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FRANCE

Le dessinateur Luz va quitter l’hebdomadaire Charlie Hebdo

Renald Luzier, dit Luz, de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo annonce ce mardi, dans un entretien accordé à Libération, qu’il quittera la revue en septembre. Le titre lui, se trouve miné par des tensions internes.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via VICE News

Dans une interview accordée ce mardi 19 mai au quotidien Libération, le dessinateur Renald Luzier, dit Luz, annonce qu'il quittera, en septembre, l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo — qui a été la cible d'une attaque terroriste le 7 janvier dernier. Le départ du dessinateur de la couverture du numéro post-attentat intervient dans un contexte tendu pour la revue qui se trouve confrontée à des tensions internes sur fond de question de gouvernance. Luz ne dit pas que ce sont ces tensions qui ont motivé son départ en premier lieu.

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Des rumeurs de départ du dessinateur, à l'origine de la Une de mondialement connue du 14 janvier (le premier numéro de Charlie Hebdo après l'attaque du 7 janvier qui avait fait une douzaine de victimes), avaient commencé à circuler ces derniers temps. Le site d'information Mediapart avait révélé ce samedi les velléités supposées d'envie d'ailleurs du dessinateur. Souhaitant « garder le plus possible la maîtrise de [sa] vie » Luz a décidé de mettre fin aux rumeurs ce mardi matin, alors que sa décision a été prise « il y a longtemps, » assure-t-il.

Son départ de l'hebdomadaire, devenu malgré lui symbole mondial de la liberté d'expression, est comme il l'explique dans Libération « un choix très personnel » en partie motivé par une envie de « reprendre le contrôle de [soi]même ». En plus de cette volonté de « [se] poser, de prendre du temps et de dessiner, » le collaborateur de Charlie depuis plus de 20 ans avoue ne plus arriver à s'intéresser à l'actualité, ce qui crée chez lui une certaine angoisse et la peur d'être moins bon.

A la une mardi, Luz : «Je ne serai plus Charlie Hebdo mais je serai toujours Charlie» — Libération (@libe)May 18, 2015

Luz déplore aussi le fait d'être reparti trop vite après les attentats, et explique qu'il s'est remis à travailler immédiatement par « solidarité » alors qu'il ressentait le besoin de faire une pause. Il s'est de fait retrouvé quasiment seul dessinateur du titre, décimé par les morts des autres plumes phares qu'étaient Charb, Cabu, Honoré et Tignous. Si bien que sur les quatre dernières Unes de Charlie Hebdo, trois sont signées Luz. « Chaque bouclage est une torture parce que les autres ne sont plus là, » lâche Luz qui n'a plus la force de se demander ce que les autres auraient dessiné à sa place.

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Pourtant son envie de dessiner n'a pas disparu, chose qu'il aborde comme une sorte de thérapie. Depuis l'attentat, Luz confie beaucoup trembler, « il faut que je dessine pour ne pas trembler et vu que je tremble de plus en plus, il va falloir que je dessine de plus en plus. » Il veut donc « prendre du temps et faire des livres, » chose qu'il a déjà commencée puisque sa bande dessinée Catharsis sort ce mercredi — un enchaînement de scènes qui racontent les événements du 7 janvier et les jours qui ont suivi. Il y a plusieurs mois nous avions rencontré Luz chez lui, alors qu'il dessinait des planches de cet opus.

À voir : Le Caricaturiste - entretien avec Luz de Charlie Hebdo

Luz profite aussi de l'entretien pour répondre à Jeannette Bougrab — ancienne secrétaire d'État sous Nicolas Sarkozy et qui se présente comme la compagne de Charb, l'ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo, tué le 7 janvier. Bougrab avait déclaré que « Luz finit le job des frères Kouachi [les terroristes responsables de l'attentat contre Charlie Hebdo] » après que le dessinateur a annoncé s'être « lassé » de dessiner Mahomet. Ce mardi, Luz réplique « Je m'en branle de cette conne. C'est violent ce qu'elle a dit, mais elle est en roue libre, c'est Mad Max.

L'entretien est enfin l'occasion de revenir sur les difficultés que traverse actuellement la rédaction de Charlie Hebdo. Il admet qu'il y a « des décisions de la direction qu'on ne comprend pas, » faisant référence à la convocation il y a quelques jours de sa collègue Zineb El Rhazoui, pour un entretien préalable à un licenciement. La mesure a été finalement annulée. La journaliste estimait être victime d'une « mesure punitive » pour avoir contesté la direction actuelle de Charlie Hebdo, qui s'était matérialisée par une tribune parue dans le quotidien Le Monde.

Le conflit interne se cristallise sur une volonté des journalistes de procéder à une refonte plus « collégiale » de la gouvernance, alors que la direction souhaite mettre en place une hiérarchie plus traditionnelle. La rédaction souhaiterait s'organiser en une société coopérative dans laquelle chaque salarié serait actionnaire à parts égales. Luz admet ne pas « avoir le temps de [s']impliquer » et ne se prononce pas sur les divergences de vues entre direction et rédaction. Il élude par une pirouette, « Chacun gère son trauma différemment, on va dire. »

Charlie Hebdo a été submergé par des millions d'euros de dons depuis les attentats de janvier — l'utilisation de cette nouvelle manne financière est notamment à l'origine des tensions qui animent direction et rédaction. Ce lundi, la direction du journal satirique a annoncé avoir « intégralement renoncé » à environ « 4,3 millions d'euros de dons en faveur des victimes. » Le dessinateur Riss, directeur de la publication, et Eric Portheault, gérant du titre, ont précisé que « La répartition de ces dons sera confiée à une commission de sages. »

Patrick Pelloux, un autre collaborateur de Charlie Hebdo, a réagi ce mardi matin sur la radio RTL à l'annonce de son collègue Luz. Pelloux dit « respecter sa décision qui est une décision artistique, amicale […] une décision de courage tout à fait réfléchie. » Toujours sur les ondes de RTL, on apprenait que Luz pourrait quitter la France et rejoindre Berlin, avant peut-être de se lancer sur son projet de livres sur la branlette comme il l'explique dans le prochain numéro de l'hebdomadaire Télérama à paraître ce jeudi.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray