Illustrations : Mai Ly Degnan
Illustrations : Mai Ly Degnan

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Petites ruptures entre amis

Pédophilie, évangélisme ou mythomanie pathologique : des gens nous ont expliqué pourquoi ils avaient rompu avec leurs meilleurs amis.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Les ruptures ne sont pas propres aux relations amoureuses. Les merdes peuvent arriver à tout le monde – les gens vieillissent, et au fil du temps, les bracelets d'amitié se brisent aussi. Ces ruptures platoniques sont légitimement douloureuses et peuvent nous hanter pendant des années. Parfois, nous tirons des leçons de ces expériences, parfois elles nous donnent juste envie de nous allonger par terre et d'attendre la mort. On a demandé à plusieurs personnes de nous détailler les conséquences de ruptures amicales particulièrement brutales – en voici quelques exemples.

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« Nous étions meilleures amies depuis nos quatre ans. Nous avons cessé de nous fréquenter à l'adolescence, quand j'ai découvert qu'elle se tapait le père d'une amie à nous depuis deux ans. Il avait plus de 50 ans, et ils se voyaient depuis qu'elle en avait 12 ou 13. Le mec était répugnant ! Il travaillait dans une usine de stylos et fumait environ 40 clopes par jour – en plus, ses dents étaient pourries et il se fringuait comme s'il était coincé dans les années 1980. Je crois même qu'il avait un mulet. C'était un pauvre type. Ma meilleure amie se barrait tout le temps en douce pour aller le voir. Elle m'avait menti en disant qu'elle avait rencontré quelqu'un sur Internet – et elle racontait à qui voulait l'entendre ses soi-disant ébats à l'arrière de sa caisse.

J'ai su qu'elle baisait avec le père d'une de nos copines et pas avec un mec lambda rencontré sur un chat après qu'elle en ait parlé à une amie à nous, qui sortait avec le fils du mec en question. À l'époque, j'étais réceptionniste dans un hôtel merdique. Un jour, ce pédophile m'a attendue devant le boulot et a proposé de me ramener chez moi. Il a essayé de me faire croire qu'ils ne couchaient pas ensemble – qu'ils étaient juste amis. Bien sûr, c'était des conneries.

J'ai ensuite appris que la femme du type avait découvert le pot aux roses et avait menacé de le tuer. Toute la ville a appris la nouvelle et il a perdu son boulot. Ils ont divorcé. Tout le monde pensait que je savais tout depuis le début, puisque j'étais sa meilleure amie. C'était horrible.

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C'est elle qui a mis fin à notre amitié. J'étais dévastée. Je la considérais comme ma sœur. Quand j'ai reçu sa lettre, je l'ai déchirée devant elle en la traitant de salope. Elle n'a pas bronché. Après ça, je l'ai croisée plusieurs fois dans la rue, mais elle faisait mine de ne pas me voir. Quand j'y repense, je me dis que j'aurais dû appeler les flics pour qu'ils coffrent ce sale type. Connard de pédophile. » — L « Notre amitié s'est terminée il y a quelques années, le soir des Tony Awards, quand Audra McDonald a remporté son sixième prix d'affilée. Je le connaissais depuis plusieurs années et nous étions très proches. Son mec était très sympa, et nous regardions l'émission tous les trois. Ils voulaient qu'on se taise pendant l'émission, mais on discutait pendant les pubs.

Celui dont j'étais le plus proche avait un optimisme inébranlable – selon lui, toutes les performances musicales étaient « incroyables ». Ils me reprochaient tous les deux d'être trop critique, et d'appeler à la discrimination raciale pendant l'émission. Ils s'étaient fâchés parce que j'avais fait des commentaires sur les stéréotypes raciaux dans les émissions de musique et sur le manque général de personnes de couleur. Je crois qu'en tant que gays, ils avaient pas mal souffert, et le fait que je raconte des conneries sur ces performances racialisées n'a pas aidé les choses.

Ce qui m'a tué, c'est quand son petit copain m'a dit « Tu parles de race comme mes parents ». Ils viennent du sud et ils étaient mal à l'aise à l'idée de parler de racisme, à tel point que même lorsque je prenais parti contre le racisme, ils me comparaient à leur putain de parents racistes. Ils voulaient ignorer le racisme ou être « post-raciaux ». Deux blancs homonormatifs qui me traitaient de raciste pour avoir critiqué les Tony Awards. J'étais vraiment énervé. Nous avions bu beaucoup de punch et les choses ont dégénéré.

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Je me suis sauvé de chez eux 20 minutes après, mais j'avais oublié mon sac, et j'ai dû y retourner. C'était vraiment gênant. Je me souviens être resté sur leur palier et leur avoir lancé un « À bientôt ? ». On ne s'est plus jamais parlé depuis. » — S

« J'avais un ami très excentrique. C'était l'une des personnes les plus avenantes et les plus intelligentes que je connaissais. Nous nous sommes rapprochés lorsque nous avons étudié à l'étranger, à Paris. Je pensais le connaître comme ma poche. Je suis même allé chez lui pour Noël.

Petit à petit, il est devenu évident qu'il vivait plusieurs vies. Nous avions un groupe d'amis, et apparemment, il se comportait différemment avec chacun d'entre nous. Par exemple, il avait une copine dont il ne nous parlait jamais, tout comme il ne parlait jamais de nous à sa copine.

Quand mes amis me parlaient de lui, on aurait dit qu'ils décrivaient une autre personne. Il endossait une personnalité différente avec chacun de ses potes, et je ne sais pas ce qu'il tirait de tout cela.

