20 ans plus tard, Joel Schumacher est toujours navré de vous avoir infligé « Batman & Robin »
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20 ans plus tard, Joel Schumacher est toujours navré de vous avoir infligé « Batman & Robin »

Personne n'a oublié les bat-tétons, Joel.

Bienvenue dans notre nouvelle colonne, « Le pire, sinon rien », dans laquelle des artistes nous parlent du pire projet de leur carrière.


Le gros plan appuyé sur un cul moulé dans une combinaison restera à jamais gravé dans ma mémoire. En 1997, le jour où je me suis rendu dans un cinéma pour contempler le dernier cru de la saga Batman – à savoir Batman & Robin – j'ai appris quelques trucs au sujet de l'existence humaine et des sentiments contradictoires qu'elle fait affleurer. Tout d'abord, la valeur de l'argent m'a sauté aux yeux. Les six dollars dépensés pour Batman & Robin m'ont fait comprendre à quel point il fallait dépenser son argent intelligemment. Ensuite, la puissance de la vengeance. 20 ans plus tard, je n'ai toujours pas pardonné le réalisateur, Joel Schumacher. J'ai donc décidé de le rencontrer, afin de comprendre pourquoi son projet avait merdé à ce point.

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« Écoutez, je suis désolé. » Telle a été, en substance, la réaction de Joel Schumacher lorsque je lui ai passé un coup de fil il y a quelques jours. « Je m'excuse auprès de tous les fans que j'ai déçus. Je leur dois bien ça. »

Cette excuse était un bon point de départ, compte tenu du désastre – et je ne dis même pas ça parce que je suis fan de Batman. Historiquement, ce film est l'une des plus grosses catastrophes du XXe siècle. Les deux principaux acteurs n'ont d'ailleurs pas hésité à renier le long-métrage après sa sortie. « Franchement, il était impossible d'être "bon" dans un tel film », a déclaré George Clooney dans une interview pour Total Film. De son côté, Chris O'Donnell s'est fendu d'un cinglant : « Sur Batman Forever, j'avais l'impression d'être sur le tournage d'un film. Sur Batman & Robin, j'avais l'impression de fabriquer un jouet pour un gamin. »

Des patins à glace rétractables au surf dans les airs, l'intégralité de Batman & Robin est un pied de nez à la direction prise par Tim Burton, qui avait privilégié la dimension sombre du héros (ce qu'accentuera Christopher Nolan des années après). Schumacher, lui, avait désiré transposer Batman dans un univers coloré, baroque, clinquant, tel un Las Vegas cinématographique – plus le plus grand déplaisir des fans.

Je m'étais toujours demandé comment le type derrière The Lost Boys, Chute libre ou encore Phone Game avait été capable de produire une telle bouse, et Joel Schumacher m'a très gentiment expliqué les raisons de cette déroute.

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Joel Schumacher tenant une Batmobile. Photo via Warner Brothers

VICE : Bonjour Joel. Batman Forever avait été correctement accueilli par le public et la critique – du moins, il n'y avait pas eu de scandale. Pourquoi avoir tourné une suite ?
Joel Schumacher : Vous savez, les gars chez Warner voulaient vraiment que j'en réalise une. J'ai sans doute été victime de l'hubris, d'une certaine manière. Je n'avais jamais pensé devenir « le roi des blockbusters » – mes autres films ont affiché des budgets plus modestes. Avec Batman & Robin, j'ai eu l'impression d'assassiner un gamin. Je me sentais très mal, comme une merde.

L'envie de réaliser cette suite a donc surtout à voir avec votre ego ?
Complètement ! Aujourd'hui, je vois les choses différemment. À l'époque, le studio cherchait à mettre beaucoup d'argent dans un film, qui allait être obligatoirement un carton. La pression était immense. Après, je suis entièrement responsable, rassurez-vous. Je suis un grand garçon, j'assume. Je suis surtout triste pour l'ensemble de l'équipe – tout le monde s'est plié en quatre et a bossé sans arrêt. Je regrette que ce travail n'ait pas été reconnu à sa juste valeur.

Vous évoquez la « pression ». Est-ce que quelqu'un vous a influencé pendant le tournage ?
La plupart des mauvais choix sont les miens, et je suis le seul coupable. Nous avons géré quelques trucs dans l'urgence, à l'image du départ de Val Kilmer, qui avait interprété Batman dans Batman Forever, et qui avait décidé de ne pas rempiler pour tourner dans L'Île du Dr Moreau. J'avais tenté de le convaincre, mais il m'avait répondu : « Mec, y'a Marlon Brando. » Je ne pouvais rien faire contre ça. Bob Daly, l'un des boss de Warner Bros, a alors décidé d'engager George Clooney – ce qui était un très bon choix, vu que sa carrière explosait grâce à Urgences.

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Après, on a décidé de faire appel à une Bat Girl, afin d'attirer un nouveau public, plus féminin et jeune. Vous savez, quoi qu'il en soit, on ne m'a forcé à rien.

Joel Schumacher avec Arnold Schwarzenegger. Photo via Warner Brothers

Quel regard portez-vous sur ce film aujourd'hui ?
Honnêtement, je n'y pense pas souvent. J'essaie de toujours aller de l'avant. J'ai même failli tourner un autre Batman, vous savez ! J'avais rencontré Nicolas Cage sur le tournage de Volte/Face parce que je voulais qu'il interprète l'Épouvantail. À l'époque, je passais mon temps dans un avion pour faire la promo de Batman & Robin aux quatre coins du monde, et les retours étaient très mauvais. J'ai fait mon boulot, malgré tout.

