À l’école française d'e-sport
Soirée de lancement de la chaîne Twitch de la Paris Gaming School.

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Gaming

À l’école française d'e-sport

Vous pourriez bientôt voir apparaître des formations comme streamer, coach ou encore commentateur e-sport dans votre liste Admission Post-Bac.
Paul Douard
Paris, FR

Si le mot « école » est souvent synonyme de tables en bois, de livres désuets et de professeurs quinquagénaires qui vous feront toujours un laïus sur la Grèce Antique quelle que soit la matière qu'ils enseignent, vous pourriez un jour voir apparaître des formations comme streamer, coach ou encore commentateur e-sport dans votre liste Admission Post-Bac. Du moins, c'est ce que la Paris Gaming School (ou PGS) aimerait proposer d'ici trois ans, en ouvrant ses portes dès cette année à une trentaine d'élèves qui commenceront leur cursus dès le mois de septembre. La structure est entièrement dédiée aux métiers de l'e-sport, dont le secteur ne résume pas à quelques joueurs pouvant empocher plusieurs millions d'euros sur un seul tournoi, mais aussi à une flopée de métiers gravitant autour de cette discipline – et que bien sûr, aucun conseiller d'orientation en activité ne connaît. Sachant que je joue depuis mon plus jeune âge et que j'ai subi mes études supérieures comme un long chemin de croix parsemé de soirées déguisées fastidieuses, l'ouverture de cette école a naturellement éveillé ma curiosité – en plus d'étancher ma soif de vengeance envers tous les professeurs de France pour qui un vrai métier se résume à être architecte ou professeur de mathématiques.

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Il fait déjà très chaud au dernier étage de cet immeuble de Montreuil qui abrite les locaux de l'école, où je retrouve Gary Point, son fondateur. L'ambiance est à la concentration. Les ventilateurs des ordinateurs tournent à plein régime, au beau milieu des câbles en tous genres qui jonchent le sol. La team Monaco e-sport de Counter-Strike Global Offensive (CS GO) – l'un des jeux majeurs en e-sport avec près de 850 000 joueurs actifs chaque mois – est en plein bootcamp au sein de l'école. « Tu me boostes et je prends la corn', OK ? » dit le capitaine de l'équipe. Moyennant un certain prix, des équipes professionnelles peuvent venir s'entraîner dans les locaux de l'école avant les tournois, et partager leurs expériences avec les élèves qui souhaitent travailler dans ce milieu. Gary me propose d'aller discuter à l'écart, sur la terrasse de l'école.

De gauche a droite : Laure

Une partie du staff de l'école. De gauche a droite : Laure « Emysk » Foul, co-directrice de l'école ; Yann Cédric, directeur e-sport de Gamers Origin ; Babel, streamer ; Yasné, community manager de l'école ; Rémi, responsable web TV chez Gamers Origin ; Jenkins et Lowello, deux importants streamers français.

Âgé de seulement 27 ans, Gary n'est pas un opportuniste qui a senti l'odeur de l'argent après avoir vu un reportage Sept à Huit sur l'e-sport. Ancien joueur professionnel de Dota 2 (un million de joueurs actifs chaque mois) pendant plusieurs années au sein d'une team française puis recruté par une team russe, Gary connaît parfaitement ce milieu : « J'avais une équipe, un coach et un manager qui m'apportait un coussin si j'avais mal au dos. J'ai toujours gravité dans ce milieu », me raconte-t-il. Grâce à la PGS, il aimerait transmettre sa débrouillardise dans un secteur jeune et ultra-compétitif. « On est les seuls à proposer une telle structure », ajoute-t-il. Dans les faits, il existe deux autres écoles du même ordre – la Power House de Mulhouse et la eSport Academy de Nantes – mais qui « n'offrent pas la même chose que nous », selon Gary. Les deux écoles concurrentes proposent des formations cyber-athlète pour devenir joueur professionnel, ce qui revient grosso modo à dire à des jeunes joueurs de foot « Venez chez nous, et dans cinq ans vous jouerez au PSG ». Une promesse évidemment très compliquée à tenir. « Nous voulons offrir des débouchés plus sûrs à nos étudiants », poursuit Gary.

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Si la PGS s'est fait qualifier d'école pour « fils à papa » et qu'elle ne décerne aucun diplôme – l'année coûte environ 9 000 euros et elle n'est pour l'instant pas reconnue par l'État –, Gary m'explique que son but n'est pas de prendre tout le monde – bien au contraire. Comme dans de nombreuses écoles, la sélection se fait sur dossier. Ensuite, le candidat doit passer des entretiens avec l'équipe enseignante. L'idée n'est pas de vendre du rêve à tout un tas de jeunes qui s'efforcent de percer depuis leur chambre en streamant du PlayerUnknown's Battlegrounds sur Twitch : « On ne sélectionne que très peu de profils, ceux qui ont le plus de potentiel évidemment – mais surtout ceux qui ont déjà débuté des études et ont un vrai projet professionnel derrière », m'explique Gary. En effet, si les postulants sont souvent jeunes, le but de l'école n'est pas de récupérer tous ceux qui ne savent pas quoi faire après le bac et qui voient cette école de gaming comme un stage de surf lestival. « On ne prend pas un adolescent perdu dont la mère ne sait plus quoi faire. Ça n'a aucun intérêt, ni pour lui ni pour nous », me dit-il après m'avoir parlé du jour où une mère voulait lui envoyer son fils de force. À l'inverse d'une université qui n'en a rien à cirer de vous une fois votre diplôme obtenu, l'école espère que ses élèves pourront percer au sein des nombreux partenaires du milieu qui voient l'école d'un bon œil.

