En 1997
Pierre Thyss

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En 1997

Journaliste et écrivain, Clovis Goux nous raconte son année 1997 entre free parties cafardeuses, serial killers crapoteux et experiences littéraires désastreuses.
Pierre Thyss
illustrations Pierre Thyss

En 1997, si je m'en souviens bien, j'étais dans une mauvaise passe. Après de trop longues années sur les bancs de la fac, je m'étais résolu à gagner ma vie et travaillais pour la première fois en entreprise où ma seule joie étaient les repas thématiques de la cantine. Pour le nouvel an chinois, il y avait des nems au menu et les caissières portaient des kimonos. Pour la journée « Mexique » un groupe de mariachis chantait entre les tablées et des sombreros avaient été posé sur la tête des caissières. Mon ex m'ayant largué pour un certain « Tonio », qui avait l'âge (et le physique) de Charles Gérard, je m'étais réfugié dans les bras d'une ancienne toxico désormais accro au shopping, à la télé et aux joints. J'avais fais une croix sur la fumette au lycée après une grosse crise de parano en écoutant Steve Mc Queen de Prefab Sprout (une seule note de « When Love Breaks Down » suffit encore à me plonger dans des tourments Dostoïevskiens) et notre relation ressemblait au bout de quelques mois à celle d'un vieux couple au bout du rouleau vivant sous le même toit mais dans des mondes parallèles (ambiance Signoret / Gabin dans Le Chat mais sans le chat). La seule chose qui nous rapprochait au fond était notre intérêt commun pour les serial killers qui, depuis le succès mondial du Silence Des Agneaux, étaient devenus un phénomène au même titre que les supermodels (Cindy, Naomi, Linda etc.), le séquençage du génome humain ou Leonardo Di Caprio. Chaque semaine j'achetais donc religieusement le magazine Dossier Meurtre qui revenait sur le parcours de grandes figures du crime (Jack l'éventreur, Charles Manson, Ted Bundy, John Wayne Gacy, Richard Ramirez etc.) tout en faisant quotidiennement des recherches sur le net au rythme frénétique d'un modem 56k. J'avais ainsi mis la main sur un jeu de jpegs dont j'étais particulièrement fier : un couple de bikers américains avait abattu le mari de madame d'un coup de machette, puis l'avait démembré. Ils s'étaient ensuite amusés à composer des natures mortes avec les morceaux avant de les immortaliser. Clic clac : c'est rigolo l'orteil d'un pied coupé coincé dans la narine d'un tête décapitée. Puis les amants maléfiques s'étaient fait gauler en faisant développer leur pellicule au supermarché du coin. Lorsqu'il vit sa cliente fixer, à poil, l'objectif tout en tranchant la tête de son époux à l'aide d'une scie à métaux, le mec du labo avait en effet directement appelé les autorités.

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Musicalement la fin des 90's reste, dans mon souvenir, un vague cauchemar : les Spice Girls régnaient sur la planète, le grunge était mort depuis que Kurt Cobain s'était tiré une balle en pleine poire, le Wu Tang pédalait dans la semoule, la britpop célébrait Tony Blair comme le mec le plus cool de tous les temps et la techno était soit entre les mains de fils à papa qui répétaient en boucle des mantras de winners sur de la house « filtrée » soit prise en otage par des légions de cramés qui dansaient dans de la boue sur du hardcore la tête collée contre les enceintes. Après avoir trainé dans les raves au début de la décennie, je préférais désormais lire tranquillement le Nouveau Détective en écoutant Dolly Parton au coin du feu plutôt que d'aller au Queen ou dans un bourbier aux confins du val de marne. Il y a quelques années, une revue m'a demandé d'écrire un papier dont le sujet imposé, « le rythme », ne m'inspirait pas vraiment. J'y avais néanmoins vu l'opportunité de livrer un truc (je ne vois pas d'autre mot pour qualifier le résultat) qui s'inspirait de mes lectures morbides et de mon état d'esprit à la fin 90's. Le texte en question a évidemment été refusé. Il commençait sous la tente d'une « free » en compagnie d'une bande de punks à chien dégénérés (« Buzz babille sous sa capuche noire en regardant fixement le cendrier qui déborde » - putain on dirait du mauvais Despentes), d'une groupie nommée Jessie « qui vendrait son corps contre une « trace » si tous les gars du groupe n'en avaient pas déjà profité » avant de se poursuivre ainsi :

