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reportage

J’ai assisté à l’élection de Miss et Mister Senior

Quelque part en Belgique, un concours de danse voit s'affronter des personnes âgées bourrées.

Photos : Elio Germani

Le premier truc que j'ai senti en franchissant les marches vers le sous-sol, c'est une forte odeur d'alcool. Genre, très forte. Et j'ai vite compris pourquoi. Réunissez une centaine de personnes âgées dans une cave et faites-les manger et boire tous les alcools à disposition, sans restriction aucune. Puis, attendez deux bonnes heures. Lorsque je suis arrivée en début d'après-midi à l'élection de Miss et Mister Senior à Schaerbeek, une petite commune de la région bruxelloise, la journée ne faisait que commencer. Et tout le monde était ivre.

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Cette élection est organisée tous les ans depuis 1998. Pour faire simple, il s'agit d'un concours de talents où chaque personne âgée participante dispose de quelques minutes pour séduire le public, qui vote ensuite pour élire la plus belle mamie et le plus beau papy du coin. C'est un dénommé Jean-Pierre, ancien adjoint au maire de la commune, qui l'a créé il y a de cela 17 ans. « C'est moi qui ai eu l'idée de créer ce concours en 1998. Ça a tout de suite super bien marché », se vante à l'extérieur, une cigarette à la main. Ce vieux fumeur me raconte qu'une année, les seniors de Schaerbeek étaient tellement éméchés qu'ils ont décidé de faire une farandole sur les tables. « On avait peur qu'il y en ait un ou une qui tombe et se casse un truc. Ces gens sont complètement fous. »

De ce que je vois, dire de ces personnes âges qu'elles sont folles relève de l'exagération. Disons plutôt qu'elles s'amusent. D'autres sont à l'inverse assez sérieuses. Car ici, être élu Miss ou Mister senior est une position enviée. « Les vainqueurs doivent participer à tous les cortèges de la commune pendant un an, me confie Jean-Pierre. Certains se promènent dans la rue avec leur écharpe. Ils se croient presque plus importants que le maire. »

La compétition démarre au bout d'une heure. Il n'y a que cinq femmes et quatre messieurs en lice. Si l'événement est une tradition pour les seniors de Schaerbeek, beaucoup avouent que ce serait tout de même « assez honteux de se retrouver à faire le zouave sur scène ». Danielle, une blonde souriante dont les yeux tombent un peu, ouvre le bal. Elle entame un étonnant numéro d'effeuillage sur le morceau « Pour un flirt avec toi » de Michel Delpech. Devant des spectateurs médusés, elle retire une à une ses plus belles robes fleuries et tente des mimes à la fois triviaux et mystérieux, si mystérieux que personne ne semble les comprendre.

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Maryse a décidé de rejouer « Sister Act ». La voilà donc en habit de nonne, la tête et les bras entièrement recouverts de peinture noire. Les petits vieux n'ont pas l'air de trouver ça offensant.

Le public répond à cette injonction à la clameur par de nombreux « wou-hou » de circonstance, tandis que Danielle termine en haut pailleté et en culotte. Manifestement, on met la barre haute dès le début. Il faut dire que la candidate a vraiment envie de gagner, comme je l'apprends un peu plus tard dans l'après-midi, en discutant avec une de ses copines à la pause clope, qui tient à rester anonyme. « Je vais voter pour elle parce que c'est mon amie, mais bon. Elle se présente tous les ans et n'a jamais gagné, me dit-elle. Elle a déjà été quatre fois première dauphine. Danielle c'est un peu l'éternelle Poulidor. »

La deuxième concurrente a l'air également bien dessalée. Gino, le présentateur, est super emballé par son numéro et explique au micro que c'est la première fois que Maryse participe. Elle n'a que 64 ans, ce qui est, de l'avis des gens présents, un peu de la triche. Maryse a décidé de rejouer Sister Act et de simuler un gospel. La voilà donc en habit de nonne, la tête et les bras entièrement recouverts de peinture noire. Les petits vieux n'ont pas l'air de trouver ça offensant. On est pourtant dans un pays où tous les ans, on ressort la même polémique au sujet de la procession en l'honneur du Père Fouettard – et de sa consonance ouvertement raciste.

