S.O.S. Femmes Batteuses
Mindy Abovitz, créatrice de Tom Tom Magazine

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S.O.S. Femmes Batteuses

Depuis 2009, la revue Tom Tom Magazine se consacre à un seul et unique sujet : les femmes batteuses. Nous sommes allés en discuter avec sa créatrice, Mindy Abovitz.

Quand on feuillette un zine sur le son, le genre, le féminisme et l'activisme, forcément on sait qu'on va y trouver quelques pépites. Et en effet, au détour d'articles sur le cyberféminisme, la temporalité queer ou les installations de vulves en cordes de bondage par le collectif The Strange Life of the Savages, on tombe sur une tribune signée Mindy Abovitz, expliquant pourquoi elle a créé Tom Tom Magazine, la seule revue au monde dédiée aux femmes qui jouent de la batterie.

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Elle y raconte aussi son parcours de batteuse, sous le pseudo More Teeth, ses tournées en Floride avec « ses chansons merdiques et ses costumes incroyables » et les concerts qu’elle organise dans sa maison de Brooklyn, qu’elle a surnommé The Woodser. Un ethos punk qui est au centre de Tom Tom Magazine, qu'elle dirige depuis 2009 et avec lequel elle fomente une véritable révolution par les baguettes. Nous sommes allés à sa rencontre, histoire d'en savoir un peu plus sur elle, sa revue, ses motivations… et sur les problèmes qu'elle a rencontrée avec la marque de GPS Tom Tom.

Mindy Abovitz

Noisey : Pourquoi avoir fondé ce magazine ?
Mindy Abovitz : Je voulais changer les résultats Google. En 2009, quand j’ai fondé Tom Tom Magazine , ça faisait 10 ans que je faisais de la batterie et je savais qu’il y avait des femmes batteuses de talent. Mais quand je tapais dans Google « batteuses femmes » ou « femme batteuse », il n’y avait que des articles qui posaient en gros la question : « les femmes peuvent-elles faire de la batterie ? ». Les photos étaient tout aussi offensantes, avec des filles sexy qui posaient à côté de batteries, mais qui n’en jouaient jamais.

Maintenant quand tu tapes « batteuses femmes » ou « femme batteuse », tu as toujours des photos de batteuses sexy, mais tu as aussi des photos de très jeunes filles qui jouent de la batterie comme des brutes. Mission accomplie ?
Oui, maintenant, tu as de vraies batteuses. Tu as aussi cette liste Wikipédia de femmes batteuses sur laquelle nous avons travaillé. Et effectivement, il y a toujours ces photos sexy de batteuses qui sont destinées à une audience masculine, mais ce sont d’excellentes batteuses.

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8 ans et 30 numéros, ça fait beaucoup de batteuses. Composer le sommaire d'un numéro de Tom Tom Magazine, c'est difficile ?
Tom Tom est un trimestriel, mais si c'était hebdomadaire, nous aurions quand même assez de contenu pour les 100 prochaines années ! Les médias n’ont jamais fait attention aux batteuses, donc on fait un retour en arrière sur des artistes extraordinaires : Moe Tucker, batteuse du Velvet Undeground, Gina Schock [ qui a commencé sa carrière comme batteuse de Edie and the Egg, un groupe de punk dans les années 80, avant de rejoindre le groupe féminin The Go-Go’s. Elle a récemment travaillé avec Miley Cyrus et Selena Gomez], ou encore Bobbye Hall [ qui a joué, entre autres, pour Bob Dylan, Janis Joplin ou Marvin Gaye].

Il y a aussi ces nouvelles batteuses pleines d’avenir qui naissent tous les jours comme Senri Kawaguchi, 20 ans, qui vient du Japon, Bo-Pah, 15 ans, du groupe Slege Grits Band ou Marlhy Murphy.

Y'a-t-il une batteuse favorite à la rédaction, une couverture dont tu es la plus fière ?
J’ai beaucoup aimé interviewer Palmolive de The Raincoats. C'est l'une des actrices cruciales de la scène punk rock. Elle s'est ensuit dirigée vers la religion et est devenue « born-again ». Quand nous l'avons interviewée, c’était la première fois depuis très longtemps qu'elle parlait à un média. Nous avons parlé de religion et de spiritualité. C’est une très belle personne.

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Nous avons aussi eu un numéro dédié aux musiciens qui, à cause de l'endroit où ils vivent ou de leur religion, n’ont pas le droit de jouer de la batterie. Nous avons interviewé des gens qui risquaient la prison et ont du partir ou trouver une échappatoire.

A-t-il été difficile de trouver des investisseurs et des annonceurs ?
La première personne a qui j’ai parlé de mon business plan a été à un conseiller en affaires bon marché basé dans le centre de Manhattan. Il m’a juste dit que ça ne marcherait jamais, que c’était un truc de niche.

