risque, pas simplement du hadron, la « particule de Dieu » ils l'appellent, c'est quand même extraordinaire… Et comment ils appellent l'accélérateur ? La cathédrale. Là c'est pas le chrétien qui dit c'est pas bien, c'est péché. C'est une réalité scientifique.

Je suis assez étonnée que finalement pas plus de scientifiques ne s'élèvent contre ça.

Oui, et qui en a parlé ?

Ben on en a un peu parlé, mais surtout pour les présenter comme des réfractaires au progrès, des réactionnaires. Passons. Il y a quinze ans, vous avez déclaré vouloir faire un livre qui s'appellerait L'Accident intégral, et vous aviez précisé : « chacun peut faire son 1984. » Bon vous ne l'avez pas encore écrit, mais si vous citez 1984 c'est pas anodin. Est-ce qu'une des conséquences de cet accident intégral sera le totalitarisme ?

Le totalitarisme des totalitarismes. Oui, c'est sûr. La perte de la liberté. La démocratie est menacée de partout.

Mais qui a intérêt à ce que ça se passe comme ça ?

Y'a pas d'intérêt, y'a pas d'intérêt. D'une certaine façon, c'est la philofolie, l'amour de la folie. C'est un phénomène panique.

« La synchronisation des émotions collectives qui favorise grandement l'administration de la peur. »

Ben voilà. La communauté d'émotions, qui remplace la communauté d'intérêts. On passerait au communisme des affects. Et c'est redoutable. On retrouve là le phénomène panique, face auquel on peut pas avoir de courage individuel.

Parmi les menaces d'aujourd'hui, vous parlez d'hyperterrorisme, de la menace nucléaire. J'ai lu un truc de vous, vous parliez d'un exemple oublié parmi d'autres, la découverte à Denver d'un dépôt de 20 000 missiles à la portée d'un incendie, et la capacité de cet arsenal c'était l'extermination de la population du globe. Un exemple parmi d'autres ?

Oui. Qui parle du stockage des armes nucléaires ? On nous parle de stockage des déchets, avec des problèmes incroyables puisque la durée de nocivité atteint parfois 200 000 ans. Quand on creuse pour les enfouir, il faut se poser la question de l'oubli : parce qu'imaginez, vous faites un trou, vous y mettez des déchets très dangereux qui peuvent durer plusieurs centaines de millénaires : comment vous faites pour dire aux gens de dans 100 000, 200 000 ans, qu'à cet endroit-là y'a quelque chose de dangereux ? Ce n'est plus de la science-fiction. Comment communiquer avec ces gens-là, s'il en reste ? Ils parleront quoi, quelle langue ? La géométrie aura progressé, et tout… Le problème de la durée de la menace n'est pas pris en compte. Pareil pour le stockage des armes nucléaires. Y'en a partout, n'importe qui de mal intentionné pourrait venir les piquer. On n'en parle pas, la menace est pourtant tellement évidente. La propagande du progrès c'est la censure du réel. La déréalisation censure la réalité. Vous voyez dans quelle perversité on est. Ça veut pas pour autant dire qu'il y a un complot contre l'humanité, c'est bien plus compliqué que ça. Mais le résultat est le même.

En parlant des menaces de demain, je voudrais vous parler du devenir technologique de l'être humain, d'autant plus que je crois que vous connaissez Enki Bilal.

Oui bien sûr, Bilal et Moebius et Giraud. Druillet je l'ai pas rencontré.

Enki Bilal, j'ai vu son film. Ca m'a fait penser à la thèse de Ray Kurzweil, d'ailleurs, sur la singularité : selon lui, en 2050, l'être humain sera moins organique, biologique, que technologique.

Le new age.

Oui, en même temps il dit 2050 parce qu'il est vieux, il a besoin d'envisager la réalisation de sa thèse de son vivant, donc c'est pas forcément une date à considérer sérieusement. Mais qu'est-ce que vous en pensez ?

Ça pose la question de la troisième bombe, comme l'a dit l'abbé Pierre et formulé Einstein. Ils se connaissaient, c'étaient des grandes célébrités de l'après-guerre. Einstein a dit : il y a trois bombes. La bombe atomique, la bombe de l'information et la bombe démographique. Mais moi devant la situation présente, je dis que la troisième bombe est génétique. Va se poser la question de la sélection du genre humain. Quelque part là on risque de faire advenir le racisme même : celui qui est incontestable. Il y aura les hommes naturels, ceux qui sont nés du sang et du sperme – c'est dégueulasse –, et ceux nés de l'engineering génétique, de la grande matrice génomique.

C'est un scénario de SF à la Bienvenue à Gattaca.

Absolument. La bombe génétique, si elle explose, divisera le genre humain en deux, entre pré-humains, naturels, et posthumains articifiels, mais supérieurs. C'est un peu comme des OGM. Maintenant pensez qu'on est ensemble, vous vous êtes naturelle et moi je suis OGM. Rappelez-vous les réplicants, dans le film…

Blade Runner ?

Oui, cette scène merveilleuse : y'a Harrison Ford qui va tomber de la tour, et le réplicant le retient. Et Harrison pense qu'il va le lâcher. Et le réplicant – ils sont beaux d'ailleurs ; et vous savez que la fille qui est si belle dans le film s'est suicidée ? –, il le remonte et le met contre la cheminée. Harrison lui dit : « Pourquoi t'as fait ça ? » Et le réplicant lui dit : « C'est pas toi que j'ai sauvé, c'est ta vie. » C'est monstrueux. Et en même temps c'est merveilleux.