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Music

Les Jeux Olympiques du rap ont eu lieu en 1997 - et Eminem a perdu en finale

Un échec cuisant et un tournant crucial dans la carrière de Marshall Mathers.
Genono
par Genono

Au grand débat du « best rapper ever », les cadres quadragénaires continuent de citer Eminem comme la référence ultime, alors que sa carrière avance à reculons depuis une bonne dizaine d'années -avec quelques sursauts de vitalité, un peu comme quand votre grand-père atteint d'Alzheimer retrouve sa lucidité le temps de faire un Rubik's Cube, avant de sombrer à nouveau dans le désoeuvrement. Mais tout n'est pas de la faute de la vieillesse et de la drogue : le grand problème d'Eminem, c'est qu'il n'est pas mort au sommet, et a donc eu le temps d'amorcer sa descente. Si Tupac et Biggie ne s'étaient pas fait fumer il y a vingt ans, ils seraient probablement, eux aussi, vieux et has-been, l'un perdu dans ses délires complotistes, et l'autre occupé à clasher Chief Keef ou Future pour retrouver un buzz perdu. Malheureusement pour sa légende, Eminem a continué à vivre jusqu'à devenir une copie émoussée de lui-même.

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Mais Marshall Mathers a déjà touché le fond des dizaines de fois dans sa vie, et son parcours prend parfois des allures christiques, avec des morts artistiques qui aboutissent à des résurrections commerciales. Avant le succès, les millions de dollars et les sommets des charts, il a notamment connu un épisode qui aurait pu être scénarisé par Martin Scorsese : après l'échec de son premier album, Infinite, il consacre toute son énergie à sa propre autodestruction. Alcool, drogues, tentative de suicide, tout va bien dans le meilleur des mondes. Comme dans toute bonne sitcom, Eminem est sauvé par son amour de la musique. Il continue à rapper avec ses potes de Detroit, participe à des sessions freestyles, et continue d'enregistrer des démos. L'une d'elles termine dans le poste-cassette de Wendy Day, une fille connue pour apporter son aide juridique aux rappeurs ayant signé de mauvais deals avec leurs labels.

Convaincue d'être face à une superstar en puissance, elle le prend sous son aile et démarche des dizaines de maisons de disques, sans jamais réussir à le faire signer. Malgré des qualités artistiques évidentes, personne n'ose miser sur un rappeur blanc : « Non seulement la plupart des rappeurs blancs qui l'avaient précédé n'avaient pas eu un grand succès, mais en plus ils étaient tournés en ridicule par tout le monde », expliquait ainsi Wendy à l'Abcdrduson en 2011.

Quelques mois plus tard, Wendy se lance dans l'événementiel en reprenant le concept des Rap Olympics, inaugurés par Gregory Thomas en 1993. A l'époque, le principe était très simple : une compétition entre les rappeurs de trois Etats américains (Pennsylvanie, New Jersey et New York), et une somme dérisoire pour le vainqueur -aucun deal avec une maison de disques en guise de récompense, par exemple. Techniquement, même si l'appellation «Rap Olympics » sonne comme quelque chose de prestigieux, on est plutôt face à un gros concours de freestyle, un peu sur le principe de ce que les français connaissent sous le nom de Rap Contenders.

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La compétition organisée par Wendy Day quatre ans plus tard a donc un peu plus de gueule, bien qu'elle n'ait rien de vraiment olympique. Les mecs sont assis par terre, mais on offre une rolex bas-de-gamme et un chèque de 500 dollars au vainqueur, et deux-trois caméramans sont conviés pour immortaliser les meilleurs battles sur des VHS qui seront rippées vingt ans plus tard sur Youtube. Eminem est donc convié, au milieu d'un régiment de rappeurs plus ou moins émergents comme Kwest Tha Madd Ladd, auteur d'un seul album en 1996. Eminem arrive jusqu'en finale à Los Angeles, où il affronte MC Juice, venu de Chicago, à une époque où le rap de Chicago est encore loin d'être réputé sur la scène hip-hop. Dans une battle en 5 rounds, Juicy prend les devants (1-0), avant qu'Eminem ne revienne (1-1) et prenne l'avantage (2-1), grace notamment à une punchline venue d'ailleurs (« You ain't gonna sell 2 copies if you press a double-album »). Piqué au vif, Juicy reprend du poil de la bête (2-2) et attaque là où ça fait mal : la couleur de peau. En deux rounds, il termine le petit blanco (3-2), et s'adjuge une jolie montre et un demi-millier de dollars.

Le futur auteur de « The Way I Am » perd donc en finale, mais l'essentiel est ailleurs : à l'image de Michael B.Jordan dans Creed, son parcours forge son mental et lui donne les moyens de croire en lui, en même temps qu'il impose petit à petit le respect partout où il passe - c'est le moment d'écraser une larme. Pour ajouter à la dimension hollywoodienne du scénario, Eminem aurait été expulsé de son appartement la veille de son départ pour la finale des Rap Olympics à Los Angeles, et passe donc du statut de SDF suicidaire à celui de vainqueur moral d'une compétition merdique.

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Mais la belle histoire ne s'arrête pas là. Après avoir essuyé des refus de la plupart des maisons de disques, Eminem tape dans l'oeil d'un gamin de 17 ans, employé du service courrier d'Interscope. Devenu fan du rappeur après l'avoir suivi lors de la plupart de ses battles, il se débrouille pour récupérer une de ses démos, et la glisse dans la case de Jimmy Lovine, patron du label et futur milliardaire -une légende tellement parfaitement romancée qu'elle est probablement à moitié fausse. Pour la petite histoire, certains des vers balancés par Em' au cours de cette compétition seront réutilisés dans les fameux battles du film 8 Mile, qui raconte avec beaucoup de libertés l'histoire du rappeur avant le succès.

L'autre grand acteur de la compétition, Juice, ne tape malheureusement dans l'oeil de personne. Meilleur dans les battles qu'en studio, il forge sa réputation sur son invincibilité sur ce terrain, avant une défaite cuisante face à l'incroyable Supernatural - encore une histoire parfaitement hollywoodienne. Il enregistrera tout de même une demi-douzaine de projets pendant les années 2000, et deviendra même ghostwriter de Kanye West pendant une période

Les principaux protagonistes de ces jeux olympiques se réunissent quelques semaines après la finale lors de l'émission Wake Up Show sur Sirius XM Radio. La légende raconte que c'est lors de cette émission que Dr Dre a entendu Eminem pour la première fois, et qu'il l'aurait fait signer dans la foulée -et quoi qu'on pense d'Eminem aujourd'hui, difficile d'affirmer que qui que ce soit aurait pu le déclasser sur ce freestyle -on aperçoit d'ailleurs Juice à quelques mètres de son ancien adversaire, en train de comprendre qu'il a battu un sacré performeur.

De nombreuses autres éditions des Rap Olympics ont eu lieu depuis 1997 de manière plus ou moins officielle, sans qu'elles ne soient forcément liées à l'organisation des premières manifestations –contrairement au monde du sport, le monde du rap n'est pas régi par un Comité Olympique qui impose les règles. Vous pouvez même créer vos propres Jeux Olympiques du rap, si le cœur vous en dit et que vous pensez pouvoir motiver suffisamment de freestylers. Historiquement, seule l'édition 1997 a eu un réel impact sur la carrière d'un rappeur, même s'il est impossible d'affirmer qu'il n'aurait pas eu le même succès sans ce coup de pouce du destin. Genono est sur Twitter. Noisey 1997 c'est toute la semaine ici.