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Les archéologues découvrent régulièrement de nouvelles "cités perdues" : comment est-ce possible ?

"Ces cités ne sont pas perdues. Elles ne l'ont jamais été. Les populations locales en connaissent l'histoire, l'anatomie et la localisation sur le bout des doigts."

Cela fait cinq jours que nous marchons dans la forêt tropicale de la région de la Mosquitia, à l'est du Honduras. Je suis accompagné de cinq membres du peuple Pech, avec qui je travaille régulièrement. Les Pechs sont un groupe indigène, qui descend très probablement de cet autre peuple qui a construit et habité les ruines que nous sommes en train de visiter. Il ne pleut pas, nous avons fait un solide feu de camp et harponné quelques poissons cuyamels afin de les faire griller avec des bananes vertes - une spécialité du Honduras. Lorsque je suis au coeur de la forêt tropicale, ce n'est pas tellement la nourriture qui m'obsède le plus. Je rêve seulement à des fringues parfaitement sèches.

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Tandis que nous mangeons, Don Cipriano, doyen du groupe et expert des sites archéologiques et des forêts de la région, me demande si j'ai déjà entendu parler de la légende de la cité perdue de La Ciudad blanca, la Cité blanche. "Oui, j'ai entendu quelques récits à ce propos", dis-je. Ces histoires, tous ceux qui ont déjà visité la région les ont déjà entendues.

"Ce n'est pas très loin d'ici", me dit-il. "Près de la rivière, en haut d'une colline." Je lui demande si nous allons la visiter. Il me réplique que c'est impossible : le site est sacré, et il est le refuge d'anciens dieux qui ont fui lorsque les Européens sont arrivés il y a près de 500 ans. Il y avait là les dieux de sept tribus indigènes différentes, m'explique-t-il. "Si vous alliez là-bas et que vous ne vous adressiez pas aux représentants des septs types de dieux, ils ne vous laissaient jamais repartir". Personne ne connait les sept langues parlées par ces dieux - pas même lui. il est donc trop risqué de s'y rendre.

En tant qu'archéologue, j'ai commencé mes études de terrain au Honduras il y a 25 ans. Dès le début, j'ai compris que je n'arriverais à rien sans les Pechs. Lors d'expéditions de plusieurs semaines, les guides pechs m'ont appris à pêcher, faire du feu, me frayer mon chemin dans la forêt tropicale, trouver de la nourriture, fabriquer un radeau, dénicher un abri - tout cela, sous la pluie. Je sais désormais réaliser toutes ces activités dans des conditions relativement difficiles, mais mes talents n'égaleront jamais ceux de mes compagnons. Ils connaissent leur territoire par coeur, dans les moindres détails.

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Les données archéologiques et linguistiques suggèrent que les Pechs vivent depuis au moins 1000 ans dans la région. Ils ont perdu une grande partie de leurs terres ancestrales suite au développement de l'agriculture et de l'élevage bovin, mais ils n'ont rien perdu leur riche histoire culturelle - ni de leur connaissance encyclopédique des ruines cachées sous la végétation épaisse de la forêt.

En tout, les guides pechs m'ont fait découvrir 150 sites archéologiques environ, que j'ai scrupuleusement documentés, dessinés, cartographiés, photographiés. J'ai interprété et contextualisé les informations recueillies sur ces sites - mais je ne les ai jamais "découverts" à proprement parler. Ce n'était pas des lieux inconnus, ils n'ont jamais été oubliés.

Mon point de vue contraste singulièrement avec celui d'autres personnes - professionnels ou amateurs - ayant exploré cette région à la recherche "d'une trouvaille spectaculaire". Au cours du siècle dernier, de nombreuses expéditions ont été organisées dans le but de dénicher une cité mythique enfouie dans la forêt de la Mosquitia. La Cuidad Bianca continue d'être "découverte" régulièrement, année après année, par les aventuriers improvisés dont le plus grand rêve est de faire des déclarations fracassantes à la presse en posant à côté d'une statuette.

De fait, il n'est pas difficile de tomber sur des vestiges dans la région. Je connais une demi-douzaine de grands sites, au minimum, qui ont été désignés les uns après les autres comme la fameuse Cité Blanche au cours des dernières années.

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À chaque fois, ces découvreurs sont des étrangers - que l'on décrit comme des aventuriers intrépides ayant réalisé un exploit grâce à leur courage, leurs moyens financiers, leurs technologies ou leurs qualités humaines (courage, acharnement, intuition, etc).

Pourtant, la description qu'ils font des sites archéologiques est souvent complètement à côté de la plaque. Ces cités ne sont pas perdues. Elles ne l'ont jamais été. Les populations locales en connaissent l'histoire, l'anatomie et la localisation sur le bout des doigts. Par ailleurs, les légendes locales qui ont permis à ces chercheurs étrangers d'obtenir des indices sur l'existence de possibles ruines ne font jamais référence à des "villes" à proprement parler, mais à des sites divers et variés qui, pour une raison ou une autre, représentent une sorte âge d'or pour les autochtones.

De plus, l'environnement de la région n'est pas particulièrement dangereux, et ne nécessite pas de "braver tous les dangers", comme ces wannabe Indiana Jones l'expliquent à qui veut l'entendre pour se mettre en valeur. Après tout, des enfants grandissent là, dans des communautés qui vivent depuis des siècles au beau milieu de la forêt.

