Calais : Mouvement social musclé des marins et « opération d’urgence » pour aider les migrants

Ce mercredi, des marins bloquaient toujours les accès au port de Calais (nord de la France). En milieu de journée les ferries ne partaient plus en direction de l'Angleterre et d'importants bouchons sur les axes routiers autour du site étaient relevés. Des perturbations résultant d'actions menées par les marins de la société coopérative et participative Seafrance (SCOP) qui protestent contre la vente de bateaux de la compagnie reliant la France et l'Angleterre.

Des bouchons routiers se sont formés, bouchons qui rendent moins dangereuses les tentatives de monter dans des camions de la part des migrants échoués dans cette région de la France. Ils espèrent ainsi pouvoir se cacher au-dessus des essieux ou dans les cargaisons des camions et rejoindre ainsi illégalement l'Angleterre. Dans ce contexte, des ONG ont annoncé ce mardi un plan d'urgence pour venir en aide aux migrants qui font l'expérience d'une véritable « crise humanitaire ».

Le même jour, le trafic sous la Manche avait été interrompu pendant plusieurs heures par une trentaine de marins en colère qui se sont introduits sur le site Eurotunnel, compagnie qui gère le tunnel sous la Manche, avant de bloquer les voies ferroviaires dans les deux sens à l'aide de plaques de béton et de pneus enflammés.

Lors d'un défilé le 27 juin, le représentant d'un des syndicats majoritaires du mouvement au sein de la SCOP annonçait : « L'été sera chaud sur le port de Calais, s'ils continuent leurs bêtises comme cela, il sera vraiment chaud. »

À la suite de ces actions, d'importants retards et l'annulation de trains Eurostar reliant Paris à Londres. Vers 17h, les manifestants ont finalement quitté le site, sous escorte policière. Ils ont toutefois prévenu que d'autres « actions fortes » pourraient prochainement être menées. Le trafic avait alors repris, non sans perturbations.

La grève, qui a débuté le mardi 23 juin, a déjà causé d'importants dégâts avec une perte quotidienne estimée à plusieurs millions d'euros pour les compagnies privées qui travaillent avec le port. En Grande-Bretagne le niveau 3 d'un dispositif de désengorgement routier exceptionnel a été engagé, appelé Opération Stack. Son but est de réguler la circulation dans les villes de Douvres et de Folkestone notamment.

Les marins français réclament — entre autres — la possibilité de racheter les trois ferries actuellement saisis pour cause de liquidation judiciaire. Pour les salariés, c'est une nouvelle étape dans la bataille juridique et politique qui court depuis 2012, lorsque la SNCF (compagnie ferroviaire française) et le gouvernement français ont arrêté de soutenir la compagnie SeaFrance. L'entreprise est devenue une SCOP (société coopérative et participative, où les salariés sont associés majoritaires), le groupe Eurotunnel avait alors racheté les ferries et les louait depuis à la SCOP.

La justice britannique a très vite été saisie face à cette situation de quasi-monopole d'Eurotunnel sur les transports sur et sous la Manche. Un premier jugement avait été rendu en 2013, interdisant à Eurotunnel de poursuivre ses activités de ferries. Le jugement définitif a finalement confirmé l'interdiction à la fin du mois de mai 2015. Suite à cela, le groupe Eurotunnel a alors annoncé qu'il revendrait ses bateaux à la société danoise DFDS, mettant les 600 marins dans l'incertitude concernant leur avenir.

Crise humanitaire

Associations et ONG humanitaires ont lancé hier une vaste opération d'urgence inédite, pour venir en aide aux quelque 3 000 migrants en transit à Calais.

Soutenu par quatre ONG majeures (Médecins du Monde, Solidarités international, le Secours catholique et le Secours islamique), ce plan d'action vise à rétablir des conditions d'hygiène minimales dans la zone entourant le centre d'accueil de jour Jules Ferry. L'endroit est en effet décrit comme un « bidonville » qui a « explosé ces dernières semaines » par Thierry Benlahsen, responsable de l'équipe d'urgence de Solidarités International.

À lire : Calais : 14 migrants à l'hôpital après une bagarre générale

La situation au coeur de la « new jungle » — une sorte de nouveau bidonville toléré par les autorités qui y ont rassemblé des migrants dispersés autour de Calais — aurait atteint un seuil critique selon les associations présentes sur place. Dans leur déclaration commune, les quatre ONG citées font état de conditions de vie « indignes » dans des campements « ne respectant même pas les normes des Nations-Unies » comme l'a déclaré le Secours Catholique dans ce communiqué.

VICE News a contacté ce mercredi Lise Véran, une salariée de Médecins du Monde, une des ONG qui fait partie du plan engagé. Elle travaille sur place à Calais. Selon elle, la grève des marins n'a pas d'effet direct sur le phénomène migratoire. Les migrants profitent certes des ralentissements des camions, mais ils sont tôt ou tard interceptés par les forces de l'ordre.

Interrogée par VICE News ce mercredi sur l'impact que le mouvement de SeaFrance pouvait avoir sur les tentatives de passage des migrants, la sous-préfecture de Calais n'a pas pu nous répondre dans les délais de parution de notre article.

Fractures et blessures

Ce qui constitue « des changements inquiétants » observés dernièrement, d'après Lise Véran c'est la multiplication des « fractures et blessures » qui sont beaucoup plus fréquentes chez les candidats à la traversée illégale. Face à des moyens de surveillance de plus en plus sophistiqués — brigades canines, capteurs de CO2 et détecteurs de battements de coeur — les candidats au passage tentent souvent de s'introduire dans les camions et trains au dernier moment, quitte à y perdre la vie.

Le 26 juin dernier, un homme d'origine érythréenne est ainsi décédé en tentant de s'introduire dans un train en marche. Selon les secours dépêchés sur place, il aurait été violemment projeté contre un pylône en béton et serait mort sur le coup.

Faisant référence aux conditions de vie des migrants à Calais dans sa déclaration de mardi, Médecin du Monde écrit : « Nous mettons en oeuvre nos moyens logistiques habituellement réservés aux situations de guerre et de catastrophe. »

Calais est pour beaucoup de migrants une impasse, après une traversée de l'Italie et de la France, pour ceux qui choisissent la voie de la Méditerranée pour arriver illégalement en Europe. Ce mercredi, le UNCHR (Agence des Nations-Unies pour les Réfugiés) a publié un rapport selon lequel 137 000 migrants auraient tenté de traverser la Méditerranée au premier semestre 2015, contre 75 000 à la même période en 2014. Soit une augmentation de 83%.

Ce mercredi soir à minuit, les contrats de location des ferries Eurotunnel à SeaFrance prendront officiellement fin. Si les groupes Eurotunnel et DFDS ont annoncé qu'ils garderaient 322 des 600 employés, cela n'a pas contenté les grévistes qui ont déclaré vouloir « continuer le mouvement » en bloquant le tunnel pendant 48h à partir de jeudi.

Suivez Pierre-Louis sur Twitter @pierrelouis_c

Regardez notre documentaire— Calais : la jungle de l'exil