Comment André-Pierre Gignac a conquis le Mexique

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Le Tigre

Comment André-Pierre Gignac a conquis le Mexique

« Dédé » a quitté la Ligue 1 pour rejoindre les Tigres de Monterrey en 2015. Un exil payant pour sa carrière, mais aussi pour son nouveau club.

Depuis le premier championnat d'Europe en 1960, il n'est jamais arrivé que l'issue d'une finale dépende d'un buteur évoluant en club sur un autre continent. Les joueurs d'élite capables de faire la différence à un tel niveau ne quittent tout simplement pas l'Europe pendant leurs belles années. Sauf s'il s'appelle André-Pierre Gignac.

Ayant déjà remporté une fois le championnat du Mexique, la Liga MX, avec les Tigres, l'attaquant originaire de Martigues était à deux doigts d'entrer dans l'histoire. La finale de l'Euro 2016 stagnait toujours sur le score de 0-0 à la dernière minute du temps réglementaire lorsque Gignac s'est arraché pour glisser un ballon sous le gardien portugais, pour le voir renvoyé par le poteau.

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Gignac n'était alors sur le terrain que depuis 12 minutes, et si son tir avait fait mouche, il serait resté dans les mémoires comme le héros inattendu de la France. Au lieu de cela, le Portugal, sans Cristiano Ronaldo, a remporté le match après prolongation.

« Si la balle était entrée, les yeux du monde entier auraient été rivés sur lui », estime Samuel Reyes, le leader de Libres y Lokos, groupe de supporters hardcore des Tigres. « Quoi qu'il en soit », ajoute-t-il, la présence de Gignac est « un très bon moyen de mettre en valeur notre club aux yeux du reste du monde. »

Loin d'être découragé par cette opportunité manquée avec les Bleus, Gignac est retourné à la chaleur sèche et désertique de Monterrey, la troisième plus grosse ville du Mexique, où il a conforté son statut de légende des Tigres en remportant son deuxième championnat le jour de Noël. Gignac est sans doute la superstar la plus improbable de toute la longue histoire de la Liga MX.

Entouré de spectaculaires sommets, cette métropole vaste et polluée était loin d'être la seule option de Gignac lorsque son contrat à Marseille a touché à sa fin à l'été de 2015. Beaucoup de clubs s'intéressaient à l'attaquant trapu qui avait marqué 21 buts en Ligue 1 cette saison-là, soit deux de plus que Zlatan au Paris Saint-Germain.

Contre toute attente, Gignac a choisi de rejoindre les Tigres dans leur défi de devenir le premier club mexicain à gagner la compétition la plus prestigieuse d'Amérique Latine, la Copa Libertadores.

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« Je suis venu pour gagner le championnat et la Copa Libertadores », a annoncé Gignac lors de son arrivée, avant de marquer lors de son premier match, à l'occasion de la victoire de son équipe, en demi-finale de la Copa, contre les Brésiliens de l'Internacional. Finalement, les Tigres ont perdu en finale contre River Plate, mais Gignac a respecté la première partie de sa promesse en marquant des buts décisifs lors des finales du championnat en 2015 et 2016, respectivement contre les Pumas et l'America.

Si l'ambition des Tigres était l'une de ses motivations, le salaire qui lui a été proposé, associé au coût relativement peu cher de la vie au Mexique, ont sans doute achevé de le convaincre.

Son contrat, publié par Football Leaks l'année dernière, fait état d'un salaire annuel d'un million d'euros net. Cependant, les Tigres ont précisé à VICE Sports que le document, qui ne révèle pas le montant de la prime à la signature et des bonus, « ne mentionnait pas les chiffres exacts. » Les médias locaux estiment son salaire autour de 4 millions d'euros par an, soit plus que n'importe quel joueur évoluant au Mexique.