La première année, ça n'a pas été si difficile niveau pub, parce que j’ai demandé à mes amis, à des amis d’amis, etc. On avait des magasins de vélos, de bandes dessinées, des studios d’enregistrement… Et puis j’ai commencé à comprendre de ce que représentaient les partenariats pour les médias.

Pour des raisons politiques, nous avons décidé de ne faire appel qu’à des pubs de compagnies de batteries. En général, les magazines destinés aux femmes attirent les marques de maquillage, de vêtements. Et au final, quoi que tu fasses, tu te retrouves avec un magazine qui dit aux femmes à quoi elles doivent ressembler, à quels modèles de beauté elles doivent se conformer. Nous sommes un magazine de batterie, nous parlons avant tout de musique. Mais nous avons récemment décidé d'ouvrir les publicités à des choses plus lifestyle. Et nous acceptons désormais les hommes sur les pubs, ce qui n'était pas le cas avant : c’était soit une femme, soit le produit seul.

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Avant Tom Tom, le milieu de la batterie faisait très peu de publicités destinées aux femmes. Ce que je leur dis, c'est que nous sommes une grande communauté en expansion et qu’ils feraient donc bien d'investir sur nous. Ce n’est pas facile, mais c’est notre angle.

Vous avez eu des soucis légaux avec la marque de GPS Tom Tom. Comment ça s’est fini ?
Oui, ils nous ont envoyé des lettres de mise en demeure pour nous demander de changer de nom. Ça n’avait aucun sens puisqu’ils sont un système de navigation, nous sommes un magazine de musique et le tom est l’un des éléments de la batterie.

À l’époque, notre avocate nous a dit : « Vous avez deux options. Soit vous allez en procès et il vous faudra au minimum 10 000 dollars. Soit vous rendez l’histoire publique. » Ce soir là on avait un concert à Pittsburgh et on en a parlé au public. L’histoire a fait son chemin et le temps que je rentre à New York, j’avais trois messages de la patronne de Tom Tom qui me disait que c’était un malentendu, qu’elle n’avait aucune connaissance de cette histoire et qu’elle voulait s’abonner !

Votre équipe est presque entièrement féminine. C’est un choix conscient ?
70 % de nos contributeurs sont des femmes, 70 % sont des batteurs. Je pense que ce sont juste les personnes que nous attirons.

Que pensent les batteurs hommes de votre magazine ?
Tous les batteurs que je connais sont fans. Je pense que c’est parce qu’on se concentre sur le musicien moyen. Les autres magazines parlent toujours des mêmes batteurs, des gens qui ont des roadies, des techniciens pour leurs batteries. Ce sont des trucs que la plupart d’entre nous n'auront jamais. Nous parlons de notre quotidien : comment réparer sa batterie, comment faire notre propre merch…

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Certains hommes pensent toutefois qu’on les pointe du doigt. Et, d’une certaine manière, c’est ce qu’on fait, mais ce n’est pas figé. On veut juste être inclues. On a créé un club de femmes en réaction à leur club d’hommes, mais ce qu'on veut, c'est un seul grand club.

Tu parles de Tom Tom comme d’un mouvement. Est-ce une révolution ?
Oui. C’est une révolution des médias et de la représentation. Et quelles meilleures guerrières que des femmes batteuses ? Toutes les guerres commencent par le battement des tambours.

En 2013, tu as lancé le projet « L’histoire orale des femmes batteuses ». Tu peux m’en dire un peu plus ?
C’est un projet pour exprimer visuellement ce qu’on a fait avec Tom Tom Mag. Nous avons mis des batteuses partout dans un musée, seules dans des salles. Une beat-boxeuse passait parmi elles et établissait une conversation en rythme. À la fin, elle beat-boxait leur histoire. L’histoire est racontée oralement, à travers des morceaux.

L’idée est de montrer qu’en tant que femme batteuse, tu es très seule. Avant Tom Tom, tu avais probablement entendu parler d’une autre batteuse, mais c’est à peu près tout. Il faut beaucoup de confiance pour s’imposer dans un tel contexte.

Tu organises aussi le concours Hit Like a Girl . Finalement, ton but, infine, c'est de montrer qu’on peut être une femme et faire de la batterie. La représentation, les « roles model », c’est important ?
Le livre d’Alice Walker, La Couleur pourpre, a eu un immense effet sur moi. Elle explique que petite, elle n’était pas capable de s’imaginer comme une petite fille noire parce qu’elle n’avait vu de petite fille noire nulle part. C’est une idée très puissante de se dire que tu ne peux pas être ce que tu ne peux pas voir.

Le site de Tom Tom Magazine Elsa Ferreira est sur Noisey.