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Music

Un rencard avec Shay

À l'occasion de la sortie du premier album de la rappeuse belge, « Jolie garce », le plus filou de nos contributeurs a tenu à la rencontrer. Voilà le résultat.

Après nous avoir accordé sa toute première interview en 2014, il était bien normal qu'on remette le couvert avec l'atout féminin du 92i pour la sortie de son premier album Jolie Garce. On va zapper les phrases infernales style : « Mystérieuse et envoûtante, Shay pourrait déclencher une guerre avec un regard et établir la paix dans le monde avec un seul sourire », mais le cœur y est. La jeune artiste belge nous offre d'abord une poignée de main glaciale, des premières réponses désinvoltes, mais dès qu'elle sort un peu de sa carapace, on découvre une femme qui a la tête sur les épaules et qui s'avère en réalité plutôt marrante. Avec elle, on a discuté musique, image, évolution, regard sur le rap féminin et le biz en général, puis comme ça s'est bien passé, on a fini par un questionnaire spécial dalleux, après quoi ça a pris une tournure complètement imprévue et ça s'est terminé sur un happy end.

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Noisey : Tu as toujours baigné dans la musique ?
Shay : Mon grand-père était chanteur [Shay est la petite-fille de Tabu Ley Rochereau], il nous a éduqués comme ça. Nos cadeaux d'anniversaire c'était des radios-K7 pour s'enregistrer, tout tournait toujours autour de la musique. Mais l'idée d'une carrière est venue que quand Booba m'a appelée. La première fois où je suis rentré dans un studio, c'était pour le feat avec lui. J'avais pas d'expérience « pro » : le morceau qu'il avait écouté, je l'avais fait chez moi. Pour enchaîner les morceaux, il fallait que je me familiarise avec le studio et que je trouve mon identité musicale. J'aurais aimé être prête au moment où il est venu me chercher, mais c'était pas encore le cas.

Tu a préféré peaufiner de ton côté quitte à laisser retomber un peu le buzz.
Pendant tout ce temps, je bossais. Je me devais d'être contente de mon travail avant de le proposer au public. Sortir plein de sons et me dire deux ans après « c'est cheum », pas la peine. Je faisais des morceaux toute seule et je voulais les sortir d'ailleurs, juste après « Cruella », mais Booba me disait d'attendre. Aujourd'hui je comprends pourquoi.

Il t'a empêché de te foutre la honte ou il y en a que tu veux toujours sortir ?
Aucun. Y'en a des biens, mais je tâtonnais encore. Mon évolution est venue avec les instrus. Pendant des années on me proposait que de la trap, des instrus vraiment vénères. Un jour, en rencontrant Heezy Lee, le beatmaker de « PMW », ça a changé. Il me proposait des instrus très éloignés de mes habitudes. Parfois carrément R'n'B… « arènebi », ouais ? [en fait Shay est très à l'aise en anglais mais ici elle a essayé de parler de façon à ce qu'un Français lambda comprenne, ce qui est à la fois gentil et involontairement comique].

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En France on prononce à l'anglaise mais avec un accent de merde.
Ok. Donc j'adaptais mon flow selon les prods. J'ai évolué naturellement avec la musique, morceau après morceau.

Il y a aussi ton attitude. On a découvert ton sourire il y a à peine quelques mois.
Hmm… [Elle met sa main devant la bouche, détourne la tête et rigole]

En influences, tu citais la Drill, Rick Ross, Jeezy ; depuis tu t'es diversifiée.
Là c'est l'electro, deep house et indie pop. Plus varié qu'avant, c'est clair. Ce sont les musiques qui me parlent le plus. Et j'ai pas envie de reproduire le flow des autres rappeurs, même inconsciemment. J'écoute surtout des musiques qui n'ont rien à voir avec ce que je fais. Par exemple, j'aime beaucoup SBTRKT, tu connais ?

Je vois tellement pas de quoi tu parles.
Ah, tu connais pas du tout… Ouais, bref. Ça sert à rien que je t'embête avec ça.

En français tu citais Booba & Kaaris… Bon, disons Booba & Gradur pour des raisons de diplomatie. Et aujourd'hui ?
Hors Booba ?

Hors 92i, sinon c'est de la triche.
Oooh, putain… [Rires]. Hmm… Jul et PNL.

C'est marrant parce que « PMW » a un côté Jul, je me demandais comment tu prendrais la comparaison.
C'est pas une merde, Jul ! C'est bien ce qu'il fait, je kiffe. Aucun problème si on m'assimile à lui. Je préfère qu'on me rapproche de lui plutôt que de quelqu'un que je valide pas.