Les archéologues disent souvent "l'important n'est pas de découvrir des vestiges, mais de les comprendre" (It's not what you find, it's what you find out). Nous ne sommes pas à la recherche d'artefacts mystérieux : nous voulons simplement accroitre notre connaissance du passé et des sociétés humaines. Mon travail scientifique ne consiste en aucun cas à dénicher des sites spectaculaires, mais plutôt à essayer de saisir, par exemple, les dynamiques de pouvoir au sein des sociétés anciennes, leurs interactions avec d'autres groupes, ou encore leur manière de se représenter leur environnement.

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La plupart des archéologues passent un temps considérable avec les autochtones. Ils savent que pour comprendre un site en profondeur, il ne suffit pas de l'explorer, il faut y vivre.

Au fil des ans, des technologies et des méthodes permettant d'assister et d'accélérer les recherches archéologiques ont émergé. Tout d'abord, nous avons pu utiliser la photographie aérienne, les images satellites et, plus récemment, le LIDAR (la télédetection laser), qui utilise des millions d'impulsions lumineuses laser générées depuis un avion à faible altitude afin d'obtenir des données sur un paysage donné. Les lots de données récoltées à cette occasion sont si gros qu'il est possible d'en supprimer une partie (une représentation de la canopée par exemple) et de sélectionner celles qui permettront de créer une carte 3D détaillée du sol.

Ces technologies sont formidables et diablement efficaces, mais elles risquent aussi de limiter les interactions entre les archéologues et les communautés locales, qui sont déterminantes. En "découvrant" une cité perdue depuis les airs, les archéologues manquent d'embrasser la profondeur et la variété de l'expérience et des connaissances des communautés qui vivent là depuis des centaines d'années. Or, le goût pour l'immédiateté de la découverte cache souvent une connaissance superficielle des objets archéologiques.

De plus, ces technologies offrent une vision partielle du site considéré. La vue aérienne donne l'illusion d'observer la totalité de ce qu'il y a à voir, par l'intermédiaire d'un point de vue surplombant qui induit une position de domination vis-à-vis des éléments observés. En vue aérienne, l'interprétation du spectateur n'est pas contredite ou remise en question par d'autres points de vue. Cette focalisation sur le visuel permet une décontextualisation de l'objet archéologique, et valorise certains types de découvertes au détriment d'autres, moins spectaculaires. En archéologie, on appelle cela le "regard hégémonique" : l'explorateur est en position de pouvoir, et le paysage n'est que l'objet de son désir de trouver quelque chose.

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Connaître ce risque devrait suffire à éviter les biais dans l'utilisation des nouveaux outils archéologiques. Pourtant, certains amateurs y succombent régulièrement. En 2012, un groupe dirigé par un réalisateur et un écrivain a entrepris un voyage d'exploration basé sur l'utilisation de la technologie LIDAR, et a prétendu avoir trouvé La Ciudad Bianca au beau milieu du Honduras. Après avoir essuyé de vives critiques, le groupe a rebaptisé la soit-disant cité perdue du nom de Cité du Jaguar. Ce nom n'a pourtant aucun lien avec les légendes et savoirs locaux, pas plus sur son surnom, "la Cité du dieu-singe". Les peuples indigènes locaux affirment qu'ils ont toujours connu endroit et l'avaient volontairement laissé dans son isolement. De ce point de vue, l'utilisation du mot "découverte" et ce baptême absurde étaient une vraie provocation.

Les archéologues devraient toujours se remettre en question : le regard que nous avons sur un site est chargé de nos propres représentations. Il ne permet pas de faire un compte-rendu objectif de la réalité, surtout après un simple survol aérien de la zone. Pour répondre à ces exigences et se rappeler que le scientifique a toujours une position située, certains chercheurs ont embrassé une nouvelle approche appelée "archéologie sensorielle". Si elle n'est pas exempte de critiques (loin de là), elle permet du moins de se confronter au fantasme de l'explorateur, de critiquer la prépondérance de l'approche visuelle en archéologie, et de remettre en question la relation entre l'archéologue et son sujet d'étide. Pour ma part, je ne fais pas d'archéologie sensorielle à proprement parler, mais j'essaie d'entrer en immersion dans les lieux que j'étudie et d'établir un contact étroit avec les communautés locales - qui ont leur propre point de vue sur le territoire étudié et m'aident à contextualiser mes découvertes.

Assis près du feu de camp en compagnie de Don Cipriano et des autres Pechs après plusieurs jours de marche épuisants, je suis obligé de reconnaître mes limites. Sur la carte, le chemin ne semblait pas aussi long, aussi tortueux. La Ciudad Blanca que Cipriano m'a pointée du doigt, montrant le sommet d'une colline, n'existe peut-être pas. Aucun d'entre nous ne l'a vue, après tout. Ce n'est pas si important. Ce qui importe, c'est que je suis assis là, parmi ces gens qui veulent partager leur passé et m'expliquer le monde qui les entoure. J'ai encore de nombreuses langues à apprendre.

Christopher Begley est professeur d'archéologie à l'Université Transylvania à Lexington, et directeur de l'Exploration Foundation.

Cet article est initialement paru sur Aeon sous licence Creative Commons.