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Société

Mashrou’ Leila et les difficultés d’être un band pro-LGBTQ+ au Moyen-Orient

Après la Jordanie, c’est maintenant l’Égypte qui lui refuse l’entrée au pays.
Photo via la page Facebook du groupe

La dernière fois que VICE s'est entretenu avec Mashrou' Leila, c'était il y a un peu plus d'un an. Le band venait tout juste de se faire bannir de la Jordanie. S'en sont suivis 14 mois de va-et-vient politique et bureaucratique afin de déterminer si le groupe pouvait retourner se produire au pays, qu'il considère « un de [ses] plus gros marchés ». Sans succès.

Il y a deux semaines, l'Égypte décidait à son tour de bannir Mashrou' Leila, qui est sans contredit un des groupes les plus importants du monde arabe. Ce qui dérange ses détracteurs, c'est que Mashrou' Leila n'hésite pas à briser les conventions sociales moyen-orientales. Hammed Sinno, le chanteur du groupe, est devenu le porte-parole officieux de la jeunesse LGBTQ+ arabe. Les chansons de Mashrou' Leila parlent candidement de genre, d'égalité sociale, de politique et de sexualité. Si pour des observateurs passifs du monde occidental la chose peut paraître inoffensive, au Moyen-Orient, ça dérange plusieurs personnes.

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Durant leur spectacle du 22 septembre au Caire, quelques personnes ont agité des drapeaux arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBTQ+. Peu après le concert, une douzaine de personnes ont été arrêtées en lien avec ce geste qui, techniquement, n'est pas un crime en Égypte. Cet incident a lancé une véritable chasse aux sorcières dans la communauté LGBTQ+, ponctuée de violence et de répression policières intenses.

Aux dernières nouvelles, près d'une soixantaine de personnes ont été arrêtées depuis. Une personne suspectée d'avoir sympathisé avec les personnes qui ont brandi les drapeaux au spectacle a été arrêtée et accusée de « promouvoir la déviance sexuelle », d'après le procureur principal de l'Égypte, Nabil Sadek. Human Rights Watch affirme que ce contrecoup est une répression claire de la communauté LGBTQ+ par les forces policières égyptiennes. Amnistie internationale rapporte de son côté que certains détenus ont reçu des examens anaux afin de « déterminer » s'ils avaient eu des relations homosexuelles. Ces examens violent les interdictions internationales sur la torture, et certains des détenus ont été dupés par des policiers qui se sont créé de faux comptes sur des applis de rencontre gaies comme Grindr.

Le groupe était déjà dans l'avion vers New York, où il tient présentement un atelier de deux mois traitant de l'intersectionnalité entre musique et politique, quand il a appris qu'il était banni. « C'est bizarre », me raconte au téléphone Hammed Sinno. « Ce n'est pas comme si on t'appelait pour te dire que tu es banni. Tu ne reçois pas de lettre officielle ; tu l'apprends par d'autres sources. Officiellement, on n'est pas bannis, mais les autorités nous refuseront les papiers nécessaires pour se produire en Égypte sans l'approbation préalable du Département de la sécurité nationale. »

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Toujours très vocal et critique de la région du monde d'où il vient, Sinno souligne toutefois que les choses ne sont pas aussi sombres qu'elles en ont l'air. D'après lui, la plupart de la population du Moyen-Orient serait assez tolérante envers la communauté LGBTQ+. L'obstacle viendrait plutôt des messages véhiculés par les différents acteurs politiques et médiatiques qui tentent d'influencer la population en prêchant un conservatisme social et politique motivé par la religion.

Quand je lui demande ce qu'il pense du sondage du Pew Research Center qui établit que 95% des Égyptiens croient que l'homosexualité ne devrait pas être acceptée par la société, Hammed me dit que « c'est un peu poussé, mais pas très loin de la réalité ». Selon lui, ce chiffre s'expliquerait surtout par un manque d'éducation et des campagnes médiatiques efficaces contre la communauté LGBTQ+. Ahmed Moussa, une des voix médiatiques les plus importantes du pays, a affirmé en ondes que « l'homosexualité est un crime aussi terrible que le terrorisme » après la polémique soulevée par les drapeaux arc-en-ciel au concert de Mashrou' Leila.

Pour Sinno, toute publicité n'est pas de la bonne publicité, surtout au Moyen-Orient, et encore plus à l'extérieur du Liban.

« Le problème, c'est qu'après ça, les gens qui ne nous connaissaient pas auparavant nous voient maintenant seulement à travers l'optique de cette polémique », me raconte Sinno. Heureusement, me dit le chanteur, toutes ces polémiques n'ont pas eu de grande incidence sur leurs opérations quotidiennes. Ils n'ont pas vu leurs demandes de booking diminuer, et n'ont pas eu de problèmes avec leur maison de disques.

Bien qu'une partie de la population est derrière Mashrou' Leila, on ne peut pas nécessairement dire la même chose pour le reste de la communauté artistique. « La réaction des autres musiciens est plutôt décevante. Ça fait chaud au coeur quand des gens comme Tegan and Sara nous offrent leur soutien, mais les artistes au Moyen-Orient ont peur de représailles », me confie Hammed. En effet, si leurs pairs décidaient de se ranger du côté de Mashrou' Leila, ils risqueraient beaucoup, tant sur le plan social que professionnel. Les autorités pourraient, hypothétiquement, leur refuser l'entrée au pays, et leurs maisons de disques pourraient rompre leur contrat par peur de mauvaise publicité.

Quand je lui demande si le but premier du groupe est de faire de la musique ou de changer le monde, il me répond en riant que c'est devenu un peu des deux. « Bien entendu, on reçoit tous les jours des messages de gens qui nous remercient, qui nous disent qu'on leur a donné la force de s'assumer » en tant que queers au Moyen-Orient. « Ça nous donne de l'espoir ; ça donne envie de continuer. »

Mashrou' Leila sera en spectacle à Montréal au Théâtre Corona le 19 octobre prochain.

Billy Eff est sur internet ici et .