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« Tapis dans un recoin, il y a une autre fille qui détonne: peau fraîche, joli minois, frange, jeans de marque, trench-coat… La panoplie parfaite de la parisienne.
« T'es qui toi là ? » beugle Klone en grattant son piercing nasal. Le petit animal sort de l'ombre et s'approche du mollosse en tremblant : « Je… je m'appelle Karine Charpentier, je suis journaliste, je viens de Paris pour vous interviewer… »
« Tu te fous de ma gueule ? »
La jeune fille n'a pas le temps de répondre qu'un parpaing s'abat sur son crâne. Elle s'écroule foudroyée tandis que Klone tente de ceinturer Buzz qui écume au dessus du corps inerte en hurlant « Pute, pute, pute… tu n'es qu'une pute ». Du sang s'écoule de la bouche de Karine. Jessie vomit. Buzz continue à brailler : Nono calme sa progéniture à coups de poings. Fréon et Niko, vitrifiés par la kétamine n'ont pas bougé d'un millimètre. Blackout. La scène se fige dans un noir et blanc crasseux. »

Avance rapide

« La porte s'ouvre avec fracas dessinant la silhouette massive de Klone qui hurle: « Toi tu mouftes pas ou je t'éclate ». Il attrape violemment Karine par les cheveux et la traîne jusque dans une cuisine pour la jeter à côté de la gamelle du chien. Le rythme de son cœur bat à 100 à l'heure. Elle sent ses veines palpiter contre ses tempes. Elle sanglote à présent. Au dessus d'elle, Karine reconnaît les visages grotesques de Buzz et Nono qui se passent une bouteille de whisky déjà bien entamée en l'observant. Ils se chauffent pour la curée. Klone penché sur la table en formica, sniffe des grandes lignes de poudre, indifférent. Buzz se jette alors sur Karine, arrache trench, chemisette et soutien gorge pour découvrir sa poitrine menue. Nono enserre Karine entre ses bras noueux tandis que son fils, bave aux lèvres, brandit un couteau ramassé dans l'évier. Karine hurle à travers son bâillon, tente de se débattre, mais Buzz a déjà plongé la lame dans son cœur.
Un éboueur découvrira, quelques jours plus tard, son corps jeté dans une poubelle. »

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On assiste ensuite aux funérailles de Karine avant de terminer par cette envolée lyrique :

« Les gouttes de pluie qui frappaient la dalle immaculée, cadençaient la procession des proches qui lui rendaient un dernier hommage. »

En relisant ce texte aujourd'hui, les limites du pastiche me sautent tout d'abord aux yeux : il faut très bien écrire pour « mal écrire » et ma tentative de capturer le feeling poisseux du Nouveau Détective était un échec cuisant. Ensuite, on comprend très vite que les seuls punks à chien que j'ai pu croiser sont ceux qui tendaient déjà la main devant le Franprix au coin de ma rue. Plus surprenant, je met ici en scène ma propre mort avec une certain acharnement : Karine Charpentier, c'est bien moi. Pourtant je n'ai pas plus d'idées suicidaires que le commun des mortels, je ne fantasme pas de me faire massacrer par une horde de clodos et je n'ai jamais eu l'intention de changer de sexe. Alors ? Alors je pense que j'étais en 1997 un parfait représentant de ma génération, celle qui attendait impatiemment qu'il se passe enfin quelque chose dans sa vie : que la caissière de la cantine foute le feu à son sombrero, qu'elle plante une baguette dans l'œil de son boss, que du sang gicle sur la machine à café, que Tonio s'immole devant le Queen, que Jacques Chirac dissolve l'assemblée nationale ou que le bug de l'an 2000 nous ramène enfin à l'âge de pierre. Lorsque deux ans plus tard Fight Club est sorti sur les écrans ce fut évidemment une révélation : nous rêvions tous d'être Tyler Burden donnant la main à Marla Singer pour assister à la fin du monde en écoutant les Pixies. Alors je me suis fais virer de ma boîte, alors j'ai abandonné ma fumeuse de joint dans une pizzeria face à une Margarita, alors j'ai entamé une vie trépidante de chômeur.

Le 11 septembre 2001, j'étais sur la route de l'aéroport d'Atlanta avec deux copains pour rentrer à Paris après une virée comique dans le sud des Etats-Unis : on avait dormi avec des alligators, pris des cuites à 8h du matin, combattus des insectes géants à mains nues dans les bayous, détruit une voiture de location, vomi sur le mur de Graceland, été kidnappés par des couguars cajuns, jetés d'un aftershow d'Aerosmith, traqués par des junkies dans le cimetière de la nouvelle Orleans… Bref, après quinze jours de rigolade, on était un peu fatigués et on a allumé la radio pour passer le temps : deux avions venaient de se crasher sur le World Trade Center. Alors on s'est dit qu'on vivait vraiment dans Fight Club. Alors on s'est dit que l'avenir serait terrifiant.

Clovis Goux est journaliste et écrivain. Il publiera le 20 septembre prochain chez Actes Sud La Disparition de Karen Carpenter, un livre passionnant sur la chanteuse des Carpenters dont on vous reparlera d'ici là. Toutes les illustrations sont, comme bien souvent, de Pierre Thyss. Noisey 1997 c'est toute la semaine ici.