FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO FICTION 2012

La faim sur papier

Tout le monde sait (surtout vos parents) que si vous devenez écrivain, vous connaîtrez la faim, assis toute la journée dans une position qui coupera la circulation du sang dans vos jambes.

Illustration : Roope Eronen

Tout le monde sait (surtout vos parents) que si vous devenez écrivain, vous connaîtrez la faim, assis toute la journée dans une position qui coupera la circulation du sang dans vos jambes. Vous vous direz probablement « j’ai un peu faim, là », mais ces considérations seront vite écartées de peur qu’elles n’entachent votre sacro-saint processus créatif. Cette sensation de faim a donné naissance à de nombreux passages célèbres de la littérature, qui ne sont probablement que le résultat des hallucinations liées au vide de l’estomac d’écrivains scotchés à leur bureau. Pensez aux madeleines de Proust ou à la façon dont Portnoy, dans Portnoy et son Complexe de Philip Roth, se masturbe avec une tranche de foie de veau. Tout ça pour dire que, quand on mélange littérature d’avant-garde et grosse fringale, on obtient des résultats assez intéressants. Les exemples sont légion, mais voici mes favoris. LA CUISINE CANNIBALE DE ROLAND TOPOR
Topor a écrit et illustré ce livre de cuisine humoristique en 1970. Il est rempli de conseils amusants, tels que « on peut faire de délicieux pâtés avec ceux qui tachent leur cravate ». Mais le conseil le plus utile concerne les personnes de petite taille : « Mettez vos restes de nain dans une marmite pleine d’eau bouillante. Vous salez et laissez mijoter trois heures environ. Si votre nain est vraiment petit, vous y suppléerez en ajoutant deux pommes de terre. » Un vrai délice. À REBOURS DE JORIS-KARL HUYSMANS
Dans ce livre, un dandy esthète un peu excentrique se livre à des expériences culinaires dont le point culminant est atteint quand le personnage principal décide de s’introduire la nourriture par la sortie, c’est-à-dire droit dans le fion. Il a l’air de bien aimer : « Quelle économie de temps, quelle radicale délivrance de l’aversion qu’inspire aux gens sans appétit, la viande ! quel définitif débarras de la lassitude qui découle toujours du choix forcément restreint des mets ! » Imaginez s’il avait connu l’ecstasy. HISTOIRE DE L’ŒIL DE GEORGES BATAILLE
Ce roman de 1928 décrit les expérimentations de deux jeunes adolescents pervers, et, niveau cuisine, ce livre franchit quelques limites. Le passage en question : « Simone demanda à Sir Edmond les couilles du premier taureau. Mais elle avait une exigence, elle les voulait crues. “Mais, dit Sir Edmond, qu’allez-vous faire de couilles crues ? Vous n’allez pas les manger crues ? - Je les veux, devant moi, dans une assiette”, dit-elle. » Quelques instants plus tard, dans un de ces rares moments de littérature qui file la dalle et la gaule, Simone prend les deux testicules, en met un dans la bouche, et l’autre, droit dans sa schneck. Le premier micro-ondes de l’histoire.