Sur les réseaux sociaux, tu désamorces les attaques les plus dures en rigolant, tu as du recul là-dessus ?
J'ai un total recul sur le net. Je prends pas ça à cœur parce que je pense que ceux qui écrivent ne mettent pas non plus leur cœur dedans. Si j'étais une anonyme sur Twitter, je serais pire qu'eux ! Toi ou moi, devant la télé on est pires que les internautes : « regarde comment il est habillé », « vas-y lui c'est une merde »… ça sort naturellement, tu peux pas leur en vouloir. Le lendemain t'y penses plus. Les artistes ont tort de prendre ça à cœur. Ok, y'a des fous… [Elle grimace et gémit avec une voix déformée] Eux ils ont un problème, mais sinon, c'est rien.

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Ton style est ultra normal quand on connaît le rap ou le RnB américain mais ton créneau reste un peu en décalage avec la France, t'en as conscience ?
Ah ouais ? Tu veux dire que le public d'ici a pas l'habitude qu'une meuf fasse beaucoup d'egotrip ?

Pas seulement, le mélange rap-pop-r'n'b est pas courant ici : les chanteuses tendent vers la variété et les rappeuses restent classiques.
En fait je te pose la question parce que j'ai découvert le rap français avec Autopsie 4. Je savais pas que ça se faisait pas ici, sérieux.

Certains ont du mal à faire la différence musique/réalité, des gens étaient choqués que tu sois timide au naturel.
D'un côté j'essaie de rester vraie dans ma musique, d'y mettre ma personnalité. L'anecdote des mecs que j'ai rencontrés qui ont fait une vidéo avec moi, ils m'ont interpellée pour me dire qu'ils kiffent ce que je fais. Ça me touche, de savoir que des gens me suivent et m'apprécient. Je reste humaine, et c'est vrai que je suis timide. C'est pas avec des gens du public que je vais montrer certaines facettes de ma personnalité. Je me sens redevable. Les gens qui ont découvert que j'étais timide avec cette petite vidéo, bah ouais c'est vrai, je suis comme ça. Si t'es un fan, que tu viens me dire que tu kiffes et tout, même après les shows je suis comme ça, toute timide ! C'est la réalité. Je vais pas me lâcher avec des fans comme dans mon quotidien.

« Une chose que je saurai jamais faire, c'est surrender », « pour y arriver, c'est pire qu'un champ de mines au Koweit ». La détermination c'est le fil rouge de l'album.
Ah ouais. J'aurais pu faire les choses différemment, mais j'avais une idée en tête. Mais j'ai galéré, vraiment. Comme t'as dit, y'a eu ce moment où j'étais toute seule, je sortais rien, et faut savoir que des maisons de disque que je validais pas forcément niveau état d'esprit ou méthode de travail, venaient me voir pour me signer. J'avais rien, pas d'argent, mais je voulais pas aller avec eux. J'ai jamais revu mes objectifs à la baisse.

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Tu as relancé un truc qui s'était un peu perdu : l'egotrip sexy.
Ah ouais ? Dans « La Go », c'est normal. Je m'adresse à un mec en particulier et mon discours c'est : y'a pas mieux que moi. Mais je le dis uniquement à ce mec… Franchement si ça revient souvent, j'en ai pas conscience. Mais je veux que les meufs se reconnaissent, et qu'elles aussi se disent « je suis plus fraîche que toi ». Qu'on avance toutes ensemble.

Un peu hypocrite pour les moches, mais ça passe.
Mais naaan… En vrai c'est un délire de…

D'estime de soi et de motivation qui peut parler à tout le monde, je capte t'inquiète.
Voilà. Tout à l'heure on m'a demandé qui je voyais dans le concept « Jolie garce », pour moi Oprah Winfrey elle y est : une femme forte et puissante. C'est une question de confiance en soi, comme tu dis.

Tu réponds aussi à tes détracteurs : « leur défaite sera ma victoire ». Ça rappelle l'expression « la plus belle des revanches est la réussite ».
Exactement. Quand je parle comme ça, je m'adresse pas aux rageux anonymes. Je pense plus à des gens du milieu.

Certains t'ont vraiment fait des crasses ?
Oui. C'est trop facile de dire « c'est parce que je suis une meuf », peut-être qu'ils ne m'aimaient pas en tant que personne ou en tant que musicienne. Mais y'a des gens quand même, ils ont été très durs. C'était pas justifié. Un an après ils te demandent en feat. C'est eux qui me font rire et cette phrase est pour eux.

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On va maintenant passer au questionnaire dalleux.
Hmm…

Tu as dit « Les rappeuses US hésitent pas à parler de leur chatte, moi c'est quelque chose que je suis incapable de faire ». T'as pas l'impression de passer à côté d'un sujet essentiel ?
Non…

Sûr ?
Non. Mais c'est quoi ces conneries encore ! C'est quoi ce genre de question ? [Rires]

« Parfois je pense à mon ex, est-ce que je l'aime encore ? », « va dire à mon ex : il a raté », sans parler de la phrase où tu souhaites qu'il lui arrive un truc de sorcellerie.
Ouais.