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Si ce genre d'école fait encore sourire ceux pour qui les jeux vidéo constituent encore un exutoire pour adolescents prépubères, la demande est aujourd'hui extrêmement forte. Parmi les futurs élèves avec qui j'ai pu discuter, nombreux sont ceux qui ont abandonné leur école d'architecture ou de commerce pour se lancer dans le métier de streamer ou de journaliste e-sport. Yannis, qui vient tout juste d'avoir 20 ans et entrera à l'école en septembre, a lâché sa deuxième année d'école de commerce pour intégrer la Paris Gaming School : « Je voulais quelque chose d'un peu de concret. Je suis curieux et ambitieux, des projets se créent et je veux en faire partie. J'aime la compétition et j'aime apprendre. » Même son de cloche chez Victor, 18 ans, ancien élève de l'école 42 fondée par Xavier Niel : « Après un bac S, je me suis lancé dans des études d'informatique. Je pensais que cela me rapprocherait du domaine du jeu vidéo qui me passionne. 42 est une école de code et je ne m'y sens pas à place, je ne suis pas assez proche du domaine auquel j'ambitionne. L'e-sport est un domaine passionnant et je veux pouvoir en vivre. »

La plupart de joueurs professionnels de Versus Fighting utilisent des contrôleurs comme ceux-là.

La plupart de joueurs professionnels de Versus Fighting utilisent des contrôleurs comme ceux-ci.

Quand je leur demande comment ont réagi leurs parents à ce choix d'étude, leur réponse est souvent similaire. Pour Yann, 18 ans, qui travaillait dans la restauration : « Mes parents sont un peu dans le flou. Ma mère ne connaît pas du tout le milieu, et mon père joue un peu aux jeux vidéo. Ils ne sont pas réticents, mais plutôt intrigués. » De même pour Victor : « Ils ne sont pas contre. Cependant, ils connaissent très peu le milieu. » Enfin, si l'environnement est très masculin, ce serait « parce que les filles ont encore trop d'appréhension pour sauter le pas », selon Gary. Malgré une popularisation grandissante, la scène de l'e-sport voit très peu de femmes percer à haut niveau.

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Si cette école forme des jeunes à passer le plus clair de leur temps devant des écrans 144hz, il existe néanmoins de vrais cours avec de vrais professeurs. Même si la pratique sera au cœur des ateliers, la théorie sera présente comme pour n'importe quel apprentissage. L'équipe enseignante recrutée est très diversifiée : on trouve Nicolas Delaporte, qui est professeur à Science Po ; Olivier « Luffy » Haï qui est champion du monde 2014 de EVO, ou encore Alexis Corte, assistant parlementaire qui compte décortiquer la loi pour une République numérique pour les élèves.

« On a toujours des réflexions débiles du genre "Alors les crampes aux pouces ?", c'est agaçant à force. C'est cracher sur une communauté qui pèse des milliards d'euros aujourd'hui. »

En tant joueur acharné depuis toujours, je ne suis pas surpris qu'une telle école voie le jour – relativement surpris qu'elle ne soit pas apparue plus tôt. Quand je pose la question à Gary, sa réponse va presque de soi : « Le problème, c'est toujours l'image clichée qu'ont les gens de ce milieu ». Alors que les ex-candidats aux présidentielles découvrent tout juste la réalité virtuelle en 2017, l'e-sport a donc encore pas mal de chemin à parcourir avant de voir s'affronter Emmanuel Macron et Florian Philippot sur League of Legends. « On a toujours des réflexions débiles du genre "Alors les crampes aux pouces ?", c'est agaçant à force. C'est cracher sur une communauté qui pèse aujourd'hui des milliards » m'explique Gary. Mais preuve que les dirigeants politiques ne sont pas les seuls à vivre dans le monde exigu de France 3 Nouvelle-Aquitaine, certains journalistes ne voient aucun souci à parler de Dota 2 ou de CS GO en commençant leur papier par « À vos manettes ! » – ce qui est effectivement très con.

À travers le monde, le marché mondial de l'e-sport devrait atteindre 1,2 milliard de dollars d'ici 2020 – soit une croissance de plus de 25 % par an. En France, le chiffre d'affaires du milieu s'élevait à 22 millions d'euros en 2016 et les projections parlent de 30 millions dès 2018. Le milieu jouit d'une audience énorme, parfois comparable à celle d'une finale de Coupe du monde de foot.

« On en prend toujours plein la bouche avec le fait que l'école ne décerne aucun diplôme d'État » me rappelle Gary. Cette absence de reconnaissance officielle ne fait pas nécessairement peur aux futurs élèves de l'école, tant le milieu de l'e-sport prend sa revanche après s'être fabriqué de lui-même. Mais comme les mecs qui dessinaient excessivement bien au lycée, à qui on disait plutôt d'être bon en maths car « dessiner ne mène à rien », l'e-sport est encore souvent dépeint comme un hobby de jeunes boutonneux. Un constat symptomatique d'un milieu scolaire en décalage avec son époque, qui cherche encore à envoyer tous ses jeunes à l'Académie Française – alors que ces derniers veulent juste faire ce qu'ils aiment.

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