Je me souviens, j'étais à Rio, en train de découper le cordon afin d'inaugurer un énième magasin géré par Warner Bros, et je me suis dit : « Putain, qu'est-ce que je fous ? » J'ai pris des vacances et suis parti au Mexique. Là-bas, j'ai appelé mes patrons pour leur dire que je me sentais incapable de réaliser un autre Batman. Vous pensez peut-être qu'au vu de la réaction des médias et des spectateurs, personne ne voulait d'une suite. Vous vous trompez. Vous n'imaginez pas le fric gagné par Warner grâce au merch entourant Batman & Robin. De mon côté, j'ai dit stop pour sortir de la spirale du « blockbuster estival », qui était en train de me détruire.

Vous vous êtes pas mal remis en question, apparemment.
Eh bien, disons que j'ai vécu pas mal de moments difficiles, notamment à Rio où, un jour, je me suis demandé : « Pourquoi désirais-tu devenir réalisateur, quand tu étais petit ? » Au début, je gagnais 200 dollars par semaine en dessinant des costumes pour le cinéma. J'ai toujours été attiré par ce milieu parce que j'ai grandi juste à côté d'un cinéma. Mes parents ne possédaient pas de TV, et je passais donc mon temps à mater des films. J'ai toujours voulu raconter des histoires. C'est à ça que j'ai pensé, et j'ai envoyé balader Batman. J'ai même quitté Warner Bros, ce qui a été une décision difficile.

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Pour en revenir à Batman & Robin, peut-on dire qu'à l'époque, le champ était libre quant à la représentation des superhéros ? On n'avait pas autant de films sur ce sujet qu'aujourd'hui…
Oui, clairement. Richard Donner avait réalisé un fantastique Superman avec Christopher Reeves, un film épique. De mon côté, j'avais tout à fait conscience que Tim Burton avait injecté quelque chose de totalement nouveau avec son Batman. Jack Nicholson était incroyable, au passage. Kim Basinger était fidèle à elle-même, il y avait du Prince dans la B.O. En bref, c'était très bon.

Avez-vous quelque chose à dire aux déçus, à ceux qui sont allés voir Batman & Robin en s'attendant à quelque chose de tout à fait différent ?
J'imagine que beaucoup s'attendaient à un truc incroyable, et ils n'ont pas eu ce qu'ils voulaient, voilà tout.

Et je voulais également évoquer avec vous ces bat-tétons…
Ahaha, OK ! On vit dans un monde formidable, dans lequel deux petits bouts de caoutchouc de la taille d'un ongle peuvent devenir un problème global. Je suis conscient qu'on me le rappellera jusqu'à ma mort.

Les bat-tétons en question

C'était votre choix ?
Disons que c'était la responsabilité de Jose Fernandez, un costumier brillant. Dans Batman et Batman : Le Défi, les costumes ont été confectionnées par le grand Bob Ringwood. Pour Batman Forever, la technologie avait incroyablement évolué. Le moulage du caoutchouc était bien plus perfectionné. J'ai donc dit à l'équipe : « Eh bien, créons un costume qui épouse l'anatomie ! », en adjoignant des photos de statues grecques et des dessins anatomiques que l'on trouve dans des manuels de médecine. Jose a confectionné les tétons, et j'ai trouvé ça cool.

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Ça a vraiment dérangé les gens ce truc ? Ça vous a dérangé ?

Disons que ça jurait tellement par rapport aux anciens costumes de Batman qu'il était difficile de faire abstraction.
Vous savez quoi ? Je n'avais aucune idée de l'ampleur de ce truc. J'étais peut-être naïf, mais je suis quand même heureux qu'on ait dessiné ce costume.

J'imagine que les fans ont surtout été troublés par ces petits détails.
J'espère n'avoir dégoûté personne de Batman avec mon film… Quand j'ai pris en main la saga avec Batman Forever, je savais qu'il s'agissait avant tout d'une saga de Tim Burton. Les gens s'étaient pris de passion pour Danny DeVito en Pingouin et pour Michelle Pfeiffer en Catwoman. Tim, qui est un ami, m'a demandé de réaliser la suite, car il n'en pouvait plus de toute cette pression.

Ce qui est intéressant, c'est de comparer les films de Tim et les miens avec ceux de Christopher Nolan. Pour le coup, Batman a complètement évolué, en devenant très sombre et en évoquant directement les problématiques économiques, la lutte des classes. L'audience a complètement changé – elle ne désire plus des films « familiaux ».

Vous avez l'air de ne pas trop vous prendre la tête au sujet de ce film. J'ai l'impression que les très mauvaises critiques ne vous ont pas atteint.
Eh bien, j'ai continué à réaliser des films, et je n'ai pas fait de crise de nerfs, voilà tout. Woody Allen, l'un de mes mentors, m'a dit un jour de ne jamais rien lire au sujet du travail que l'on diffuse. Si vous lisez les critiques, vous avez tendance à vous souvenir des négatives jusqu'à la fin de votre existence. Je n'ai jamais été proche des critiques, et je ne m'en porte pas plus mal. Je suis libre.

Bon, malgré tout, je m'excuse, hein !

C'est noté, merci beaucoup.