Après notre retour de l'étranger, il a envoyé un mail à tout le groupe, pour nous annoncer que nos trois ans d'amitié n'étaient que mensonges et qu'il ne voulait plus que nous le contactions. Voici un extrait du mail, qui avait pour objet Merci de ne pas répondre.

Il y a quelque chose que vous devez tous savoir. Quand nous étions tous ensemble à Paris, vous avez connu une fausse version de moi. Toute ma vie est un mensonge. J'ai arrêté de vous parler parce que je dois prendre mes distances. Personne ne mérite de vivre ainsi. Ce n'est pas bien. Lisez ce mail, puis oubliez-moi. Vous ne m'avez jamais vraiment connu de toute façon.

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Je ne l'ai plus jamais revu après ça, mais en faisant quelques recherches j'ai appris qu'il vivait avec sa copine étrangère dans le Midwest. Je le sais parce qu'il s'est fait arrêter lors d'une manifestation avec le mouvement Black Lives Matter l'année dernière. » — K

« À la fac, je suis très vite devenue amie avec ma colocataire. Elle était chrétienne évangélique, j'étais athée, mais cela ne nous a pas empêché de nous trouver des points communs et de devenir inséparables.

Un jour, j'étais déprimée. Elle est rentrée à la maison et m'a fait un câlin. J'ai commencé à pleurer et elle a dit qu'elle prierait pour moi. Je suis sortie de mes gonds en lui balançant qu'elle était trop intelligente pour croire à « ces conneries » (ce sont mes termes exacts).

Je ne l'ai pas revue jusqu'à son mariage, mais il était trop tard pour arranger les choses. Nous avons toutes les deux beaucoup pleuré en nous voyant, mais le mal était fait. » — R « C'était mon meilleur ami et nous vivions ensemble dans une résidence universitaire. Puis il a décidé que nous n'étions plus amis, et m'a fait vivre un enfer parce qu'il n'arrivait pas à passer à autre chose. Je n'avais plus le droit de mettre mes affaires sur ses étagères, et il a mis toutes ses ustensiles de cuisine de son côté de la chambre. Je devais donc acheter les miens. J'ai commencé à ranger mes shampoings sur le sol de la salle de bains, rien que pour l'agacer.

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Ensuite, il a commencé à faire des trucs de plus en plus débiles – comme mettre des boules Quiès et programmer son réveil à 3 h 30 du matin, puis le laisser sonner jusqu'à ce que je me lève et l'éteigne. Il a aussi jeté toutes mes capotes. Il m'a supprimé de son portable et de Facebook. Il s'est mis à écrire des posts Tumblr passifs-agressifs.

Comme il ne voulait plus communiquer avec moi, il mettait des chansons pour me dire ce qu'il ressentait, souvent Mumford & Sons ou Avett Brothers. Il a rendu notre espace de vie (qui était un studio, sans chambres séparées) aussi insupportable que possible pour que ce soit bien clair : notre amitié était terminée. » — B « Ça a commencé de façon classique : elle a arrêté de liker tout ce que je postais sur Facebook. Elle a mis des semaines à répondre à mes appels. Les cartes d'anniversaire ont laissé place aux textos d'anniversaire. Ensuite, il y a eu ce voyage d'affaires dans ma ville où elle « aurait peut-être le temps de passer boire un café ». J'ai su que quelque chose n'allait vraiment pas quand elle m'a laissé 20 € en remerciement après avoir créché chez moi parce que « les hôtels étaient trop chers ». Soit elle pensait vraiment que quatre jours sur mon canapé ne valaient que 20 €, soit c'était une mauvaise blague. Encore aujourd'hui, je ne sais pas.

Notre rupture n'a pas été verbalisée. Elle a disparu de ma vie sans explication, avant de réapparaître six mois plus tard sur Facebook, dans une robe blanche, un bouquet à la main, un nouveau mari à ses côtés et je-ne-sais-qui en guise de demoiselle d'honneur. » — M

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« À 20 ans, j'ai vécu ma première rupture sérieuse avec ma première copine sérieuse. J'étais dans un état déplorable, et je me suis rapproché d'un gars que j'avais rencontré à la fac. Il venait de vivre la même chose, nous avons donc réparé nos cœurs brisés avec de la marijuana, notre amour commun de l'écriture, et probablement une tension homo-érotique palpable (je plaisante).

Il m'a raconté sa rupture, et je lui ai tout raconté sur mon ex. Je l'ai même emmené avec moi quand j'ai revu mon ex. En partant, il m'a avoué qu'il la trouvait « charmante » et qu'il comprenait pourquoi j'avais aussi mal vécu la rupture.

Nous avons eu notre première embrouille après être devenu meilleurs potes. J'écrivais mon premier article professionnel et il m'a donné quelques conseils judicieux. Après quoi, il a réclamé la moitié de ma paye. Quand j'ai dit non, il a rigolé et balancé devant tout un groupe d'amis : « Ce n'est pas comme si VICE allait t'embaucher, de toute façon ».

Quelques mois plus tard, j'ai découvert qu'il sortait avec mon ex – celle que je lui avais présentée. Nous avons réglé cela de manière assez immature. En tout cas, notre amitié était belle et bien enterrée. D'après ce qu'on m'a dit, il vivrait désormais en Espagne avec elle. Je n'en suis pas sûr, je ne leur ai pas parlé depuis 976 jours. Pendant ce temps-là, je tape cet article dans les nouveaux bureaux de VICE. Je ne sais pas trop qui a gagné, finalement. » — Q

Tous les noms ont été changés.Retrouvez Zach sur Twitter et les illustrations deMai Ly Degnan sur son site.