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Le guide VICE de Karachi

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Photos : Jason Mojica 

Un des fameux bus décorés de Karachi, touché par des éclats de violence.  

Interviewer un tueur à gages de Karachi a probablement été le truc le plus effrayant que j'aie dû faire pour VICE en dix-sept ans. Son flingue était posé entre mes jambes à l'arrière de la voiture alors qu’on circulait dans son quartier. Après avoir discuté du fait de gagner sa vie en tuant des gens, j’ai eu la nausée pendant trois heures. J’avais déjà eu affaire aux flingues et à la violence mais me savoir assis à côté d’un type qui a tué 35 personnes (pour des sommes ridicules allant de 550 $ à 1100 $) ne m’a pas franchement amusé. Par qui ces types sont-ils engagés ? D’après le tueur que j’ai interrogé, 80 % des assassinats commis dans la région sont commandités par des hommes politiques et les 20 % restants sont liés au crime organisé. Il m’a aussi confié que seules 6 personnes exerçaient sa profession il y a encore vingt ans. Aujourd’hui, on compte plus de 600 tueurs à gages en activité à Karachi. En effet, beaucoup de locaux prétendent que Raymond Davis – cet agent de la CIA qui, l’an passé, avait tué deux Pakistanais armés à Lahore, entraînant la dégradation des relations diplomatiques entre les États-Unis et le Pakistan – était en fait la cible ratée de tueurs à gages. Ce sont donc ces derniers qu’il aurait tués pour se défendre et non ces mystérieux « gosses en moto » qui essayaient de le voler.

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Dans la banlieue de Karachi, des enfants fouillent dans l'un des plus grands dépotoirs du monde. Ce dernier se trouve juste à côté de l'un des endroits favoris de la mafia pour kidnapper ses victimes : Surjani Town.

Je suis allé au Pakistan plusieurs fois et j’ai mes repères dans une bonne partie du pays mais c’est la première fois que je foutais les pieds à Karachi. Cet endroit est différent : c’est une métropole tentaculaire ultra-violente dans laquelle vivent 18 millions d’habitants. C’est l’une des villes au développement le plus rapide du monde mais en France, on la connaît mieux comme l’endroit où des terroristes ont fait exploser un bus en 2002, provoquant la mort de 11 fonctionnaires français déployés sur place par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. L’histoire de Karachi est marquée par la violence depuis 1947, date de la création du Pakistan sur les cendres de l’Empire britannique. L’arrivée massive de réfugiés musulmans dans ce nouveau pays a entraîné des guerres de territoires, des tensions ethnico-politiques, des gangs armés, des meurtres religieux et, plus récemment, des attentats-suicides.

Selon certaines estimations, il y aurait plus de 4 millions d'héroïnomanes au Pakistan. À Karachi, on peut s'en procurer pour 80 centimes le gramme. L'héroïne et l'opium viennent d'Afghanistan : 160 tonnes ont passé la frontière en 2009, et, la même année, un rapport des Nations Unies a évalué le bénéfice du traffic d'opiacés à 1.2 milliard de dollars.

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Quand les médias occidentaux évoquent le Pakistan, ils se concentrent généralement sur la « guerre contre la terreur » menée par l’OTAN et les Américains. On a tous entendu parler de ces attaques de drones à l’encontre des talibans et autres membres d’Al-Qaida dans les zones tribales – et surtout de ces drones qui manquent leur cible et déciment des villages entiers de femmes et d’enfants innocents dont personne ne se soucie car ce sont des anonymes qui vivent dans ces montagnes et que nous autres, partisans du Bien, allons vaincre le terrorisme.

Après le 11-Septembre, des talibans postés à la frontière afghane ont émigré dans les zones tribales et vallonnées du Pakistan. Lorsque les Américains ont pilonné ces dernières avec leurs drones, ils ont émigré en ville. Ils ont d’abord infiltré Peshawar, où ils ont commis plusieurs attentats-suicides, avant de frapper Karachi. Un poste de securité donnant sur le bastion pachtoune de Kati Pahari, dans lequel les différents partis politiques se tirent dessus tous les jours. Se débarrasser des terroristes, c’est un peu comme essayer de tuer des cafards – vous avez beau en écraser quelques-uns, d’autres apparaissent à droite, à gauche et ils sont déjà partout avant que vous n’ayez eu le temps de vous en apercevoir. Ils ont dû prendre une autre identité en arrivant dans les centres urbains – dans le cas de Karachi, ça veut dire qu’il y a simplement eu un gang supplémentaire en ville : un gang appelé « Talibans ». Ajouté au niveau extrêmement élevé de folie et de violence, aux guerres de gangs, à la pauvreté préexistante, il a contribué à rendre plus flippante encore la mégapole, surtout quand on en parle avec les flics qui doivent gérer tous ces problèmes. Les forces de police sont complètement débordées car composées de bénévoles non entraînés qui font un peu penser au Keystone Kops version tiers-monde. Nous les avons suivis au cours d’une de leurs opérations et, même si on était censés débusquer des talibans dans les rues minuscules de Karachi, on avait plutôt l’impression d’être dans un épisode du COPS pakistanais. En fait, la situation était tellement absurde que notre équipe a fini par être accusée de faire partie de la CIA.

