Paris à l’heure du plan Vigipirate

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Paris à l’heure du plan Vigipirate

Louis Witter a suivi les hommes du 13ème bataillon de chasseurs alpins dans leur mission parisienne.

Photos : Louis Witter / Le Figaro

Suite aux attentats qui ont frappé Paris en janvier dernier, les forces armées ont été mobilisées sur l'ensemble du territoire dans le cadre d'un plan Vigipirate exceptionnel. À ce jour, près de 10 500 militaires ont été déployés, dont près de 6 000 en région parisienne. Afin d'en savoir plus sur leur mission, j'ai passé une journée, de 3 heures du matin à 19 heures, en compagnie de quelques-uns de ces soldats.

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Il n'est pas encore 4 heures dans le fort de Vincennes, dans le 12ème arrondissement de Paris, que les hommes du 13ème bataillon de chasseurs alpins se réveillent. Au premier étage du bâtiment, seul le bruissement des draps que l'on replie se fait entendre. Ni tambour ni trompette pour ce lever des troupes. « Ce sont des grands garçons », m'explique avec humour Ludovic, le chef du bataillon, premier prêt à affronter la journée qui s'annonce. « Histoire de vérifier », le chef passe tout de même dans la chambre. L'odeur du café qui se prépare dans le réfectoire encourage la petite vingtaine de militaires à se dépêcher. Deux coups de rasoirs jetés sur leurs joues entrecoupés d'un « Bonjour mon commandant, bien dormi ? », et les hommes descendent.

Les équipements s'entassent à l'entrée de la salle du petit-déjeuner au fur et à mesure qu'elle se remplit d'hommes. Entre le gilet pare-balles, appelé « Frag », et le sac qui contient de quoi tenir entre 24 et 48 heures, ils portent en tout environ 20 kilos sur les épaules, toute la journée. Pour bon nombre d'entre eux, c'est la septième mission Vigipirate qu'ils effectuent, en plus de plusieurs opérations extérieures (aussi appelées OpEx). Ils sont tous arrivés de leurs montagnes, les Alpes – de Chambéry, plus précisément. Alors que seulement quelques flocons tombent en région parisienne, ils regrettent tous de ne pas être auprès de leurs sommets. « La mission l'impose », se rassure l'un d'eux, la voix résignée. Dans l'étroite cantine, un grand téléviseur diffuse les informations. Aux images de politiciens se succèdent celles de la guerre en Ukraine. Sur celles-ci, on voit des dizaines de personnes qui fuient les combats, valises à la main. Une remarque fuse : « Ah bah tiens, en voilà qui partent en vacances, et avec de la neige en plus ! » Pas le temps de rigoler plus longtemps, voilà qu'il faut décrocher du fort de Vincennes. Chaque homme enfile son gilet pare-balles et son sac et se dirige vers l'armurerie. Derrière une petite lucarne de quelques dizaines de centimètres, un militaire distribue les armes de service – une arme de poing et un Famas, le fusil d'assaut règlementaire. Les gars font un pas sur le côté, arment la culasse, tirent un coup de sécurité et repartent le fusil à l'épaule. Une fois bardés de tout leur matériel, ils prennent la direction de la station de métro voisine pour se rendre à celle de Charles de Gaulle - Étoile.

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Il fait encore nuit lorsqu'ils quittent le bâtiment. Une fine pluie mélangée à de la neige fondue s'abat sur leurs bérets – enfin, ce ne sont pas exactement des bérets : chez les chasseurs alpins, on appelle ça des « tartes ». Plus grande et plus large que le béret traditionnel, la tarte suscite « pas mal d'interrogations de la part des civils », explique un lieutenant. Tout en marchant et en réajustant son fusil qui glisse de son épaule, il se confie peu à peu : « Ici, les grades et tout ça, faut pas trop y faire gaffe. Certains refusent de monter en grade pour continuer à être sur le terrain. Par exemple, moi je pourrais pas bosser dans un bureau, c'est juste pas possible… Il me faut de l'air, des missions, du terrain, sinon je ne vis pas ! » Sur le trajet, les militaires font face à deux types de regards. En face de l'un d'eux, deux amis d'une quinzaine d'années écoutent de la musique. Tandis que l'un défie les soldats du regard, l'autre les regarde, admiratif. Une fois arrivés à destination, les hommes du 13ème BCA descendent et se déploient sur le site. Premier tour dans cette station immense : rien à signaler. Second tour : il est un peu moins de six heures, le métro commence doucement à se remplir. Un homme passe et s'adresse tout sourire aux militaires : « Oh, la tarte, mais ce sont des chasseurs alpins ça ! » La fierté des hommes se ressent, ils gonflent le torse en adressant un salut chaleureux au bonhomme rougeaud qui continue sa route, concluant son passage d'un « Bonne journée, messieurs ! » « La mission Vigipirate, c'est ça avant tout », explique le lieutenant Florian, à la tête de cette unité d'une vingtaine d'hommes. « Il faut faire acte de présence sur le territoire et se montrer vigilants – tout d'abord parce qu'il faut rassurer la population après ce qui s'est passé, ensuite car on peut être à tout moment confrontés à des situations de menace terroriste. » Au bout de quelques tours dans la gare, l'unité remonte en surface. La neige tombe dru en ce lundi matin. « Vous pourrez titrer : "les Alpins amènent la neige à Paris !" », s'esclaffe le plus petit de l'équipe.