La décision de Gignac a tout d'abord fait sourire dans son pays natal. « Au début les gens ne comprenaient pas, explique Thomas Goubin, journaliste français qui couvre le football mexicain. Ils ne connaissaient ni les Tigres ni le championnat mexicain. Ils croyaient que c'était juste un moyen de se faire beaucoup d'argent tout en se la coulant douce en jouant à un rythme plus tranquille, presque comme un départ à la retraite. »

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Même si de temps en temps on le surprend à gambader lourdement sur le terrain comme s'il avait un peu forcé sur les tacos (les supporters adverses en France se moquaient régulièrement de sa bedaine en chantant « Un Big Mac pour Gignac »), Gignac n'avait que 29 ans lorsqu'il est arrivé. Il était bien plus jeune que toutes les stars qui viennent finir leur carrière outre-Atlantique. Jouissant encore d'un beau toucher de balle, d'une puissance dans les airs et d'un bel instinct de buteur, il a donné tort à ses détracteurs en marquant 44 buts lors de ses 18 premiers mois chez les Tigres, dont plusieurs retournées acrobatiques et des tirs de loin que beaucoup n'auraient jamais tenté.

Surnommé « El Bombon » dans la région pour son charme brut, il est le joueur le plus acclamé lorsque les formations sont annoncées au rustique Estadio Universitario des Tigres. Les supporters l'appellent « el mas guapo » et « el mas chingon » – « le plus beau » et « celui qui déchire le plus » – tandis que les vendeurs autour du stade révèlent que les maillots à son nom sont de loin les plus populaires.

« C'est très important, autant pour les Tigres que pour le football mexicain qu'un joueur de la classe d'André-Pierre vienne jouer en Amérique alors qu'il a encore l'opportunité de jouer en Europe, a déclaré à VICE Guido Pizarro, le coéquipier argentin de Gignac, à la sortie d'un entraînement récent. Ce qui m'a le plus impressionné lorsqu'il est arrivé, c'est son humilité. Il venait d'un championnat très important, mais il a su s'adapter et il donne tout pour l'équipe. »

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Passer de l'Europe au Mexique apparaît comme un énorme choc de culture mais Pizarro insiste sur le fait que Gignac a tout fait pour que la transition soit aussi douce que possible. « Il s'est très bien adapté à la vie au Mexique. On se retrouve souvent avec nos familles. En fait, on s'entend aussi bien sur le terrain qu'en dehors, confie Pizarro. Il est toujours enthousiaste et est heureux de vivre ici. On l'appelle medio loco (à moitié fou) parce qu'il est toujours en train de plaisanter ou de se battre avec les gars pour rigoler ».

Les réseaux sociaux laissent deviner un aperçu du côté plus rock de Gignac. Peu avant la finale de la saison dernière, il a posté des vidéos de lui sur Instagram en train de tirer au pistolet et au fusil dans un stand de tir. Quelques jours plus tard, il a été filmé en train de faire la fête dans une boîte de nuit à Cancun avec un supporter du Monterrey CF tellement inspiré par leur rencontre qu'il a, dans son ivresse, annoncé qu'il allait désormais supporter les Tigres. Une autre vidéo montre Gignac et l'un de ses frères en train de sauter dans la piscine depuis le toit de sa maison.

Ce n'est sans doute donc pas une surprise que Gignac ait développé une relation privilégiée avec les 3 000 Libres y Lokos, dont le nom signifie « Libres et fous ».

« Je n'avais jamais connu autant d'enthousiasme pour l'arrivée d'un joueur avant. Je me rappelle que le jour où il est arrivé à l'aéroport, il y avait des milliers de personnes qui l'attendaient. On éprouvait une étrange sensation de confiance et d'excitation, explique Reyes qui a cofondé le groupe de supporters en 1998. Il a toujours été très aimable et ouvert avec nous, comme s'il était un supporter de l'équipe. Il s'est même joint à nous une fois pour faire un match. Ce n'est pas quelque chose qui arrive souvent, surtout pour une star internationale. »

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Plutôt que de la jouer tranquille et d'éviter les tacles pour ne pas se blesser, Gignac a pris le jeu au sérieux. « C'est même devenu assez chaud, raconte Reyes. J'étais dans son équipe mais nous étions en train de perdre et il n'était pas content parce qu'il ne voulait pas perdre. Il criait et nous grondait mais on a fini par gagner. »