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Suroosh, peu rassuré par la présence de ce tueur à gages casqué qui lui explique les ficelles du métier. Beaucoup de signes montrent que le Pakistan est au bord de l’implosion et, après avoir passé les sept dernières années à étudier le pays, je peux dire que Karachi pourrait bien en être le détonateur. C’est le moteur économique du pays : l’industrie de la mode y est florissante, les entreprises sont dynamiques, on compte des centaines de riches notables et des millions d’autres qui vivent dans le dénuement le plus total. On y trouve donc le plus grand nombre de bidonvilles au monde et la plus grande décharge publique de la planète, dans laquelle les gosses cherchent de quoi bouffer et n’importe quoi ayant un peu de valeur. La puanteur y est intolérable. L’héroïne coûte l’équivalent de 80 centimes le gramme, le hash est partout, la corruption présente à tous les niveaux et l’accès à l’eau et à l’électricité est un problème majeur pour à peu près tout le monde. Plus de gens meurent à Karachi que dans les zones tribales où la guerre fait rage. Après avoir passé cinq jours dans cette ambiance plutôt âpre, mon équipe et moi voulions retrouver un peu de normalité. On avait juste envie de voir des gosses déconner ou de tomber sur n’importe quel « signe d’espoir ». On a donc organisé un petit événement réunissant des kids issus de la scène musicale et artistique de Karachi. On allait appeler ça VICE Kills Karachi, en référence à nos soirées « VICE Kills », mais on nous a suggéré d’opter pour Karachi Kills VICE parce que « Karachi tue tout ». On a accepté.

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LE FLYER
Texte : Aziza Ahmad Aziza est étudiant à l'Indus Valley School d'Art et d'Architecture de Karachi.

Après avoir envoyé ce flyer, des gens nous ont écrit pour nous demander si on avait envie de mourir. Le flyer est assez éloquent, pourtant.

Quoi de plus punk qu’un flyer réalisé sur Paint et mettant en scène un collage de références à la sous-culture pakistanaise par un gamin en train de sécher les cours ? Que faire lorsque votre flyer fait marrer le type de la photocopieuse (qui s’empresse de l’imprimer), fait froncer les sourcils de tout votre entourage et se retrouve interdit à l’événement qu’il est censé promouvoir ? Le flyer que j’ai fait pour la soirée Karachi Kills VICE montre un postérieur assez semblable à ceux que vous pouvez voir dans les dessins animés. Ce n’est pas comme si le sexe était totalement tabou à Karachi. Descendez n’importe quelle rue et vous ne manquerez pas de tomber sur un hijra (transsexuel) qui souhaitera sans doute s’isoler dans un coin sombre avec vous ou une prostituée en burqa qui préférera monter dans votre caisse. Cette ville s’offusque d’un pauvre dessin qui montre grossièrement l’acte sexuel – il a même été banni des murs d’un cinéma de quartier – mais est absolument OK avec le taliban qui porte un keffieh à cœurs ou cette histoire de drones qui lâchent des roses. En fin de compte, j’ai voulu faire de ce flyer quelque chose dont ma mère pourrait être fière en couvrant les parties un peu « chaudes » avec la tête d’un terroriste souriant. Parce qu’à Karachi, c’est beaucoup plus tolérable que le VICE.

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LE DROIT AU HEADBANGING
Texte : Babar N. Sheikh 
Babar est un réalisateur de film, expert en métal, et bosse dans la pub à Karachi. La pochette d'un album de Dusk, Jahilia, sorti en 2003.