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Vers 10 heures, alors qu'une autre unité prend la relève à Charles de Gaulle - Étoile, les premiers réveillés rentrent au fort de Vincennes. Place à la séance de sport. Au programme : foot en salle, musculation ou endurance. Ces grands gaillards, qui n'ont pour certains que la vingtaine, se charrient amicalement sur le terrain. Un but marqué au foot, et l'équipe qui l'a laissé passer fait dix pompes. Le jeu est serré, plus proche d'ailleurs d'un match de rugby que d'un match de foot. Dans la salle de musculation, six chasseurs alpins s'entraînent. Tractions, sueur, pompes, grognements sous l'effort. Ils se tapent sur l'épaule après chaque réussite. « Il faut bien se donner du courage, sinon on y arrivera jamais ! » dit celui qui semble être le plus jeune, en pleine séance de lever de poids. Dans ce gymnase, devant lequel une trentaine de camions militaires sont garés quasi-symétriquement, les hommes s'entraînent, pendant que leurs camarades des patrouilles véhiculées tournent dans Paris.

Avant de les suivre de nouveau dans le 16ème arrondissement, je souhaite visiter l'état-major tactique. Depuis son bureau partagé avec son auxiliaire, Ludovic, le chef de bataillon, gère ses 220 hommes et les affecte à diverses missions. « Ça peut aller du signalement de bagages abandonnés au flagrant délit, tout en passant par la mission principale : la dissuasion », commente-t-il, tout en signant quelques papiers. « Cet état-major tactique est déployé depuis la mise en place historique du plan Vigipirate dans les années 1990, donc nous sommes habitués à ce type de missions », ajoute-t-il. Selon lui, les attentats du mois dernier n'ont pas vraiment changé la donne. « Aux yeux des Parisiens, si la tension était palpable dans la semaine qui a suivi les attentats, aujourd'hui ils sont retournés à une situation que l'on pourrait qualifier de normale. Bien entendu, le fait de mobiliser des militaires depuis les années 1990 n'a rien de normal. Nous faisons bien face à une menace terroriste, mais les gens s'y sont habitués et nos hommes aussi. Jusqu'à janvier, on était en droit de se dire que tous les militaires mobilisés sur Vigipirate prenaient moins au sérieux leur mission qu'une OpEx en Centrafrique, par exemple. Mais depuis, les hommes ont remonté leur niveau d'alerte à 100 % et ont totalement conscience des risques : c'est à eux qu'est confiée la mission non pas de prévoir, mais de répondre à tout attentat. » Pour le chef de bataillon, il y a, bien sûr, un avant et un après 7 janvier, « ne serait-ce qu'au niveau de l'équipement, vu que les gars sont en permanence protégés par un gilet pare-balles lourd ». Mais dans ces missions, l'armée n'est pas seule à assurer la sécurité des Français. Elle travaille en collaboration étroite avec les forces de police. « Face à cette menace terroriste, nos hommes travaillent en permanence avec les policiers. Lorsqu'ils mettent la main sur un colis suspect par exemple, ils préviennent la brigade des réseaux ferrés. C'est elle qui intervient ensuite afin d'évaluer la menace et d'installer un périmètre de sécurité plus large que celui mis en place par l'armée », conclut-il.

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En début d'après-midi, je rencontre l'unité mobile. Près de la gare d'Austerlitz, sous le métro aérien, les troupes se rassemblent afin de préparer leur mission. À bord de plusieurs Land Rover Defender estampillées « Mission Vigipirate », les militaires de cette unité du 13ème BCA sont chargés d'assurer la sécurité de certains lieux sensibles de la capitale. Ambassades, hautes administrations… Les jeeps de l'armée tournent de bâtisses en bâtisses.

Arrivés devant l'ambassade de Côte d'Ivoire, les militaires en tête du cortège sortent de leur véhicule. À bord du dernier se trouve un officier de police judiciaire chargé de représenter la loi en cas de problème ou d'éventuelle intervention. Alors que le convoi est immobilisé pour inspecter la rue, la conductrice d'une voiture bloquée se met à klaxonner. L'officier descend en trombe de sa jeep et sermonne la dame au volant : « Vous voyez pas qu'il y a une opération en cours, madame ? Donc vous arrêtez tout de suite de klaxonner. Merci ! »

Les militaires font le tour du pâté de maisons et vérifient qu'il n'y a rien de suspect sur, dans et sous les véhicules garés près du point sensible. Vérification faite, les hommes remontent dans leurs jeeps respectives et le convoi se met en branle. « Cela fait partie des tâches classiques d'une journée pendant le plan Vigipirate », explique le chef de section à la tête de cette mission pendant la petite pause que s'accordent ses hommes. Il manie sa feuille de route, sur laquelle un tracé rouge définit les lieux et points à sécuriser dans l'après-midi. « En moyenne, on arrive à sécuriser une fois et demi un lieu dans la même journée. On repasse parfois deux fois, parfois non, tout dépend de l'organisation. » Le manège reprend devant l'ambassade d'Algérie : blocage de la rue, descente des jeeps, inspection des alentours et départ pour le point suivant.

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Pour les hommes et femmes du 13ème bataillon de chasseurs alpins de Chambéry, cette tournée va durer toute la nuit, en tiers de huit heures. Les moteurs se mettent en route, à l'unisson, et les Land Rover repartent une nouvelle fois, dans un crissement de pneus.

Louis Witter est un jeune photojournaliste français. Il a notamment travaillé avec Le Figaro et le magazine marocain TelQuel. Retrouvez-le sur son site et sur Twitter.