C'était typique de l'attitude de Gignac sur le terrain. « Il donne toujours tout ce qu'il a et marque des buts lors des moments importants. Pour moi c'est le joueur le plus important de toute l'histoire du club parce qu'il a toujours été là lorsqu'on avait besoin de lui, ajoute Reyes. Les gens ne se rendent pas bien compte de la qualité du joueur que l'on a. Je pense qu'ils l'apprécieront plus à sa juste valeur lorsqu'il sera parti. »

Agé aujourd'hui de 31 ans, Dédé semble décidé à aller au bout des 18 mois de contrat qui lui restent avec le club malgré les fortes rumeurs qui l'annoncent en Chine pour un gros gros chèque. Il est clairement attaché au Mexique et a déclaré avec fierté que son plus jeune fils était né citoyen mexicain. « J'espère pouvoir être naturalisé mexicain l'année prochaine. Ce serait un honneur pour moi parce que je me sens chez moi ici. Je me sens très bien et ma famille aussi, a-t-il dit en mai dernier. J'espère rester de nombreuses années ici à Monterrey et au Mexique. Je suis heureux de pouvoir donner une belle image de mon pays au Mexique et une belle image du Mexique en France. »

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Gignac a démontré son amour pour les Tigres en janvier lorsqu'il a demandé à Cesar Ritual, le tatoueur local, de lui faire son premier tatouage : une griffe de tigre le long de son bras, à côté du numéro 10 qu'il porte sur son maillot. Après s'être lié d'amitié avec Gignac, notamment après avoir tatoué son père et l'un de ses frères du logo des Tigres il y a près d'un an, Ritual est retourné chez lui une quinzaine de fois pour tatouer plusieurs de ses amis et de sa famille.

« Il y a toujours une ambiance de famille dans sa maison, avec beaucoup de gens et beaucoup de bruit. Il a une grande maison avec une piscine et beaucoup de chambres, donc il peut inviter qui il veut, a constaté Ritual. Il vit avec sa femme et ses enfants, mais ses frères et ses parents lui rendent également souvent visite. Ses cousins et ses amis aussi, il est toujours entouré de Français. »

Cet attachement à ses proches ne veut pas forcément dire qu'il a le mal du pays. « Les quelques fois où j'ai discuté avec lui, il m'a dit qu'il aimait le Mexique, dit Ritual. Il a dit que les gens en France était un peu plus froids et grincheux et qu'il faisait toujours gris. Il aime la température ici mais aussi la chaleur des Mexicains. »

Et Gignac le leur rend bien, dit Ritual. Il a tout de suite accepté lorsqu'il lui a demandé s'il pouvait faire une photo avec son père qui souffre de diabète et qui vit en fauteuil roulant. « Ça a rendu mon père tellement heureux parce que c'est un grand fan des Tigres », explique le tatoueur avec le sourire.

En réfléchissant sur l'impact qu'à Gignac au Mexique, Ritual ajoute : « Je crois qu'il apporte quelque chose de positif à l'équipe, à la ville, et même au pays. Les supporters l'adorent. Personne ne peut minimiser ce qu'il a réalisé. Même s'il partait demain, il demeurerait une légende ici. »

En plus de rallier les supporters à sa cause, Gignac est même parvenu à changer quelques mentalités en France. D'aucun lui donnait un avenir avec les Bleus lorsqu'il a rejoint le Mexique, mais ses bonnes prestations lui ont valu d'être appelé avant l'Euro. Il a joué 13 fois l'année dernière, soit autant de fois que les six années précédentes combinées. Les médias français ont commencé à faire des articles à chaque but marqué avec les Tigres, et son compatriote Andy Delort l'a imité en quittant Caen pour rejoindre les Tigres l'été dernier, même si, depuis, Andy est revenu en France pour jouer à Toulouse.

« La mentalité en France a changé. Certains supporters disent aujourd'hui que c'est une super idée qu'il soit parti là-bas pour expérimenter quelque chose de différent et d'intense, note Goubin, le journaliste français. Je pense que son départ a même joué en sa faveur puisqu'aujourd'hui il est vu comme un battant, quelqu'un de vraiment passionné par le football. »

Ce n'est peut-être pas l'homme qui a fait gagner l'Euro à la France, mais Gignac a gagné le respect dans sa patrie natael et restera présent dans toutes les mémoires d'une région du Mexique.