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Le showman Gino ressemble à la plupart des animateurs de maisons de retraite et de fêtes de village. C'est un mec ostensiblement sympa. Avant que les participants arrivent, il a passé une bonne vingtaine de minutes à chanter pour motiver les troupes. Ses chants étaient entrecoupés de questions à destination du public, hilare. « Est-ce que vous êtes chauds ? » La marée de cheveux gris lui répond en chœur. Ils sont en effet, chauds. Leur taux d'alcool dans le sang est élevé. Gino poursuit : « j'aimerais rendre un hommage à quelqu'un qu'on aimait tous beaucoup et qui nous a quittés il y a quelques jours », harangue-t-il. Puis il se met à chanter du Richard Anthony. Grosse ambiance au moment du classique « Ah, le petit vin blanc ». Les plus audacieux se lèvent et dansent entre les tables. Les autres font de l'air-accordéon.

Pendant ce moment dédié aux hommages, la participante Huguette en accorde un à Annie Cordy, fleuron de la musique populaire belge. La chanteuse – et actrice – est en effet née à quelques kilomètres de Schaerbeek, dans une commune nommée Laeken. Huguette termine donc en beauté avec le tube de la star des années 1970, « Tata Yoyo », en faisant onduler son boa de plumes rouges. Puis c'est au tour de Francelyne de débouler sur scène. Cette dernière est trop mignonne. Elle arbore une mise en plis et tient dans ses mains un ukulélé, puis se lance dans un play-back de « Bambino » de Dany Brillant. Elle sourit tout du long. Parfois, elle soulève sa jupe et l'on devine sa culotte. Enfin, la compétition féminine se termine avec Jeanneke, la tenante du titre, bien décidée à repartir cette année encore avec son écharpe de Miss. Elle a décidé d'imiter Elvis, en se servant du ukulélé de Francelyne en guise de guitare.

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Xavier s'est déguisé en agent de police et se lance dans un sketch humoristique. Malheureusement, on ne comprend pas tout ce qu'il dit. Je ne sais pas si c'est dû à l'âge, à l'alcool, ou à l'accent bruxellois.

Comme le « Mister » du concours l'indique, l'événement accueille également les hommes. Je vois donc défiler Raymond, qui joue du synthé. C'est objectivement moyen. Xavier, le gagnant de l'an passé, s'est quant à lui déguisé en agent de police et se lance dans un petit sketch humoristique. Malheureusement, on ne comprend pas tout ce qu'il dit. Je ne sais pas si c'est dû à l'âge, à l'alcool, ou à l'accent bruxellois.

Il y a également Jacques, qui se tient tant bien que mal sur sa béquille et chante « Frou-Frou » de Berthe Sylva. Son numéro serait un peu ennuyant s'il n'y avait pas son copain Tony qui avait décidé de danser derrière lui, déguisé en femme.

Le niveau remonte cependant avec Jean, sosie de l'animateur Pierre Bellemare qui, armé d'une canne à pommeau et de sa moustache frémissante, danse du mieux qu'il peut sur « Born to Be Alive » de Patrick Hernandez. Je suis sincèrement touchée. Mes yeux sont embués. Entre deux chansons entonnées par Gino, je vérifie la définition de gérontophilie. J'applaudis aussi fort que le public. Je suis triste que ce soit déjà fini.

Avant l'annonce des résultats, Tony revient sur scène pour un numéro spécial. Il ne peut pas se présenter car il a déjà gagné de trop nombreuses fois le titre. Il est désormais Mister senior d'honneur. Ce petit homme, qui n'est autre que le mari d'Huguette, est formidable. Il sourit tout le temps. Vêtu d'un tutu, il imite une ballerine. Il tente des mouvements très audacieux pour son âge, comme toucher ses genoux avec ses mains. L'assistance est impressionnée.

Puis, sentence terrible, les résultats tombent. Les seniors en plein travail de digestion commencent à s'impatienter. On voit qu'ils fatiguent. On appelle d'abord la deuxième dauphine, Mamie Francelyne, qui est toute contente. Danielle finit encore une fois deuxième, malgré son strip-tease. Je suis un peu triste pour elle. À la pause juste avant, elle m'a dit que ce concours, « c'est trois minutes de bonheur sur scène puis deux minutes de pleurs ». C'est Maryse et son remake de Sister Act qui a été élue. L'adjoint au maire lui remet donc son écharpe, en se mettant un peu de noir sur le costume par la même occasion. Du côté des messieurs, je n'ai pas suivi le classement définitif, mais c'est Jean « Born to Be Alive » qui remporte le titre de Mister Senior, à presque 85 ans. Il nargue la foule. Les organisateurs embrassent les gagnants.

Je regarde autour de moi et cherche Jeanneke des yeux. Impossible de la retrouver. Un homme assis à mes côtés me dit que, furieuse d'avoir perdu son titre, celle-ci est déjà partie.

Marie est sur Twitter.