Les ruptures en bons termes, c'est pas ton genre apparemment.
Peut-être qu'après ce sera différent, je peux pas dire que je serai à vie comme ça, mais quand je suis avec quelqu'un, j'ai besoin de tirer la personne vers le haut, de faire plein de choses. Et si on n'est pas sur la même longueur d'onde, quand ça se termine… hé frère, je regrette ! [Rires] Je regrette à mort ! Je me suis battue pour rien ! Tu vois ou pas ? Tu méritais pas !

« Tu veux connaître mon fantasme : baiser 2-3 huissiers», en fait j'ai passé le concours récemment…
D'huissier ?!

Ouais, alors je suis pas encore assermenté mais ..
[Elle se retient de rire et regarde la place vide qu'occupait sa copine jusque là]

Elle est partie, j'aurais pas posé la question sinon !
[Rires] Tsss… En fait quand je parlais de baiser c'était dans le sens « niquer ta race ». Du coup, ça je peux le faire si tu veux. Si ça t'amuse.

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Lil Kim a dit un jour qu'elle se foutait que des obsédés se branlent sur ses clips, et que c'était limite flatteur. T'en penses quoi toi ?
Flatteur ? Non, j'irais pas jusqu'à dire ça. S'ils veulent se faire plaisir, ça les regarde, c'est leur problème. [Elle prend un air blasé et soupire]

Tu rappes « bientôt pour moi baiser sera inutile »…
« Baiser » ? Nooooon, j'ai jamais dit ça.

C'est dans « Catch Up ».
Non, t'es malade ! Je dis « buzzer », pas « baiser ».

Ok, je suis rassuré.
Pff, faut bien écouter les paroles, attention…

Le mec de la promo m'a dit « on va faire l'interview dans un hôtel, nos locaux ne sont pas assez classes ». T'as des goûts de luxe ? Parce que moi, j'ai juste un Navigo.
Non, j'ai pas demandé ça. Je suis pas une meuf qui… enfin c'est des goûts perso, mais je vais pas forcer les gens à faire tout et n'importe quoi juste pour moi. Je suis simple. J'ai une famille qui n'est pas riche, ce serait les dénigrer de me comporter comme ça. Je roule pas sur l'or non plus, tu vois. Après oui, j'aime bien le luxe, mais je pense qu'on devrait tous y avoir droit. Si tu t'aimes, t'aimes le luxe.

« Il est tout le temps dans mes DM, appel tous les quarts d'heure », si je promets de t'appeler juste une fois par jour, ça passe ?
Non, parce que même si tu m'appelles, tu m'auras pas au téléphone, donc tu pourras pas me tchatcher.

Ça se tient. Dernière question : c'est quoi ton numéro ?
[Elle freeze avant d'éclater de rire]. Euh… on va dire 118 218. Elle est finie l'interview là ?

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Malheureusement.
Tu sais que je sais qui t'es ?

Je sais que tu sais, oui.
Tu m'as piquée dans une émission, t'as dit des trucs sur moi un peu. Dans l'Abcdr là.

Oui, c'était l'émission avec Rohff. Dans ma chronique je parlais des rappeurs qui retweetent en masse les compliments qu'ils reçoivent quand ils ont zéro actu, en précisant que si le rappeur est une rappeuse, elle pourra se contenter de poster des photos. Et après un mec du public a crié « Shay » et j'ai rebondi en disant que j'attendais ta sextape, mais aussi ton album. Je me suis dit que t'aurais capté le côté ironique.
Ouais bien sûr, mais c'était chaud quand même de dire ça.

Ça t'a blessé ? C'était pas du tout le but.
Non mais c'est pas grave, sinon je l'aurais jamais retweeté. Parce que moi j'aimais bien tes chroniques sur l'Abcdr et tout, mais…

Après ça, c'était fini.
Non, j'aimais toujours bien après, mais j'ai trouvé que c'était abusé. Un internaute je m'en fous, mais toi, t'es un média, c'est comme si tu cautionnais tous ces commentaires. Du coup les gens se disent « ok elle est bonne qu'à ça », alors que je suis une artiste, j'essaie de faire mon truc, c'est compliqué tu vois.

J'ai aussi dit que j'attendais ton album. Je capte ton point de vue mais avec cette phrase, c'est plus moi qui passe pour un pervers que toi pour une fille sale, c'est ambiance gros dalleux quoi. Tu vois ?
Oui, tranquille. Je voulais juste en parler avec toi.

J'aurais pas fait « le questionnaire du dalleux » sans parler musique avant.
Je comprends, mais bon, vivement la prochaine interview, avec un vrai professionnel, enfin ! [ Rires]

Yérim dit un grand merci à Shay pour sa patience. Il est sur Twitter.