Peu après 22 heures, une poignée de metalheads de Karachi se retrouvent au resto chinois après le boulot. Ils discutent de la nouvelle interview de Fenriz et du fait que DRI entame une tournée en Asie. En dehors des conneries habituelles, leur conversation est pleine de ragots sur tel mec qui a braqué tel type dans tel magasin de disques. Ces types ne prient pas Allah mais ils vénèrent la deuxième démo de Tormentor et tous les disques sortis sur Sarcofago’s records. Au Pakistan, le métal est mort-né. Vers la fin des années 1990, il a connu une brève phase embryonnaire avec des groupes comme Dusk – dont je fais partie – qui ont réussi à faire parler du pays sur la scène métal internationale et conservent aujourd’hui une fanbase assez fidèle. C’était l’époque où l’on ne pouvait pas lire d’interviews ailleurs que dans d’obscurs fanzines et où l’on aurait tué le type qui se serait assis par mégarde sur nos disques dans le bus. C’était l’époque où Bolt Thrower’s Jo Bench était la reine. À Karachi, même en 2012, certains vivent encore dans cette époque. UNE SOIRÉE TÉLÉ AVEC DEUX PETITES FRAPPES DE KARACHI
Texte : Basim Usmani
Basim joue dans le groupe punk pakistanais The Kominas et vit à Boston.

Zafar Baloch regarde les informations en continu afin de garder un oeil sur les plans du gouvernement à son égard.

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Lors de mon premier dîner à Karachi, j’étais presque assis sur une Kalachnikov. Uzair et Zafar Baloch – les gangsters les plus célèbres de la ville et membres éminents du Comité du peuple d’Aman – savent comment vous mettre à l’aise. Leur salon est équipé d’une piscine intérieure et d’un gigantesque écran plat ; dans le jardin, on trouve une autre piscine réservée aux poissons exotiques ainsi qu’une immense fontaine – imaginez Tony Montana sous rabla en terre islamique. Lorsque nous dînions avec les Baloch et leurs potes, les armes automatiques restaient toujours à portée de main. Zafar a passé la majeure partie du repas au téléphone pour discuter de ce que les médias locaux disaient d’eux pendant qu’Uzair et moi mangions notre Lyari qorma dans des petites assiettes en métal.

Uzair Baloch reste un hôte très attentionné, même lorsque nous étions en train d'attendre que les flics viennent assiéger son palace.

On a pas mal parlé de New York : « Lyari, c’est un peu comme le Bronx », nous a expliqué le très soigné Habib Jan. « Je suis allé plusieurs fois dans le Bronx et les gens que je connais à New York me disent tout le temps “non, non, va pas dans le Bronx” mais putain, je sais qu’ils en font des tonnes. » À Karachi, les raisons de flipper sont plus évidentes. Des habitants m’ont dit qu’il ne valait mieux pas circuler la nuit à Lyari, sous peine de devenir l’un des nombreux « disparus » kidnappés par les talibans ou un autre gang local. VICE a eu besoin de la protection d’Uzair et Zafar mais, au Pakistan, les journalistes sont rarement considérés comme de simples observateurs ; ils voulaient donc savoir qui nous étions vraiment. Du coup, on leur a montré Le Guide VICE du Congo et Le Guide VICE de Gaza sur leur écran géant. Les frères Baloch ont ensuite accepté de nous protéger et de s’assurer que nous ne serions ni kidnappés, ni tués. Merci les mecs.

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KARACHI S'EST TUÉ
Texte : Osama Motiwala
Osama a 19 ans, adore Hunter S. Thompson et s'est occupé de nous à Karachi (merci, mec).

Nabil Gabol, du parti du peuple pakistanais, voyage avec une escorte armée, ce qui ne l'empêche pas d'avoir toujours avec lui sa propre Kalashnikov.

Mardi 27 mars, tôt dans la matinée et quelques heures après que VICE a quitté Karachi, deux membres du Muttahida Qaumi Movement (MQM), un parti politique libéral, ont été tués chez eux par des types armés. Tout le monde savait qu’un truc du genre allait arriver. Le suspect était lié au Comité du peuple d’Aman, rivaux politiques du MQM. Ils fonctionnent en suivant ce valeureux principe : « Tu nous baises, on te descend. »

À Orangi Town, le nouveau repaire présumé des talibans, la police fait une descente retransmise en direct sur toutes les chaînes de télé. Ils reviennent avec un type barbu muni d'un 9 mm.

Comme prévu, le MQM a ensuite pris le contrôle de la ville et foutu le feu à plusieurs véhicules. À la tombée du jour, des dizaines de voitures et de bus flambaient, neuf personnes avaient été tuées et beaucoup d’autres blessées ; la plupart dans des zones que VICE était allé filmer. Les magasins, les écoles, les transports publics et les stations d’essence avaient fermé. Les conflits entre groupes ethniques et politiques ont salement entaché la réputation de Karachi. L’an passé, près de 1 700 personnes ont perdu la vie à cause des violences dans la ville. Pourtant, on a parfois l’impression que les habitants de Karachi s’en foutent un peu. Ils matent les infos, râlent deux minutes sur ce qui se passe et c’est tout.